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L'imaginaire ou le reel reinvente -

Publié le 25 juin 2010 par Abarguillet

   L'IMAGINAIRE OU LE REEL REINVENTE -

Les mélodies que l'on entend sont douces,
mais celles que l'on n'entend pas sont plus douces encore :
aussi, tendres pipeaux, jouez toujours,
non pas à l'oreille sensuelle, mais plus séduisants encore
modulez pour l'esprit des chants silencieux. 
Keats   ( Ode à l'urne grecque )

Dérivée du mot image, en latin imago, imagination est de la famille étymologique du verbe imiter qui signifie reproduire ce que l'on a perçu. Mais si nous réfléchissons plus avant, imaginer ne serait-ce pas plutôt la faculté de reformer différemment ce que l'on voit, de le modifier au gré de notre fantaisie. " Si une image présente ne fait pas penser à une image absente, il n'y a pas imagination ", écrit Gaston Bachelard dans  "L'air et les songes". Alors qu'est-ce que l'imaginaire et qu'est-ce qu'imaginer ? On pourrait envisager qu'imaginer est une façon particulière de voyager dans sa pensée, de concevoir, d'inventer des images, des formes ou des figures nouvelles, car c'est la loi même de l'expression poétique que de transgresser l'ordre des choses, de s'octroyer la liberté de voguer à sa guise sans plus se référer à des idées précises, en quelque sorte une façon de s'affranchir des concepts habituels de l'esprit. En règle générale, l'imaginaire ne relève ni du domaine de la sensation, qui est un phénomène subi, ni de celui de la perception, sinon ce ne pourrait être que d'une perception d'absence. Imaginer, ce serait poser le réel en néant, néantiser ce qui est. " Tout imaginaire paraît sur fond de monde, mais réciproquement toute appréhension du réel comme monde implique un déplacement caché vers l'imaginaire. Toute conscience imagineante maintient le monde comme fond néantisé de l'imaginaire et réciproquement toute conscience du monde appelle et motive une conscience imagineante comme saisie du sens particulier de la situation ", nous dit Jean-Paul Sartre. Le philosophe Alain a montré, pour sa part, en quoi une image diffère d'une perception, parce que dans la perception la chose est inépuisable, alors que l'imaginaire ne peut pas être observé ; imaginer, c'est envisager un être ou une chose absent, c'est sortir de ce qui est donné ici et maintenant. " Il n'y a point d'images, il n'y a que des objets imaginaires", précise Alain.
Pour Platon, par exemple, l'image n'est qu'un second objet, une réplique, une perception passée qui redevient présente sans être semblable pour autant. Similitude avec ce qui a été, statut paradoxal à classer entre l'être et le non-être, glissement du réel vers le non-réel. Ce que nous percevons, soulignait-il, n'est plus la réalité vraie, puisque nous sommes déjà dans un monde d'apparence. Pour lui, le vrai monde, le monde supérieur ne pouvait être que celui des idées. Il faut se rappeler que Platon, contrairement à Aristote, supposait que les idées nous précédaient et existaient de toute éternité. A partir de cette supériorité de l'idée sur l'image, Platon envisageait trois mondes : le monde des concepts, le monde dans lequel nous vivons et le monde des artistes qui est celui de l'illusion et du simulacre, un monde d'autant plus dangereux que l'homme est sensé céder facilement à la magie des artifices.
Pascal n'était pas très éloigné de cette vision des choses, lorsqu'il écrivait : "C'est cette partie décevante dans l'homme, cette maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne l'est pas toujours ; car elle serait  règle infaillible de vérité si elle était infaillible de mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant du même caractère le vrai et le faux". Le philosophe reprochait à l'imagination de troubler notre raison et de fausser notre jugement qui ne savait plus alors discerner et apprécier. Quant à Descartes, il considérait l'imagination comme le degré le plus bas de la pensée. Elle n'était jamais qu'une modalité qui ne s'expliquait que par sa relation étroite avec le corps ( sensation ), celui-ci ayant le pouvoir d'activer l'imaginaire. Si bien qu'il n'attribuait à l'imagination que des images en corrélation directe avec les sens. Malbranche ne l'appelait-il pas la folle du logis ? Mais s'il peut en être ainsi de l'imagination dite reproductrice,  qui nous transporte ailleurs mais parfois à la dérive et nous divertit à bon compte, qu'en est-il de l'imagination créatrice qui n'adhère plus au réel, crée des images inédites, tisse un réseau d'actualités innovantes et initie un voyage au pays de l'infini ? Pour celui qui réfléchit, elle est un mirage mais un mirage fascinant, imposant - nous dit Bachelard - le réalisme de l'irréalité. Elle prend alors les allures d'un "psychisme précurseur" qui projette des impressions intimes sur le monde extérieur. Ne serait-elle pas alors la reine des facultés, celle qui permet au poète et à l'artiste en général d'entrer dans le monde des correspondances ? Désormais, l'esprit invente, consent au fictif, c'est-à-dire à ce qui n'est pas, tant il est vrai que nous ne pouvons pas vivre sans ces contrastes et variations qui tendent tous à modifier les choses. C'est une forme de liberté face au réel qui tient le monde à distance et fait preuve d'une dynamique novatrice, tant et si bien que même le savant, l'inventeur ont eu, à un moment ou à un autre, recours à elle.

Il est évident que cette imaginaire-là se situe bien au-delà du psychologique. On devra donc trouver une filiation régulière du réel à l'imaginaire, car comment oublier l'action signifiante de l'image poétique ? Elle n'est autre qu'un sens à l'état naissant. Son rôle est de notifier autre chose et de faire rêver autrement. L'image littéraire, c'est-à-dire l'image créatrice, ne vient pas habiller une image nue mais donner parole à une image muette, finalisant un désir humain. Cette faculté nous aide à mieux comprendre dans quelle mesure notre conscience peut être envahie, habitée, voire submergée, par des productions différentes de celles habituelles de l'esprit. Tous les arts ont été inventés pour perpétuer un moment d'éphémère où le non-réel se laisse capturer. D'ailleurs ne serait-il pas plus judicieux de parler d'imagination novatrice ?
Mais pour quelles raisons les hommes aspirent-ils à ce point à quitter la réalité ? Simplement parce qu'elle est frustrante, qu'elle ne parvient pas à satisfaire leurs désirs. Le phantasme, le rêve, l'art témoignent de ce processus de compensation. L'imagination fait partie de l'économie de la vie. Elle reste consciente, contrairement à la folie, et elle n'est nullement pathologique. Privés d'elle, nous ne saurions vivre, parce qu'elle est une source de création permanente qui produit des images originales et vivantes : " on les éprouve dans leur lyrisme en acte ; elles donnent - et tout particulièrement les images littéraires - une espérance à un sentiment, une vigueur spéciale à notre décision d'être une personne, une tonicité même à notre vie physique " ajoute Bachelard, qui poursuit : - Le livre qui les contient est soudain pour nous une lettre intime. Ce rapport très particulier entre l'imaginaire et le réel est celui qui relie le pouvoir créateur de la pensée en l'homme à sa situation de créature limitée, à cette finitude qui le rend dépendant du monde extérieur. En l'homme se trouve donc une faculté centrale qui peut devenir la folle du logis si l'on n'y prend pas garde, mais sait se hausser, tant est qu'elle soit régulée, jusqu'à l'art qui est, en nous, la manifestation d'une puissance essentiellement créatrice. Cette faculté produit des schèmes. Un schème est une méthode, un dynamisme d'où fusent les idées. Kant écrit : " C'est un art caché dans les profondeurs de l'âme humaine ". Et Nabert : " Nous avons donc une imagination pure, comme pouvoir fondamental de l'âme humaine qui sert à priori de principe à toute connaissance". Elle est, en conséquence, le signe absolu qu'en l'homme existe des ressources mystérieuses qui le dépassent.

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