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La boucle

Publié le 15 décembre 2007 par Stéphane Kahn

Ça recommence. Un lundi. Aux alentours de midi. Dans cette librairie où l’on vend surtout des disques, quelques hommes entre deux âges, entre bacs à vinyles et rangées de cd. Les boîtiers en plastique s’entrechoquent violemment. Rythmique supersonique pour curieux compulsifs. Le son sec et répétitif couvre le disque qui passe. Tu le connais, mais tu ne l’identifies pas. Les boîtiers claquent. Tu te demandes s’ils lisent les titres, s’ils identifient chaque cd. Le bruit est assourdissant. Inquiétant. 120 bpm. Au bas mot. Comme si le temps leur était compté. Regardent-ils vraiment ces cd ou se rassurent-ils dans le simulacre de l’exploration minutieuse du moindre bac ?
Des vieux disques sous pochettes cartonnées ou de leurs manteaux, tu ne sais trop ce qui sent le plus le renfermé. Ils naviguent entre les rayons. Méthodiquement. Ils ne font pas attention à toi. Ou plutôt si : une fraction de seconde, du coin de l’œil, ils t’ont jaugé, se sont demandés qui tu étais. Tu as vingt ans de moins qu’eux. Ils ne t’ont jamais vu par ici. Tu es venu chercher des 33 tours. Sans but précis, tu déambules. Déambuler, quelle drôle d’idée. Ici, il faut être efficace et pragmatique, ne rien laisser passer, trouver la perle avant le concurrent.
Ce jour-là, tu n’es pas allé travailler. Cette boutique, tu la connaissais le week end. Il y a bien longtemps. C’est là que tu avais acheté Made in Japan. Mais tu ne te souviens pas l’avoir fréquentée en début de semaine, comme là, juste avant l’heure du déjeuner. Tu pressens que certains viennent presque chaque jour, à l’affût des derniers arrivages. Peut-être n’est-ce que la première étape d’un périple journalier qui les mènera ensuite jusque chez Boulinier puis chez Gibert. D’une boutique à l’autre, se retrouvent-ils ? Poursuivent-ils la conversation entamée dans un autre arrondissement ? Peut-être sont-ils même interchangeables… Cette perspective étouffante te fait un peu peur. Tu as une soudaine envie de retrouver l’air libre. Tu vas sortir les mains vides. Tant pis.
Près du rayon rock, les odeurs de frites ou de clopes se mêlent aux rances relents de sueur. Absorbés dans leur quête aussi vague que compulsive, les clients bodysnatchés ne voient rien autour d’eux. Ils ont très vite su que tu n’étais pas de leur monde. Ils t’ont déjà oublié. Du moment que tu ne te retrouves pas en travers de leur chemin, tu leur importes moins qu’une nouveauté en tête de gondole à la Fnac. Il vaut mieux partir avant de finir comme eux qui se frôlent sans se voir, chorégraphie approximative de corps malhabiles et bossus d’avoir été trop longtemps penchés sur les bacs à soldes. Les vendeurs, la soixantaine, ne sont guère plus avenants. Ils classent, ils étiquettent. Inlassablement. Tu leur aurais bien demandé le nom de ce disque si familier, mais le regard dédaigneux de celui qui t’a accueilli sans mot dire t’en dissuade.

Le bras du tourne-disque tressaute.
tourne-disque tressaute. A deux minutes et trente quatre secondes précisément. C’est toujours au moment où tu veux pousser la porte. Ça te revient. Une fois de plus, tu te retrouves au fond du magasin, avec ce type en imperméable qui passe pour la énième fois devant toi en te bousculant… Tu as encore ce disque de Sticky Feet entre les mains, tu étais pourtant sûr de l’avoir posé… Juste avant de sortir… Il y a un instant…
Ça recommence. Un lundi. Aux alentours de midi. Dans cette librairie où l’on vend surtout des disques, quelques hommes entre deux âges, entre bacs à vinyles et rangées de cd. Les boîtiers en plastique s’entrechoquent violemment. Rythmique supersonique pour curieux compulsifs. Le son sec et répétitif couvre le disque qui passe. Tu le connais, mais tu ne l’identifies pas. Les boîtiers claquent. Tu te demandes s’ils lisent les titres, s’ils identifient chaque cd. Le bruit est assourdissant. Inquiétant. 120 bpm. Au bas mot. Comme si le temps leur était compté. Regardent-ils vraiment ces cd ou se rassurent-ils dans le simulacre de l’exploration minutieuse du moindre bac ?
Des vieux disques sous pochettes cartonnées ou de leurs manteaux, tu ne sais trop ce qui sent le plus le renfermé. Ils naviguent entre les rayons. Méthodiquement. Ils ne font pas attention à toi. Ou plutôt si : une fraction de seconde, du coin de l’œil, ils t’ont jaugé, se sont demandés qui tu étais. Tu as vingt ans de moins qu’eux. Ils ne t’ont jamais vu par ici. Tu es venu chercher des 33 tours. Sans but précis, tu déambules. Déambuler, quelle drôle d’idée. Ici, il faut être efficace et pragmatique, ne rien laisser passer, trouver la perle avant le concurrent.
Ce jour-là, tu n’es pas allé travailler. Cette boutique, tu la connaissais le week end. Il y a bien longtemps. C’est là que tu avais acheté Made in Japan. Mais tu ne te souviens pas l’avoir fréquentée en début de semaine, comme là, juste avant l’heure du déjeuner. Tu pressens que certains viennent presque chaque jour, à l’affût des derniers arrivages. Peut-être n’est-ce que la première étape d’un périple journalier qui les mènera ensuite jusque chez Boulinier puis chez Gibert. D’une boutique à l’autre, se retrouvent-ils ? Poursuivent-ils la conversation entamée dans un autre arrondissement ? Peut-être sont-ils même interchangeables… Cette perspective étouffante te fait un peu peur. Tu as une soudaine envie de retrouver l’air libre. Tu vas sortir les mains vides. Tant pis.
Près du rayon rock, les odeurs de frites ou de clopes se mêlent aux rances relents de sueur. Absorbés dans leur quête aussi vague que compulsive, les clients bodysnatchés ne voient rien autour d’eux. Ils ont très vite su que tu n’étais pas de leur monde. Ils t’ont déjà oublié. Du moment que tu ne te retrouves pas en travers de leur chemin, tu leur importes moins qu’une nouveauté en tête de gondole à la Fnac. Il vaut mieux partir avant de finir comme eux qui se frôlent sans se voir, chorégraphie approximative de corps malhabiles et bossus d’avoir été trop longtemps penchés sur les bacs à soldes. Les vendeurs, la soixantaine, ne sont guère plus avenants. Ils classent, ils étiquettent. Inlassablement. Tu leur aurais bien demandé le nom de ce disque si familier, mais le regard dédaigneux de celui qui t’a accueilli sans mot dire t’en dissuade.

Le bras du tourne-disque tressaute.
tourne-disque tressaute. A deux minutes et trente quatre secondes précisément. C’est toujours au moment où tu veux pousser la porte. Ça te revient. Une fois de plus, tu te retrouves au fond du magasin, avec ce type en imperméable qui passe pour la énième fois devant toi en te bousculant… Tu as encore ce disque de Sticky Feet entre les mains, tu étais pourtant sûr de l’avoir posé… Juste avant de sortir… Il y a un instant…
Ça recommence. Un lundi. Aux alentours de midi. Dans cette librairie où l’on vend surtout des disques, quelques hommes entre deux âges, entre bacs à vinyles et rangées de cd. Les boîtiers en plastique s’entrechoquent violemment. Rythmique supersonique pour curieux compulsifs. Le son sec et répétitif couvre le disque qui passe. Tu le connais, mais tu ne l’identifies pas. Les boîtiers claquent. Tu te demandes s’ils lisent les titres, s’ils identifient chaque cd. Le bruit est assourdissant. Inquiétant. 120 bpm. Au bas mot. Comme si le temps leur était compté. Regardent-ils vraiment ces cd ou se rassurent-ils dans le simulacre de l’exploration minutieuse du moindre bac ?
Des vieux disques sous pochettes cartonnées ou de leurs manteaux, tu ne sais trop ce qui sent le plus le renfermé. Ils naviguent entre les rayons. Méthodiquement. Ils ne font pas attention à toi. Ou plutôt si : une fraction de seconde, du coin de l’œil, ils t’ont jaugé, se sont demandés qui tu étais. Tu as vingt ans de moins qu’eux. Ils ne t’ont jamais vu par ici. Tu es venu chercher des 33 tours. Sans but précis, tu déambules. Déambuler, quelle drôle d’idée. Ici, il faut être efficace et pragmatique, ne rien laisser passer, trouver la perle avant le concurrent.
Ce jour-là, tu n’es pas allé travailler. Cette boutique, tu la connaissais le week end. Il y a bien longtemps. C’est là que tu avais acheté Made in Japan. Mais tu ne te souviens pas l’avoir fréquentée en début de semaine, comme là, juste avant l’heure du déjeuner. Tu pressens que certains viennent presque chaque jour, à l’affût des derniers arrivages. Peut-être n’est-ce que la première étape d’un périple journalier qui les mènera ensuite jusque chez Boulinier puis chez Gibert. D’une boutique à l’autre, se retrouvent-ils ? Poursuivent-ils la conversation entamée dans un autre arrondissement ? Peut-être sont-ils même interchangeables… Cette perspective étouffante te fait un peu peur. Tu as une soudaine envie de retrouver l’air libre. Tu vas sortir les mains vides. Tant pis.
Près du rayon rock, les odeurs de frites ou de clopes se mêlent aux rances relents de sueur. Absorbés dans leur quête aussi vague que compulsive, les clients bodysnatchés ne voient rien autour d’eux. Ils ont très vite su que tu n’étais pas de leur monde. Ils t’ont déjà oublié. Du moment que tu ne te retrouves pas en travers de leur chemin, tu leur importes moins qu’une nouveauté en tête de gondole à la Fnac. Il vaut mieux partir avant de finir comme eux qui se frôlent sans se voir, chorégraphie approximative de corps malhabiles et bossus d’avoir été trop longtemps penchés sur les bacs à soldes. Les vendeurs, la soixantaine, ne sont guère plus avenants. Ils classent, ils étiquettent. Inlassablement. Tu leur aurais bien demandé le nom de ce disque si familier, mais le regard dédaigneux de celui qui t’a accueilli sans mot dire t’en dissuade.

Le bras du tourne-disque tressaute.
tourne-disque tressaute. A deux minutes et trente quatre secondes précisément. C’est toujours au moment où tu veux pousser la porte. Ça te revient. Une fois de plus, tu te retrouves au fond du magasin, avec ce type en imperméable qui passe pour la énième fois devant toi en te bousculant… Tu as encore ce disque de Sticky Feet entre les mains, tu étais pourtant sûr de l’avoir posé… Juste avant de sortir… Il y a un instant…
Ça recommence.


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