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Anonymat et figuration des corps

Publié le 25 juin 2010 par Gregory71

Chatroulette est un étrange phénomène socio-informatique, simple dans son protocole et complexe dans ses influences. Cet écart entre les causes et les conséquences semble être une des caractéristiques de l’informatique. En passant du temps sur ce site pour le projet Anteroulette, j’ai pu remarquer certaines images: fragments de vêtements, de corps, sexe masculin, parfois féminin. Le visage est absent. On pourrait mettre cela sur le compte de l’exhibitionnisme, mais je crois que ce serait bien mal comprendre que cette explication est fondée sur un certain régime de l’image déja dépassé. Celui dans lequel il y avait beaucoup de récepteurs et peu d’émetteurs. Dans le monde du réseau se montrer n’est plus l’acte d’une disproportion du regard. Il n’y a pour ainsi dire rien de choquant a montrer ainsi son corps. C’est même la norme parce que chacun peut le faire sans porter la violence d’un acte. Alors pourquoi ces fragments du corps? C’est sans doute que Chatroulette est le site Internet de l’anonymat par excellence, et que la sexualité porte dans son fonctionnement même, en tant que fragment organique (et il faudrait reprendre les débats entre anthropologie et phénoménologie de la première moitié du XXeme sur la relation entre organe, organisme et corps), de l’anonyme. L’échange demandé entre l’homme et la femme est souvent celui-ci, montre moi tes seins je te montre ma queue. Il n’y a rien de personnel en ceci, simplement le partage solitaire d’un temps. Le partage peut être en effet solitaire quand il fait l’objet d’une telle transaction. Car avec Chatroulette tout est économique, c’est ton image contre mon image, montre moi ton visage et je te montrerais le mien, etc.

Avec Chatroulette les corps se figurent, ils se donnent selon une certaine visibilité et selon un certain dispositif (webcam). Si les fragments d’organes se donnent sur ce site avec une telle intensité, si cela suinte, sue et éjacule en tout sens, c’est sans doute que la technologie numérique elle-même porte un devenir-anonyme, ou encore que dans l’anonymat qui est au coeur de toutes sociétés il y a quelque chose de technologique. Ces deux mondes que certains voulaient tenir éloignés (pour conjurer leurs affinités) s’entrelacent. Le monde froid de la rationnalité technique et le monde humide des corps.


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