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Revoir "Les moissons du ciel" sur grand écran...

Par Tred @limpossibleblog
Je me souviens précisément de la première fois que j’ai vu Les moissons du ciel de Terrence Malick. L’année 1999 commençait, et alors que sortait le premier film du cinéaste texan depuis 20 ans, La ligne rouge, ses deux perles méconnues des années 70 étaient de nouveau distribuées sur Paris, dans quelques salles art et essai de la capitale. Lorsque je dis « méconnues », j’entends « du grand public » bien sûr, car les cinéphiles connaissaient très bien Badlands (La balade sauvage) et Les moissons du ciel.
Pour ma part, en cette fin de siècle, j’avais 17 ans, étais déjà atteint d’un syndrome de cinémanie aigüe, et souffrais de grosses lacunes cinéphiles dès que l’on remontait au-delà de ma période d’existence. Du coup, lorsqu’en 1998 je lus pour la première fois un article sur le tournage de La Ligne Rouge qui disait en substance que tous les acteurs du cinéma américain étaient prêt à vendre père et mère pour tourner sous la direction du légendaire Terrence Malick, ma première réaction fut « Terrence qui ?? ». Inconnu au bataillon pour l’ado que j’étais et qui n’était même pas né lorsque le cinéaste fut récompensé du Prix de la Mise en scène à Cannes en 1979 pour Les Moissons du Ciel, son précédent film à l’époque.
Mais tout en soif de découvertes que j’étais, je mis un point d’honneur à voir les deux trésors inconnus de Malick lorsqu’à l’occasion de la sortie de La Ligne Rouge, ils firent leur apparition dans quelques salles. Je ne me souviens plus si c’était juste avant ou juste après avoir vu La Ligne Rouge. Si c’était avant, nul doute que l’enthousiasme général pour Malick, et la bande-annonce envoûtante de La Ligne Rouge, m’avaient motivé. Si c’était après, je ne me pose même pas la question, puisque la bataille de Guadalcanal à travers les yeux de Malick est immédiatement devenue un de mes films préférés (11 ans et quelques visionnages plus tard, il reste à mes yeux la quintessence du cinéma américain).
Je me souviens donc bien de la première fois que j’ai vu Les Moissons du Ciel. C’était à cette époque, ce début 1999, dans un cinéma du Quartier Latin. Était-ce le Grand Action ? Le Champo ? Il faudrait que je farfouille dans mes vieux tickets de cinéma pour retrouver précisément lequel… (pour Badlands, aucun doute, c’était au Ciné 104 de Pantin !). Je l’avais donc déjà découvert sur grand écran. Et depuis, je l’ai revu à la télévision. Pourtant pour rien au monde je n’aurais manqué la ressortie des Moissons du ciel, restaurées et flambant neuves (jetez un œil au bandeau illustrant mon blog…). D’autant que le Max Linder Panorama, ce grand écran si agréable et aux qualités techniques remarquables, le programmait.
Ainsi donc, onze ans plus tard, je les ai revues sur grand écran, et dans des conditions tout à fait optimales, ces Moissons. Ce tragique triangle amoureux planté dans un décor à la Edward Hopper, éclairé d’une lumière entre chien et loup sous le ciel texan. Richard Gere qui pour ainsi dire débutait par le summum de sa carrière (je soulignais récemment que son interprétation dans L’élite de Brooklyn était sa meilleure depuis celle des Moissons), Sam Shepard et sa présence magnétique, Brooke Adams avant qu’elle ne tombe dans l’oubli. Et des gueules. Toutes ces gueules de cinéma illustrant parfaitement l’Amérique début 20ème siècle, apparaissant fugacement devant la caméra.
Les films de Terrence Malick ont cela d’extraordinaire que chaque vision équivaut à une première fois. Chaque nouveau visionnage donne l’impression que l’on découvre le film. C’est un cinéma si sensoriel qu’il paraît nouveau à chaque fois que l’on pose les yeux dessus, de nouvelles émotions et de nouvelles sensations prêts à nous envahir. Ce sont ces images, par lesquelles la contemplation devient un art. Ces musiques, destinées à résonner à jamais en nous. Ces acteurs, qui jamais plus ne seront aussi magnétiques.
C’est aussi cette obsession de Terrence Malick pour le bien et le mal. Pour la perte de l’innocence. Pour la profanation du bonheur et du paradis terrestre. Ses héros sont tiraillés entre le bien et le mal. Par eux la nature se trouve pervertie, même si souvent à leur corps défendant. Ils sont à la fois les pécheurs et les victimes. Dans le cinéma de Terrence Malick, dans Les Moissons du Ciel, le paradis existe, mais il est éphémère. L’homme finit toujours par le détourner de sa nature idyllique. Le titre original du film est d'ailleurs Days of Heaven, quelques jours de paradis...
Revoir Les moissons du ciel sur grand écran est un plaisir rare, le plaisir de voir le film à sa juste valeur, dans le seul endroit où la magnificence de l’œuvre éclate totalement. Les films de Terrence Malick nous font toucher du doigt, l’espace de quelques heures, quelques minutes, quelques instants, la sensation de paradis. C’est toujours trop court, mais ces quelques instants de plénitude valent tant d’heures d’autres films, que les déguster est un plaisir incandescent.

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