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Entre la Reine de la Nuit et le Roi Soleil

Publié le 10 juillet 2010 par Marc Lenot

L’exposition du Sud-Africain William Kentridge au Jeu de Paume (jusqu’au 5 septembre) se présente avec une trame de cinq thèmes, mais l’exposition se structure vraiment autour de trois d’entre eux; en effet d’une part les dessins projetés, pour ne pas dire les films d’animation, sur ses alter egos Soho et Felix à l’époque de l’apartheid sont montrés au sous-sol, et, d’autre part, les dessins pour son projet ’Ubu et la Commission Vérité et Réconciliation’ semblent un peu délaissés dans la scénographie générale (mais ils ont l’avantage de bien expliquer sa méthode de travail en dessins au fusain kentridge_21.1278773263.jpgpalimpsestes inlassablement refaits pour construire ses animations projetées).

La salle centrale de l’exposition, consacrée à la Flûte Enchantée, et en particulier à Sarastro et à la Reine de la Nuit, m’a immédiatement évoqué un temple maçonnique au siècle des Lumières, à la fois du fait de Mozart lui-même, mais aussi grâce à la mise en scène de cette salle. Sur un tableau noir, puis dans un théâtre miniature, les mystères se dévoilent : ‘Learning the Flute’, puis ‘Preparing the Flute’. 

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Mais (et j’ai pensé là à Madame de Saint-Ange ordonnant à son jardinier et acolyte Augustin de s’éloigner “Sors, ceci n’est pas fait pour toi” avant la lecture de ‘Français, encore un effort si vous voulez être républicains’), ces Lumières ne sont pas pour tous : Kentridge présente dans cette même salle dans un autre théâtre miniature Black Box (ci-contre; déjà vu à Berlin il y a quatre ans et demi): les Hereros exterminés par l’armée allemande non plus ne sont pas admis parmi les fils de la veuve. Plus loin, les Abyssins, envahis par l’Italie fasciste, sont évoqués dans cette belle anamorphose circulaire (What will come (has already come)).

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Après cet antre central, sombre et mystérieux à souhait, la salle dédiée à l’atelier de l’artiste pourrait être plus classique; mais ce serait oublier le goût du théâtre, de la mise en scène, voire du cabotinage performé de Kentridge (qui se place là sous l’égide de Méliès) . On le voit sur sept petits écrans en train de dessiner, d’accrocher, de déchirer, de rêver, de lire, d’écouter l’inspiration (personnifiée par sa muse nue et évanescente), courant en tous sens, inlassable. Son atelier, dit-il, est comme une projection physique de son cerveau. Le dernier écran, plus grand, montre un mouvement brownien de formes géométriques où on voit des fourmis devenir étoiles, ou l’inverse, comme un écho de ses propres jeux avec le temps et les formes. Cette salle en forme d’autoportrait se révèle simple et émouvante, révélatrice et impudique.

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Le troisième thème majeur, dans la salle en retrait à l’entrée, se réfère à un autre opéra, Le Nez de Chostakovitch (d’après Gogol), que Kentridge vient de mettre en scène à New York (et dont on pourra voir une déclinaison théâtrale le 22 octobre à l’auditorium du Louvre) : on est là dans l’univers constructiviste et moderniste pendant les premières années de l’Union Soviétique. Si la première impression (faute d’en savoir plus) est un peu confuse (formes minimales défilant en tous sens, archives mêlées aux dessins), on se raccroche à une transcription de la condamnation de Boukharine par le PC soviétique, métaphore (historiquement douteuse, mais qu’importe) de l’élimination de tout anti-stalinisme, politique ou artistique : “Je ne suis pas moi, le cheval n’est pas à moi”, je suis irresponsable. C’est comme un discours funèbre sur la fin des avant-gardes.

Allant de salle en salle au Jeu de Paume, puis regardant le DVD du catalogue, on se laisse prendre par l’univers si particulier de Kentridge, sa métamorphose permanente, son inventivité, la fluidité avec laquelle il passe d’un médium à un autre, sa présence personnelle dans son oeuvre (en monsieur d’un certain âge, sérieux et bedonnant, un cordon retenant ses lunettes), et aussi par son ambiguïté et son sens des nuances, témoin critique plus que militant.

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Kentridge est aussi présent au Louvre (jusqu’au 30 août) dans deux salles distantes sous le titre Carnets d’Égypte : je n’ai pas vu la collection de dessins (où se déroule le goût classique de Kentridge, très inspiré par l’antiquité égyptienne, entre autres pour la Flûte Enchantée), mais j’ai aimé les vidéos projetées dans la chambre de Louis XIV, sous le baldaquin à fleurs de lys qui abrita le sommeil et les amours du Roi Soleil, transformé ainsi en scène majestueuse. Dans ces courtes vidéos, Kentridge est le plus souvent présent en double ou en triple, chacune de ses incarnations interagissant avec l’autre : jouant d’instruments, dessinant, écoutant le bruit de papiers froissés, écrivant dans la position du scribe assis, mesurant et inventoriant. Cette dizaine de saynètes oscillent entre le burlesque et l’historique, c’est aussi l’occasion légère d’une réflexion solide sur le mécanisme créatif.

L’exposition vient de San Francisco, en voici une critique et un portefeuille visuel.

Photos 1, 2 et 5 de l’auteur. Photos 3 et 4 courtoisie du Jeu de Paume : Collection of the artist, courtesy Marian Goodman Gallery, New York / Paris, and Goodman Gallery, Johannesburg. © 2010 William Kentridge. Photo : John Hodgkiss, courtesy the artist.
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Invisible Mending, from 7 Fragments for Georges Méliès, 2003, still from 35mm and 16mm animated film transferred to video,1:20 min.
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A Lifetime of Enthusiasm, from the installation I am not me, the horse is not mine, 2008, still from eight-channel video projection, DVCAM and HDV transferred to video, 6:01 min.  


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