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131. Not Dark Yet

Publié le 07 juillet 2010 par Dylanesque
En sortant de la gare de Nantes, je sens qu'il y a quelque chose dans l'air, je frissonne. C’est pas tous les jours que Bob Dylan vient jouer à côté de chez moi. La dernière fois, en 2007, il a fallu aller jusqu’à la capitale. Ce fut une première rencontre fébrile, un peu maladroite, mais qui me fait encore trembler lorsque j’y repense. Alors oui, quand j'arrive à Nantes, une certaine angoisse commence à monter alors, pour me calmer, je me cale « Time Out of Mind » dans les oreilles et je monte dans un bus pour me rendre au Zénith. D’ailleurs, valait mieux écouter « Time Out of Mind » que « The Times They Are A-Chagin’ » pour se préparer au concert. 

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Je débarque en fin d’après-midi devant le Zénith, histoire d’avoir une place tout devant, et il y a déjà foule devant les barrières. Tout le monde à la file indienne, et toutes les générations réunis. Des lycéens qui sorte du bac, de vieux connaisseurs qui ont suivi toute la tournée, des familles qui entonnent naïvement « Blowin’in the Wind » et même un gosse d’une douzaine d’années, tout seul, comme un grand. J’avais jamais autant vu de Wayfarer alignés au soleil. Et je me suis rendu compte, en attendant parmi tous ces gens, que ce qui m’inquiétait le plus à l’approche du concert, ce n’était pas la performance du Zim, mais la réaction de son public.  Dylan je m’inquiète pas, je commence à le connaître. Sa voix usé, son orchestre plein de bonnes volontés mais un peu balourd, sa manière de piocher dans son répertoire et de transformer ses plus belles chansons en gros blues, ça me dérange pas. Au contraire, j’adore le vieux Bobby, son allure de cowboy gâteux, de mexican crooner. Chaque concert est une surprise, et la tournée 2010 est un bon cru, alors pourquoi s’inquiéter. Dylan fait ce qu’il veut, et on le suit si on veut, ça a toujours été le cas. Je dis pas que c’est la même histoire que la tournée 1966 ou que le revirement gospel, mais presque. La relation entre l’artiste et son public est toujours problématique, compliqué et comme Dylan est le roi de l’incohérence, ça n’arrange rien. Alors quand j’entends autour de moi, et j’invente rien, des gens parler de lui comme d’un « troubadour engagé », « une sacré légende » ou « du mec qui a inspiré Hugues Aufray », oui, je m’inquiète.  
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Après avoir attendu sous une chaleur épouvantable, j’entre dans une salle où il fait encore plus chaud. Les gens s’agglutinent autour de moi, je dégouline de sueur mais je suis au premier rang. Première victoire. Il faut juste faire un gros effort pour faire abstraction des deux cons qui me marchent sur les pieds en gueulant « Bobby ! » et en réclamant « Soufflés dans le Vent ». Après la traditionnel annonce grandiloquente (et il faut bien le dire, ridicule), les musiciens débarquent, et Bob Dylan apparaît, un grand sourire aux lèvres.  Un grand sourire aux lèvres. Il faut se pincer pour le croire. La canicule lui a peut-être abimé le système ou bien il a un peu trop bu de vins régionaux en coulisses, je n’en sais rien. Ce sourire dérangeant, lui donnant un peu l’air d’un vieil oncle pas clair, il va le garder jusqu’à la fin. Et finalement, c’est assez réjouissant de le voir s’amuser, prendre du plaisir à jouer. C’est pour ça qu’il tourne sans relâche depuis vingt ans, c’est parce que son bonheur, il n’y a que sur scène qu’il peut le trouver. Alors il se met derrière son clavier, et les autres le suivent, l’air très détendus malgré leurs costumes de mafieux.  Musicalement, pas de surprises. On alterne entre blues poisseux et moments de grâces.  Charlie Sexton, le guitariste, entre en transe sur « Rollin’ & Tumblin’ », « High Water » ou « Cold Irons Bound », formidables morceaux de bravoure, où Dylan se ballade tranquillement. Les nouveaux arrangements de « It Ain’t Me Babe », « Stuck Inside of Mobile » et « Visions of Johanna » sont de toute beauté, et c’est un privilège de pouvoir les entendre, de pouvoir recevoir ces monuments en pleine face, remaniés ou pas. Il s’amuse tellement le Dylan qu’il laisse chanter le public sur le refrain de « Just Like A Woman » mais comme la moitié de la salle ne l’avait pas reconnu, c’est un bide. Comme pour « Shelter From the Storm », peut-être mon morceau favori, qui se retrouve massacré en bonne et du forme. J’oublie ma déception très vite en tapant du pied sur un « Thunder On the Mountain » déchaîné.  Pour moi, les deux grands moments restent « What Good Am I ? », où le temps s’arrête, où j’oublie tout, la chaleur, le public, le dos douloureux, où seul la voix rauque qui résonne dans la salle n’a d’importance. Et puis « Ballad of A Thin Man », qui a retrouvé de sa splendeur, qui est magique, déclamé avec fougue, un peu à la manière d’un gospel. Ah oui et l’harmonica est de retour. Pas juste pour un morceau non, Dylan n’a pas arrêté de souffler dedans la plupart du temps. Pour le meilleur comme pour le pire. Avec un véritable conviction en tout cas. En levant les mains au ciel, en esquissant quelques pas de danse, comme un chef d’orchestre sénile. Un harmonica scotché à un micro. C’était très drôle, et parfois somptueux.  Il faut juste oublier ce rappel un peu forcé, où Dylan balance « Like A Rolling Stone » et « Blowin’in the Wind » sans grande conviction comme pour satisfaire ceux qui ont payés pour ça. N’empêche que c’est très mauvais et que même après 50 ans de carrière, c’est douloureux de le voir faire des compromis pour un public qu’il a toujours su diviser avec soin. 
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Une performance inégale donc, mais qui dans ses plus grands moments nous a montré un Dylan majestueux, dont l’aura survole un groupe parfois un peu maladroit, pour nous révéler toute la mage encore caché parmi ses chansons. Dylan a vieilli, ne semble plus avoir toute sa tête, mais il est encore là, et il ne semble pas vouloir partir. Un jour, il va mourir sur scène, et quand je le vois partir après son rappel, sans adresser un mot au public, je me dis que c’est probablement la dernière fois que je l’aperçois. Un concert inégal oui, mais une expérience inoubliable.  Je sors, il fait plus frais dehors. Comme un con, je m’ouvre le genou en trébuchant par-dessus une barrière. Je boîte et je continue de marcher. Les voitures sur le parking manquent de m’écraser, moi je fonce, encore sur mon petit nuage. J’entends des gens qui se plaignent, qu’ils s’attendaient pas à ça, que Dylan n’est plus le même. Moi je suis ravi. Je ne me plains pas. Je savoure.  Dylan n’est plus le même, Dylan est un autre, Dylan est éternel. 

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