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Shilpa Gupta au château

Publié le 28 juin 2010 par Marc Lenot

Quel plus beau cadre qu’un château médiéval, ses tours et ses chemins de ronde, pour présenter le travail de Shilpa Gupta, artiste indienne qui parle de territoire et de conflit ? C’est au château de Blandy, à 1h de Paris, jusqu’au 24 octobre. Si un bon nombre de pièces ont déjà été vues, à Lyon (Shadow) ou à Paris, errer entre les sombres salles du château, de tour en tour, est un excellent parcours pour les redécouvrir.

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100 queues est une suite de petits rouleaux tournant sur eux-mêmes, évoquant les débuts de l’image en mouvement mais aussi les moulins à prière tibétains. Sur chacun des cent rouleaux, des hommes et femmes indiens faisant la queue, interminablement, en cent processions circulaires sans fin ni début : absurdité, appartenance à la foule panurgienne, mais aussi charme de l’attente, rencontres impromptues, l’espoir d’arriver quelque part. Parfois les rouleaux tournent à l’envers, dans une régression déconcertante. Plus loin, des cages à oiseaux imbriquées évoquent la captivité, l’enfermement; mais, contrairement à la Double Steel Cage Piece de Bruce Nauman à Rotterdam, on reste extérieur, spectateur et non acteur, expérimentateur enfermé. Flapboard, où des messages apparaissent sur un panneau de signalisation d’aéroport, se singularise par le dérangement qu’il occasionne, les inversions de caractères ou les fautes d’orthographe qui perturbent la banalité des adages affichés là. 

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I keep falling at you est un énorme essaim d’abeilles noires suspendu dans une des salles de la tour des gardes. L’essaim bourdonne et émet de temps en temps une chanson dont l’écho se répercute sur les murs. Ce monstre protubérant est en fait composé de centaines de microphones au bulbe troué, poreux, comme des poires véreuses ou des yeux de mouche. L’étrangeté vient de ce que ces récepteurs de son, ces capteurs semblent ici être des émetteurs, des diffuseurs, leurs fonctionnalités renversées. C’est àa la fois menaçant et mystique, dérangeant et maternel. dans la tour carrée, un miroir est recouvert d’un rideau rouge : “I look at things” dit le rideau, “with eyes different from yours” dit le miroir une fois découvert. Ce rideau rouge me renvoie au petit Rembrandt de Kassel, occultant et dévoilant.

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La vidéo surplombée des demi-veuves, dont les époux ont disparu à la guerre, est comme un rêve : l’artiste de blanc vêtue joue à la marelle avec des galets; ce n’est pas la meilleure pièce de l’exposition, trop soft, trop onirique peut-être. Par contre la menace que représente la centaine de tiges acérées suspendues au plafond d’une salle de la bien-nommée tour de justice, Skewers (’brochettes’), est proprement terrifiante : les spectateurs se pressent contre les murs, évitant ce territoire central entouré de pointes, oeil du cyclone, mais ce n’est qu’en osant braver les fers et en se plaçant au centre qu’on peut voir l’ineffable, comme un oeil dérobé au dessus de nous.

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Enfin, ce livre d’acier chauffé au rouge, posé sur un lutrin (Heat book) attire et repousse : la chaleur est trop intense, la brûlure trop risquée. Est-ce un livre religieux, fanatique, livre saint hindouiste des extrémistes du VHP ou Torah de colons, livres de tous les abus, de tous les dangers ? Ou bien est-ce un livre de passion, de désir, livre libertin condamné à l’autodafe ? A quoi allons-nous brûler nos ailes ?

Photos 2 et 3 de l’auteur; photos 1 et 4 courtoisie Galleria Continua.


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