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Thibaud Croisy, Je pensais vierge, mais en fait non : troublant

Publié le 06 juillet 2010 par Jérôme Delatour


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Thibaud Croisy habite un bout de quartier noir très coloré, où le marché s'improvise à toute heure sur les trottoirs : une palette sur les bornes des Vélib' et les tréteaux sont levés.

Il a imaginé une performance en chambre. Enfin c'est un peu vulgaire de le dire comme ça. Surtout que la performance en chambre, c'est un peu à la mode. Souvent contraint et forcé, à défaut d'avoir une salle pour soi. Mais jouer en chambre, ou dehors, dans un parc, dans un bois, dans la rue, sous un pont, c'est au fond tellement mieux que dans une salle. Parce qu'on en est un peu prisonniers, de ces salles : on les a construites, on les a payées, il faut bien jouer dedans, n'est-ce-pas ?

Pour Thibaud Croisy, évidemment, c'était un choix. Le choix de sortir des conventions, le choix d'un rapport intime, presque sensuel avec son public, car il vous invite lui-même dans son propre 2 pièces, dont il a préalablement vidé le séjour-cuisine pour vous accueillir.

On est timide forcément, on a le sens du sacré. On sait que ça va se jouer là, alors on se plaque contre les murs. Et puis le maître des cérémonies s'est emparé du canapé, avec l'air jubilatoire d'un érotomane des beaux quartiers. Ce qui se joue est une épiphanie. Oh c'est apparemment une chose très simple : une femme attablée qui habite cet espace dans le silence, accomplit le rituel du quotidien. Mais, à bien y regarder, elle a des gestes qui le transcendent, venus d'un autre monde. Par des signes sourds elle en ouvre la porte, comme les personnages des tableaux anciens. On devine très vite qu'elle sera nue, comme on vient au monde, et l'on sent à mi-course qu'elle défera tout ce qu'elle a fait, comme une pellicule rembobinée, de sorte que la fin se confond avec le début, et que le milieu n'a pas d'existence. Comme le Big-Bang, vous savez : le monde est en expansion, puis un jour il s'effondrera sur lui-même. Comme la vie : un jour, un coup d'éponge, un coup de zip et nous aurons disparu.

(La maison est une machine à vivre. Elle est notre royaume, et nous voulons toujours croire que nous en sommes les premiers et les derniers occupants. Comme si nous n'étions pas qu'un maillon d'une longue chaîne. Un coup de torchon sur la table, un coup de peinture blanche sur les murs pour éloigner le passé, un peu comme on lave les pots de fleurs, dit-on, pour neutraliser les toxines de son ancien habitant, et tout serait neuf. La maison ne dit rien mais, quoi qu'on en pense, c'est elle qui nous habite. De ses fenêtres, de sa poignée dure, de son parquet grinçant, elle nous meut et nous fabrique).
Il y a du trouble dans cette performance. C'est étonnant, et si réconfortant, d'obtenir autant avec si peu. Qui est cette femme ? Je sais bien que c'est l'admirable Sophie Demeyer, je sais bien qu'elle danse depuis des années pour les Gens d'Uterpan. Mais à cet instant je ne sais si elle joue, si elle danse, où ni qui elle est à cet instant. Sur les photos, je m'apercevrai qu'elle a le physique exact des beautés du XVe siècle, leur corps menu, leur regard rêveur un peu fiévreux, distant, fier.
Là-dessus Thibaud Croisy s'amuse. Il se dédouble, nous embarque pince sans rire sur le terrain du morbide et du paranormal.

Quand j'étais petit, pendant les vacances chez une de mes grands-mères, je m'enfermais au grenier avec le neveu d'une voisine et, après avoir écouté les histoires extraordinaires de Pierre Bellemare, nous pensions très fort à la présence d'esprits et nous nous fichions des peurs bleues.

A la fin, les deux protagonistes repartent comme ils étaient venus, nous laissant seuls dans l'appartement.

Je pensais vierge, mais en fait non, de Thibaud Croisy, a été donné chez l'auteur dans le 18e arrondissement de Paris les 10 et 11 juin 2010, et le sera peut-être encore si vous insistez beaucoup. Voir aussi l'avis de Guy.


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