Magazine Société

le silence des agneaux

Publié le 18 juin 2010 par Hoplite

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Qu'est-ce qui fait que le même journal -par le truchement d'un de ses petits flics de la pensée les plus insignifiants (Orwell aurait parlé de « gramophone de la pensée »)- puisse d'une main célébrer la Chorba pour tous et de l'autre, dans une reductio ad hitlerum réjouissante dont nos lemmings progressistes ont le secret, présenter un apéro saucisson-pinard bien innocent comme le retour des HLPSDNH (les heures les plus sombres de notre histoireTM) ?

Qu'est-ce qui fait que le cuistre Delanoë, célèbre clown invertébré à roulettes, tolère la fermeture hebdomadaire à la circulation d'une rue Parisienne pour cause de culte musulman et s'inquiète d'éventuels « débordements identitaires » alors même qu'il les cautionne chaque vendredi ?

Qu'est-ce qui fait qu'un philosophe français, professeur à l'Ecole Normale Supérieure puisse déclarer: "Que les étrangers nous apprennent au moins à devenir étranger à nous-mêmes, à nous projeter hors de nous-mêmes, assez pour ne plus être captifs de cette longue histoire occidentale et blanche qui s'achève, et dont nous n'avons plus rien à attendre que la stérilité et la guerre. Contre cette attente catastrophique, sécuritaire et nihiliste, saluons l'étrangeté du matin." (Alain Badiou, De quoi Sarkosy est-il le nom ? Lignes, 2007)

Réponse : une même pathologie du Moi européen oscillant entre ethno-masochisme et oubli de soi; comme le fait remarquer Finkielkraut, bon nombre d'Européens -et en premier leurs « élites » politiques, intellectuelles et médiatiques- ont intégré le commandement qui leur est fait de n'être plus rien. D'abandonner toute préoccupation culturelle, identitaire, d'oublier toute verticalité historique, philosophique ou civilisationnelle, pour s'effacer devant l'Autre, se désencombrer de soi, se « désoriginer », dans un éther indifférencié, un rêve d'indistinction mortifère. Oublier tout ce qu'il y a de singulier, de spécifique, de saillant, de violent même, en eux pour devenir cette cire molle sur laquelle ce nouveau clergé progressiste imprime jours après jours cette religion victimaire des droits de l'homme et de l'antiracisme dogmatique : « Tel est le secret de l'Europe. Nous ne sommes rien »

Or paradoxalement, l'Europe est sans doute une des aires civilisationnelles qui accueille le plus d'étrangers (« migrants » dans la novlangue moderne) sur son sol et qui se montre la plus accueillante et généreuse pour ceux qui choisissent d'y vivre, mais ça n'est pas le terme de xénophilie qui est sur toutes les lèvres mais celui de xénophobie ! Nombre de contempteurs d'une europe occidentale soi disant xénophobe faisant d'ailleurs souvent référence au terme d'Europe citadelle, sous entendant une volonté et une politique de fermeture inconditionnelle de nos territoires aux étrangers.

Pour le meilleur comme pour le pire, les Européens et l'Europe -au sens civilisationnel- se distinguent au contraire par une ouverture, une curiosité sans pareille vis-à-vis de l'altérité, de l'étranger ; d'Hérodote visitant le monde barbare ou les Jardins de Babylone, à Neil Armstrong et son « petit pas pour l'homme » en passant par Marco Polo et Colomb. En bon lecteur de Jared Diamond, j'ai -aussi- tendance à considérer que plus une civilisation est riche et puissante, plus elle a tendance à produire des hommes aventureux, des bateaux pour naviguer loin et des armes pour asseoir leur domination...Il n'empêche, c'est le destin, le fatum, des occidentaux.

Si le cuistre Marcelle était un peu moins haineux de lui-même, il pourrait saisir, ne serait-ce qu'en relisant Lévi-Strauss que, pour survivre, c'est-à-dire se conserver dans le changement, une culture a toujours recours à une certaine xénophobie, tout au moins un certain ethnocentrisme.

« (...) Nulle inconséquence, pourtant, ne saurait être reprochée à Lévi-Strauss. On ne voit pas par quel enchantement des hommes enfoncés chacun dans sa culture seraient saisis d'une passion spontanée pour les genres de vie ou les formes de pensées éloignées de leur tradition. Si, d'autre part, la richesse de l'humanité réside exclusivement dans la multiplicité de ses modes d'existence, si l'honneur d'avoir crée les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie, ainsi que l'écrit Lévi-Strauss et comme le disent en d'autres termes les grandes professions de foi de l'UNESCO, alors la mutuelle hostilité des cultures est non seulement normale mais indispensable. Elle représente le prix à payer pour que les systèmes de valeurs de chaque famille spirituelle ou de chaque communauté se conservent et trouvent dans leurs propres fonds, les ressources nécessaires à leur renouvellement. » (La défaite de la pensée, A Finkielkraut, 1987.).

Comment les européens ont-ils oublié cela ?

Pierre Bérard et Julien Freund voient dans cette xénophilie européenne alliée à un certain ethno masochisme, le propre d'un ethno centrisme dévoyé, d'une croyance irrationnelle en la singularité -la supériorité- de la culture occidentale Européenne; je m'explique : pétris d'universalisme, les européens sont sans doute les seuls au monde à considérer que mettre sa propre culture en retrait et survaloriser celle de l'étranger est la meilleur façon de transmettre (si cela est encore possible) et de faire vivre une tradition culturelle millénaire. Ils sont sans doute seuls au monde à considérer que faire venir sur leur sol des millions d'étrangers en leur enjoignant de ne point abandonner leur culture et de « vivre chez nous comme chez eux » et que, dans le même mouvement, stigmatiser toute manifestation d'une culture autochtone européenne, tout enracinement européen, puisse se terminer autrement qu'en nouvelle Babel. Mais peut-être est-ce une ruse de l'Histoire:

« C'est Nietzsche qui écrit dans La volonté de puissance que l'Europe malade trouve un soulagement dans la calomnie. Mais il se pourrait bien que le masochisme européen ne soit qu'une ruse de l'orgueil occidental. Blâmer sa propre histoire, fustiger son identité, c'est encore affirmer sa supériorité dans le Bien. Jadis l'occidental assurait sa superbe au nom de son dieu ou au nom du progrès. Aujourd'hui il veut faire honte aux autres de leur fermeture, de leur intégrisme, de leur enracinement coupable et il exhibe sa contrition insolente comme preuve de sa bonne foi. Ce ne serait pas seulement la fatigue d'être soi que trahirait ce nihilisme contempteur mais plus certainement la volonté de demeurer le précepteur de l'humanité en payant d'abord de sa personne. Demeurer toujours exemplaire, s'affirmer comme l'unique producteur des normes, tel est son atavisme. Cette mélodie du métissage qu'il entonne incessamment, ce ne serait pas tant une complainte exténuée qu'un péan héroïque. La preuve ultime de sa supériorité quand, en effet, partout ailleurs, les autres érigent des barrières et renforcent les clôtures. L'occidental, lui, s'ouvre, se mélange, s'hybride dans l'euphorie et en tire l'argument de son règne sur ceux qui restent rivés à l'idolâtrie des origines. Ce ne serait ni par abnégation, ni même par résignation qu'il précipiterait sa propre déchéance mais pour se confondre enfin intégralement avec ce concept d'humanité qui a toujours été le motif privilégié de sa domination... Il y a beaucoup de cabotinage dans cet altruisme dévergondé et dominateur et c'est pourquoi le monde du spectacle y tient le premier rôle... » (Pierre Bérard, entretien avec Julien Freund)

Pointons au passage la contradiction consistant à promouvoir un universalisme des droits de l'homme et du genre humain, cette idéologie du Même, et, dans le même temps, un droit à la différence et l'idéologie multiculturelle.

« Les sentinelles de l'antifascisme sont la maladie de l'Europe décadente. Ils me font penser à cette phrase de Rousseau persiflant les cosmopolites, ces amoureux du genre humain qui ignorent ou détestent leurs voisins de palier. La passion trépidante de l'humanité et le mépris des gens sont le terreau des persécutions à venir. Votre ami Alain de Benoist a commencé d'écrire de bonnes choses là-dessus. Dites-le-lui, il faut aller dans ce sens : la contrition pathologique de nos élites brouille ce qui fut la clé du génie européen ; cette capacité à se mettre toujours en question, à décentrer le jugement. Ceux qui nous fabriquent une mémoire d'oppresseurs sont en fait des narcissiques. Ils n'ont qu'un souci : fortifier leur image de pénitents sublimes et de justiciers infaillibles en badigeonnant l'histoire de l'Europe aux couleurs de l'abjection. Regardez ce qu'écrit Bernard-Henri Lévy sur Emmanuel Mounier... C'est un analphabète malfaisant. En 1942, j'étais avec Mounier à Lyon... en prison ! En épousant l'universel, ils s'exhaussent du lot commun ; ils se constituent en aristocratie du Bien... L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie ! » (Julien Freund, ibid)

«L'universel devient la nouvelle légitimité de l'oligarchie ! »...

Sans doute peut-on retrouver dans cette idéologie égalitaire du Même et cette xénophilie inconditionnelle la trace de l'eschatologie chrétienne sécularisée, devenue religion laïque. En ce sens nombreux sont ceux qui, « attachés dans leur Eglise à tout ce dont celle-ci ne veut plus entendre parler, auront du mal à faire croire que le meilleur moyen d'endiguer la « subversion » est de batailler dans une croyance qui les a déjà abandonnés pour passer à l'ennemi. ». Le christianisme en effet, « après avoir été, nolens volens, la religion de l'Occident, après avoir été portée par un esprit, une culture, un dynamisme européens, qui l'avaient précédé de quelques millénaires, le christianisme, opérant un retour aux sources, redécouvre aujourd'hui ses origines. Pour assumer sa vocation universaliste et devenir la religion du monde entier, il entend se « désoccidentaliser ». (...) Nulle idée n'est plus odieuse aux chrétiens que l'idée de patrie : comment pourrait-on servir à la fois la terre des pères et le Père des cieux ? Ce n'est pas de la naissance, ni de l'appartenance à la cité, ni de l'ancienneté de la lignée, que dépend le salut, mais de la seule conformité aux dogmes. Dés lors, il n'y a plus à distinguer que les croyants des incroyants, les autres frontières doivent disparaître. Hermas, qui jouit à Rome d'une grande autorité, condamne les convertis à être partout en exil : « Vous, les serviteurs de Dieu, vous habitez sur une terre étrangère. Votre cité est loin de cette cité. »» (Alain de Benoist, Droite, l'ancienne et la nouvelle, 1979)

Une contrition pathologique secondaire pour Finkielkraut et Venner aux "horreurs du XXième siècle" :

« Nous ne sommes rien ; en effet, aux horreurs du XXième siècle, nos démocraties ont répondu par la religion de l'humanité, c'est-à-dire par l'universalisation de l'idée du semblable et la condamnation de tout ce qui divise ou sépare les hommes. (...) Cela signifiait que, pour ne plus exclure qui que ce soit, l'Europe devait se défaire d'elle-même, se « désoriginer », ne garder de son héritage que l'universalisme des droits de l'homme. Tel est le secret de l'Europe. Nous ne sommes rien. » (Alain Finkielkraut, entretien au Monde des 11 et 12/11/2007)

« Et le lecteur méditatif songera que la tentation est forte, pour l'Européen lucide de se réfugier dans la posture de l'anarque. Ayant été privé de son rôle d'acteur historique, il s'est replié sur la position du spectateur froid et distancié. L'allégorie est limpide. L'immense catastrophe des deux guerres mondiales a rejeté les Européens hors de l'histoire pour plusieurs générations. Les excès de la brutalité les ont brisés pour longtemps. Comme les Achéens après la guerre de Troie, un certain nihilisme de la volonté, grandeur et malédiction des Européens, les a fait entrer en dormition. A la façon d'Ulysse, il leur faudra longtemps naviguer, souffrir et beaucoup apprendre avant de reconquérir leur patrie perdue, celle de leur âme et de leur tradition. » (Dominique Venner, Ernst Jünger, Un autre destin européen, 2009).

Il est peut-être temps de dire merde à ce petit clergé bien-pensant et haineux. Il est peut-être temps de s'émanciper de ces mythes incapacitants (colonisation, affaire Dreyfus, Vichy, Shoah, totalitarismes, islamophobie, etc.) savamment instrumentalisés pour réduire les européens au silence et à la contrition. Il est peut-être encore temps -pour certains- de redevenir des hommes.

Voilà, je voulais faire festif et ça dérape, bordel!


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