Un film d’animation de Sylvain Chomet (2010) sur un scenario de Jacques Tati.
Résumé : 1959. Tatischeff est un prestidigitateur solitaire sur le déclin : ses spectacles n’attirent plus guère les foules, c’est pourquoi il décide de tenter sa chance outre-Manche. Mais il ne convainc guère des spectateurs plus friands des nouvelles idoles de la chanson. Jusqu’à ce qu’un patron de bar écossais l’invite dans son pays et qu’il y rencontre Alice, jeune servante, qui tombe littéralement sous le charme de ses tours de passe-passe, au point qu’elle décide de le suivre, persuadée que cet homme providentiel saura lui apporter la magie qui manque à son quotidien. Mais Tatischeff, pourtant touché par ce choix, ne sait comment lui faire comprendre qu’il n’est qu’un illusionniste…
Une chronique de Vance
Petite salle. Chaleureuse et digne. Public de connaisseurs. Silencieux et passionnés.
Un de ces films que mes partenaires enthousiastes du Palmarès savent vendre avec entrain et application, pour peu qu’ils aient goûté aux joies propices d’une avant-première. L’Illusionniste commençait déjà à me narguer de ses premières notes exceptionnelles avant même que j’en entende parler à la TV. Niko, de Filmosphère, était sous le charme. Quand l’occasion s’est présentée, je n’ai pas hésité.
Les premières images ne trompent pas : ritournelle grinçante, couleurs pastel, petites séquences ponctuées parfois d’un gag léger générant un sourire entendu. Nostalgie et félicité. D’autant que Tatischeff, le personnage-titre, se révèle à nous pour ce qu’il est véritablement : l’incarnation (en 2D, sous des traits délicatement caricaturaux) de feu Jacques Tati, qui savait si bien mettre en scène les petits travers de ses contemporains et les grandes perspectives d’une société en voie de déshumanisation. Nouvel avatar donc, dessiné cette fois, de ce Hulot guignolesque ou de cet oncle délicieusement maladroit : grand, raide, ses bras trop longs s’appuyant systématiquement sur les reins, l’air de toujours avoir à s’excuser pour une pitrerie malencontreuse. Et pourtant lucide, et tendre.
Le voici artiste de scène. Les grandes façades lumineuses des cabarets parisiens qui ne veulent plus de lui s’estompent tandis qu’il fuit vers un Royaume-Uni perçu comme le berceau d’une seconde chance (ou d’une énième) avec pour seul compagnon un lapin grassouillet et facétieux et la photo d’une fille qui semble, par-delà le passé, lui reprocher muettement ses choix. Las ! Les jeunes Anglaises lui préfèrent ces chanteurs efféminés qui dynamitent les conventions et bousculent les règles. C’est dans un obscur tripot écossais qu’il trouvera enfin le succès qu’il recherche, mais un succès d’estime, local quoique bienveillant, qui ne le nourrira pas outre-mesure. Et lorsqu’il repart vers Edimbourg, il se voit désormais affublé d’une jeune Alice, servante candide qu’il accepte automatiquement de recueillir, lui procurant ce qu’elle demande même s’il lui faut pour cela trouver d’autres sources de revenus. C’est qu’elle voit en lui, non un prince charmant, mais l’équivalent masculin de la Bonne Marraine de Cendrillon : ses yeux innocents perçoivent dans son art la puissance universelle de la magie. Pourquoi alors s’en faire, puisque ce gentil monsieur, d’un habile tournemain, peut faire apparaître un ticket, une pièce, un manteau ou des chaussures à la mode ?
Sur un rythme lent, confinant presque à la désespérance, on suit avec une émotion retenue les déboires de cet homme trop affable, engoncé dans ses habitudes. Les dialogues se résument à des borborygmes comiques : encore une résurgence de l’art de Tati qui préférait les mimiques et la gestuelle (voire le bruitage) pour exprimer les sentiments. Je comprends tout de même l’ennui ressenti par certains : l’intrigue n’est pas très dense et ce n’est pas tant la multiplicité des situations que celle des personnages (truculents) qui rythme le récit, d’autant qu’on goûte allègrement aux très beaux décors (Edimbourg est magnifiée) et qu’on se régale d’une animation 3D d’une étonnante fluidité (rarement j’ai pu voir des véhicules circuler avec tant de réalisme en animation).
Le film a mis des années avant de se concrétiser : on m’a dit que ce n’est pas tant des difficultés financières que l’acharnement et le perfectionnisme de Chomet qui ont fait fuir nombre d’assistants. Le bonhomme n’est pas connu pour son amabilité. Mais qu’importe : le résultat, visuellement, est exceptionnel. Quant à l’histoire, sorte de conte moderne désenchanté, permet de jeter un œil attendri sur tous ces artistes de cabaret qui ont consacré leur temps, leur vie même (et tout sacrifié) à un public de plus en plus blasé et exigeant. On aurait aimé un peu plus de ces sourires que les rares anicroches nous arrachent et qui permettaient à Tati de nous dire avec humour tant de choses sérieuses et acides.
Le coin du C.L.A.P.: Rien. Mais rien du tout. Pour la première fois depuis des années, je suis arrivé au moment des bandes-annonces, à cause des vestiges d’un repas de fête des pères très réussi, qui a su nous faire perdre la notion du temps. Pas de regret.
Ma note : 4,2/5