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Hélène Tysman brise le cliché du pianiste à l'eau de rose

Par Bscnews

Hélène Tysman brise le cliché du pianiste à l'eau de rosePar Maïa Brami - BSCNEWS.FR / « Les gens qui ne sont pas musiciens associent sans doute Chopin a de la musique de grand-mère, alors que pour moi, parfois, ça s’apparenterait plus à de la musique de films d’horreur ! » confie la jeune pianiste Hélène Tysman, à l’occasion de la sortie de son premier CD chez OEHMS Classics. Primée et lauréate de nombreux concours internationaux, elle a justement remporté en 2007 le 1er Prix au Concours International Chopin, attirant l’attention de certains spécialistes, tel Vladimir Ashkenazy. « Il paraît », m’apprend-t-elle, « que Chopin avait horreur d’écrire et qu’il trouvait inutile de se répandre en explication sur ses œuvres. »
Cette conversation permettra donc, je l’espère, de lui rendre justice, en utilisant les mots avant tout pour donner envie d’écouter sa musique — à travers l’éblouissante interprétation d’Hélène — et de faire voler en éclats ce cliché de compositeur à l’eau de rose qui lui colle à la peau. D’ailleurs, trêve de discours, pour vous en convaincre, cliquez plutôt !


Premier contact avec un piano…
Du plus loin que je me souvienne, il y a toujours eu du piano partout dans la maison. Ma sœur aînée et mon frère en ont joué avant moi, et mon père est porté sur le piano jazz ! Quand j’étais petite, on avait une grande maison et à chaque étage, il y avait quelqu’un qui travaillait son instrument. De la rue, on avait l’impression d’être dans un conservatoire de musique ! Mon père grattait aussi un peu la guitare, ma sœur a étudié la flûte un temps, moi, le violon. En plus, je me souviens, on louait un studio à une chanteuse amateur ! Bref, pour avoir grandi dans cet environnement, la musique s’est imposée à moi comme une évidence. Et je savais qu’au moment où je commencerais à étudier, ce serait sérieux. Je n’ai jamais connu le stade du passe-temps.

Comment s’est fait le choix entre le violon et le piano ?

J’ai toujours préféré le piano, mais j’ai dû faire un choix, car je ne pouvais pas faire les deux. J’ai donc abandonné le violon. J’en avais discuté avec mon professeur, qui m’avait expliqué que mener à bien l’étude de deux instruments de façon optimale est impossible, faute de temps ! Il faut tellement d’heures de travail quotidien pour apprendre un seul instrument, alors vous imaginez deux ?! Et puis, dans le fond, j’ai peut-être aussi été endoctrinée (rires), puisque tout le monde jouait du piano à la maison. D’ailleurs, à l’époque, je pensais que c’était l’instrument roi par excellence, celui qui offrait le plus de capacités. Dire que je pensais même qu’il permettait de mieux gagner sa vie… Quelle erreur ! (rires)

Quelle est votre relation physique à l’instrument ? Le piano est un instrument puissant…

Du coup, justement, j’ai tendance à utiliser les « pianississimo », surtout avec Chopin. La puissance entre en jeu quand on se trouve aux côtés d’un orchestre, le son doit véhiculer alors plus de force que si l’on est seul avec son instrument.

Ce qui m’a frappée dans votre enregistrement, c’est à la fois la puissance qui se dégage de votre jeu et sa grande délicatesse par moments…

Vous savez, je ne frappe pas sur le piano, il ne s’agit pas de force physique. Récemment, j’ai joué dans une grande salle avec orchestre, le son se projetait facilement et c’était vraiment agréable. À la fin du concert, un ami m’a confié : « Comment une fille aussi menue peut-elle avoir un son aussi énorme ? »  Alors que ça n’a rien à voir. Il s’agit de réussir à laisser aller toute son énergie — comme un chanteur d’opéra — et c’est ça que j’aime. Normalement, on n’est pas censé être épuisé comme un sportif, après un concert !

Pourquoi avoir choisi Chopin pour votre premier CD ?

De façon assez naturelle. C’était le compositeur de prédilection à la maison ! Je me rappelle que les compositeurs allemands — Schumann, Brahms… — n’étaient pas très appréciés, à part Bach. Ni les Russes d’ailleurs. En fait, on apprenait le piano pour jouer Chopin !

Parlons du choix des œuvres : la Sonate n°2 en Si mineur opus 35 et les 24 préludes opus 28…

Ça a donné lieu à une longue discussion, car on se demandait avec le producteur si la Sonate irait bien avec les Préludes. Je voulais absolument enregistrer les Préludes, car ça fait des années que je me balade avec eux (rires). Mais c’était aussi un énorme défi, car c’est, selon moi, l’œuvre pianistique par excellence, probablement la plus exigeante avec les Variations Goldberg de Bach. De son côté, il m’avait entendue dans la Sonate, et il tenait absolument à ce qu’elle soit dans le CD. Finalement, l’association de la Sonate, très compacte, avec les 24 Préludes passe bien. Il est même intéressant de les avoir mis en parallèle, car les Préludes — œuvre de jeunesse — augurent de toute l’œuvre de Chopin et on en retrouve des échos dans l’écriture de la Sonate.

Comment s’attelle-t-on à l’enregistrement d’un tel monument ? Quelles interprétations de référence aviez-vous en tête ?

D’un côté, je me disais que je n’arriverais pas à les enregistrer et de l’autre, je me disais, que ces œuvres-là sont faites pour être jouées perpétuellement. Et même si on compte une cinquantaine d’enregistrements extraordinaires, ce n’est pas pour autant qu’on n’a plus le droit de les jouer ou de les enregistrer. Évidemment, j’avais très peur au moment de commencer, et j’avais plein de versions en tête, entre autres, celles de Martha Argerich, de Cortot — qui les a enregistrés très jeune —, ou la dernière version d’Ivo Pogorelich. Mais ce qui m’a rassurée d’une certaine façon, c’est que je ne trouvais aucune de ces versions convaincantes à cent pour cent. Pour la simple et bonne raison, qu’il s’agit de 24 œuvres d’art et non d’une seule. En concert, il y a toujours au moins deux préludes qui passent à l’as ! (rires)
D’où l’intérêt de les enregistrer…
Difficile ! Au début, surtout. J’étais stressée, je voulais tout donner. J’essayais en vain de me raisonner, de ne pas être trop exigeante avec moi-même. En plus, on a enregistré fin décembre dans une église glaciale — impossible de se servir de radiateur à cause du bruit qui aurait pu gêner dans certains passages pianissimo. J’ai joué la plupart des prises avec les mains gelées, je ne pensais pas que c’était possible, il faut vraiment avoir le cœur très chaud ! (rires) Pour ne rien arranger, le piano n’arrêtait pas de grincer, les pédales, notamment. On a passé une journée à imaginer ce qu’on pourrait faire pour y remédier. En plus, c’était des journées fériées et tout était fermé. Mais quand je me suis lancée, j’ai tout oublié, il n’y avait plus que la musique ! J’ai préféré enregistrer plusieurs versions intégrales des Préludes à la suite, c’était fatigant, mais très intéressant. Ensuite, au besoin, j’en ai repris un ou deux. Je tenais à garder l’enchaînement entre eux, qu’on ne sente pas les prises, le silence entre. D’autant que l’enchaînement se fait par le système des tonalités et pour moi, c’est une suite de couleurs.
Fonctionnez-vous à la synesthésie : associez-vous les notes à de véritables couleurs ?  Y a-t-il une histoire dans votre tête quand vous jouez ou est-ce totalement abstrait ?
Je n’ai pas vraiment d’histoire, mais une image plus ou moins abstraite. Ça peut partir d’une sensation et arriver à une image ou à une couleur. Des couleurs, il y a en a toujours quand j’apprends des œuvres et surtout avec Chopin, qui est le maître. Sans lui, par exemple, Debussy n’existerait pas. Parfois, j’ai besoin d’une histoire, comme, par exemple, pour la Marche funèbre de la Sonate. Mais je ne pourrais pas y mettre de mots.
La musique va au-delà des mots, au plus près des sensations…
Certains musiciens arrivent à mettre des mots. Ça dépend. J’ai entendu dire que le violoncelliste Boris Pergamenschikow demandait à ses élèves d’écrire un texte sur le morceau qu’ils travaillaient, de raconter une histoire. Je trouverais ça difficile, car, pour moi, ce sont plutôt des harmonies liées à certains passages, qui peuvent changer d’un jour à l’autre.
La particularité d’un pianiste est de ne jamais jouer sur son piano en concert. Qu’est ce qu’un bon piano pour vous ?
Celui qui me permet de faire suffisamment de couleurs différentes. Parfois, selon l’acoustique, un vieux Yamaha peut faire l’affaire. Parfois, je me délecte d’un Steinway magnifiquement bien réglé ! Mais de toute façon, un pianiste est condamné à toujours être sur de nouveaux instruments. Mieux vaut le prendre positivement : chaque nouveau piano apporte quelque chose d’inattendu et savoir profiter de ça, c’est génial. Il m’est arrivé de me retrouver à jouer sur des pianos horribles, mais comme disait Richter : « parfois, les meilleurs concerts se font sur les pires pianos ». Du coup, on a beaucoup moins d’exigence, on essaie juste de faire ressortir les choses comme on peut et parfois, on est étonné du résultat. A contrario, un Steinway réglé au millimètre près peut être inhibant !

Où avez-vous enregistré le CD et sur quel piano ?

Je me suis fiée à l’ingénieur du son, Nikos Samaltanos, qui m’a parlé d’un endroit magnifique, une église dans Paris, où il fait des enregistrements depuis vingt ans. Il m’a fait écouté quelques extraits de répétitions et j’ai trouvé le son sublime, il correspondait à ce que je cherchais, réverbéré mais pas trop. Du coup — contrairement à un enregistrement studio —, on a gardé le son naturel. Le piano sur place est un vieux Steinway au son magnifique, mais ardu à jouer. J’ai dû m’y habituer. J’avais peur de perdre plein de nuances. Heureusement, j’ai demandé à un technicien génial, Michael Barges, de venir travailler dessus. Ça a été très utile ! Je ne fais plus confiance qu’à lui ! Parfois, en tant que pianiste, mieux vaut avoir un bon technicien qu’un bon piano, car tout dépend de l’acoustique du lieu.
La musique de Chopin est souvent associée à un certain sentimentalisme, à un Romantisme exacerbé un peu kitch, mais votre interprétation va à l’opposé de ce cliché…
Certes, Chopin est romantique, mais pourquoi vouloir à tout prix en faire une musique de salon, agréable ? Soit, il était élégant et raffiné, mais on oublie sa modernité. Si l’on observe ses partitions en détail, on s’aperçoit de choses audacieuses et violentes, alors qu’on ne retient de Chopin que sa fragilité et le fait qu’il ne pouvait jouer fort. Il est encore souvent admis par les vieux professeurs, qu’on ne doit jamais jouer à fond un double fortississimo chez Chopin. C’est absurde ! Chacun est en droit de donner sa propre interprétation. D’autant que Ravel, par exemple, avait une façon de jouer qui ne rendait pas justice à ses œuvres : l’un comme l’autre était avant tout des compositeurs !
Il y a une réelle modernité chez Chopin, modernité de l’écriture, des harmoniques. Je lisais encore récemment un texte de Georges Sand sur Delacroix, Chopin, et leur recherche de couleurs. Elle emploie elle-même le mot « modernité ». Certains Préludes, le numéro 14 par exemple, qui est juste porté, lourd, avec la même écriture sur une page entière, ne ressemble en rien au Chopin que certains croient connaître ! Quant à sa soi-disant légèreté, elle cache quelque chose de tragique, même dans certaines valses, on sent l’artiste en souffrance. Mais si on l’étiquette romantique à cause de ça, on oublie qu’il a ouvert la voie à l’Impressionnisme !
À quand le prochain CD ?
Je l’enregistre au mois de juin, même lieu, même équipe et toujours du Chopin ! (rires) Il y aura sûrement les quatre ballades, mais chut ! rien n’est encore sûr.
Photo Alain Cornu


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