Des couleurs compagnonniques mieux datées

M. Christophe Marty, qui a déjà nourri ce blog de découvertes funéraires particulièrement intéressantes, nous a fait parvenir la reproduction d'une de ces petites photos au format carte de visite, que les compagnons affectionnaient beaucoup au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Peu après leur réception, en effet, ils se faisaient photographier en tenue de ville, tenant leur canne et arborant leurs couleurs, tantôt au chapeau, à la boutonnière ou en écharpe.

Cette photo a été découverte à Pexiora (Aude). Elle nous montre un compagnon du Devoir avec ses couleurs à la boutonnière. Détail intéressant : il pose la main sur une statuette de chien, près d'une coupe et d'une bouteille de vin. Il s'agit d'une allusion à la fidélité (le chien) et au vin fraternel.

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Selon le vendeur de la photo, le compagnon serait un dénommé Taparel, issu d'une famille de tonneliers-doleurs, mais les recherches de M. Marty n'ont conduit qu'à des employés de la Compagnie des Chemins de Fer du Midi (ce qui n'est pas incompatible, car il y eut des compagnons qui changèrent d'activité ou bien qui la poursuivirent au sein des compagnies ferroviaires, mais sous une autre dénomination).

Le port des couleurs permet d'écarter les compagnons du rite de Soubise, les tailleurs de pierre passants, les tanneurs (qui la portaient au chapeau), de même que les teinturiers, les chapeliers, les cordiers (qui avaient une façon particulière de les attacher). Ce n'est pas non plus un menuisier ou un serrurier (la canne est trop haute), ni un boulanger (le pommeau n'est pas blanc). Peut-être s'agit-il d'un tonnelier, d'un bourrelier, d'un maréchal, d'un toilier ou d'un tisseur ? Une personne connaissant bien les usages du port des couleurs pourrait-il nous aider ?

Cette photo permet par ailleurs de préciser la date de fabrication d'un certain modèle de couleurs compagnonniques en soie. On sait qu'au cours du XIXe siècle, plusieurs modèles furent fabriqués et diffusés pour les compagnons du Devoir : couleurs fleuries (pour les tailleurs de pierre), couleurs unies (les plus anciennes), couleurs de Sainte-Baume (avec motifs religieux des épisodes de la vie de Marie Madeleine). Cette dernière catégorie a elle-même donné lieu à quatre modèles différents : le plus ancien, vendu exclusivement à Saint-Maximin, puis sa copie fabriquée par les compagnons tisseurs de Saint-Etienne, puis un autre modèle dit "des Trappistes" avec une scène de crucifixion et les lettres DPLD et enfin un modèle dit de la FIS (Fédération Intercompagnonnique de la Seine), car le rouleau qui servait à les gaufrer a été en possession de cette association fondée peu avant 1914 à Paris.

Cette classification a été établie par René Lambert, spécialiste de la Sainte-Baume, et exposée en 2005 dans le tome 7 des Fragments d'histoire du Compagnonnage.

A propos du modèle dit de la FIS, subsiste la question de la date de son apparition. Elle est assurément antérieure à la fondation de la FIS (1911) puisqu'on connaît diverses photos de compagnons, prises vers 1900, qui la portent déjà. On date donc ces couleurs, sans plus de précision, de la "fin du XIXe siècle", et l'on pense qu'elles ont été créées pour identifier les compagnons "restés fidèles au Devoir" (courant du Ralliement) face à ceux qui avaient rejoint la Fédération Compagnonnique de tous les Devoirs réunis (1874) puis l'Union Compagnonnique (1889).

La photo découverte par M. Marty vient apporter une précision sur la date d'apparition de ce modèle de couleur. En effet, on y distingue le motif du compas et de l'équerre entrecroisés, avec un oeil entre les deux : il s'agit bien du modèle de la FIS.

Détail des motifs de la couleur « de la FIS »

Au verso de la photo se trouvent les coordonnées du photographe : V.P. de Baldiwia, 15, rue du Cimier, Tours. Après consultation du service des archives municipales, nous avons appris que ce photographe avait exercé à Tours de 1866 à 1884, année de son décès. Voilà qui nous permet d'affiner un peu la date d'apparition de ce type de couleur, qui est donc antérieur à 1884. Vu le type de vêtements du compagnon, nous serions même tenté de situer la photo autour des années 1870.

Si des personnes possèdent des photos analogues et datées, représentant des compagnons avec ce modèle de couleurs, nous les remercions d'avance de nous les signaler pour compléter cette recherche.

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)