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Lire sur l'acropole

Publié le 17 juillet 2010 par Abarguillet

LIRE SUR L'ACROPOLE

Après cette traversée littéraire du Maghreb, survolons une nouvelle fois la Méditerranée pour atterrir, cette fois, dans l’autre patrie de la littérature, après l’Italie que nous avons déjà visitée, la Grèce des temps modernes. Car, bien sûr, nous nous limiterons, là aussi aux auteurs des derniers siècles, nous ne visiterons pas la Grèce des grands auteurs classiques des périodes hellénique ou hellénistique. Ce travail pourrait faire l’objet d’un autre travail que je ne saurais pas conduire car, hélas, je n’ai pas fait mes humanités et je ne connais pas la littérature ancienne, ou si peu. Je me contenterai donc de vous proposer la lecture de trois auteurs qui sont à peu près du même âge qui évoquent tous les trois des temps où la Grèce connut, comme une bonne partie de la planète à cette époque, les affres de la guerre avec son cortège de souffrances, de malheurs, d’injustices, de règlements de compte et plus généralement toutes les douleurs qu’on rencontre dans des conflits aussi sauvages. Et, pour nous guider sur ce rude chemin, nous prendrons la compagnie de Panos Karnésis qui, lui, nous conte l’odyssée d’une troupe grecque en perdition dans la région de Smyrne lors d’un autre conflit. Une odyssée qui rejoint les légendes grecques.

Le labyrinthe

Panos Karnésis – 1967 - ….)

La présentation du livre « évoque, bien sûr, le Désert des Tartares de Dino Buzzati » et son armée vaine et puérile mais aussi, et surtout, « un formidable roman épique où résonne l’écho d’une geste plus ancienne ». Le labyrinthe est en fait l’épopée tragique et grotesque d’une brigade grecque défaite en 1919 durant la guerre contre la Turquie, en Anatolie, et qui erre dans le désert pour chercher une issue vers la mer et vers la mère patrie. Cette épopée est retracée à travers quelques personnages qui constituent la théogonie de cette troupe en déroute : le général morphinomane écrasé par l’humiliation de la défaite et le décès de sa femme, le colonel, homme de guerre, qui a perdu sa motivation militaire et qui ne croit plus en sa hiérarchie et dans le pouvoir en place, le prêtre qui a perdu ses ouailles et qui persiste à garder la foi, le médecin militaire qui croit fermement en la science mais qui peu à peu désespère des homme et un caporal, candide au milieu de ceux qui ont le pouvoir, qui ne croit plus qu’en l’amour d’une belle bien hypothétique là-bas au pays. Et cette petite troupe défaite, accablée par la malédiction et les éléments, qui traîne sa misère sous un soleil de plomb avec un vilain secret dans ses bagages qui pèse aussi lourd sur les consciences que sur le moral de ces soldats en déroute.

Ce récit serait trop improbable si Karnézis ne nous invitait pas, par des allusions régulières, à lire cette histoire comme une épopée antique avec ses héros et ses traîtres, ses exploits et ses viles bassesses et tous ces preux guerriers en quête d’une gloire quelconque militaire, religieuse, scientifique ou plus simplement populaire. Et, même l’aviateur, qui aurait pu sauver la troupe qu’il a repérée dans le désert, se brûle les ailes en tombant du ciel comme un Icare, mais en sens inverse, brûlant les siennes en voulant s’évader lui aussi de son labyrinthe. Et le général reste convaincu qu’« il est regrettable de ne pas connaître l’histoire de son propre peuple. Mais presque criminel d’ignorer sa mythologie… Car la mythologie est plus que de l’histoire, …  c’est aussi de la science. »

En ressuscitant l’épopée des dieux de l’Olympe, Karnézis a aussi voulu montrer toute la puérilité des guerres qui régulièrement enflamment ce qu’on appelait encore le « Levant » à l’époque où l’auteur fixe son récit, mais aussi tous les travers de l’humanité, où l’homme confronté aux limites de son existence retrouve tous les instincts et les vices qui le rapprochent du monde animal aux abois. Caleb, le chien du prêtre semble avoir plus d’humanité que les hommes qui l’entourent. Et il ressort de cette épopée comme une fatalité qui rend toutes les bonnes volontés vaines et inutiles devant le l’impitoyable destinée de chacun.

Et, quand l’armée, après avoir retrouvé la ville et l’espoir, prend le chemin de la mère patrie et bien que la défaite et le remord assomment toujours un peu plus le général, la presse pourrait construire avec cette retraite salvatrice une légende où cette « équipée et celle des Dix Mille de Xénophon ? » auraient certaines analogies.

A l’aube de cette nouvelle légende, dans cette armée fuyant Smyrne avec sa population chrétienne, on croit voir parmi les civils qui ont choisi le chemin de l’exil, les ancêtres grecs que Jeffrey Eugenides a fait revivre dans Milddlesex.

Le récit des temps perdus  de Aris Fakinos  ( 1935 - 1998 )

Fakinos raconte l’histoire du couple le plus atypique, au moins l’un des plus atypiques, de la littérature, un couple tout droit issu de la mythologie grecque, Vanguélis le fermier qui loue ses bras de ferme en ferme, et Sophia la fille d’un riche propriétaire qui a embauché le tâcheron pour abattre un arbre gigantesque. Vanguélis raconte à son petit-fils l’histoire de la vie qu’il a menée avec cette femme exigeante qui a toujours su maintenir leur union au-dessus des aléas de la vie, des escapades d’un mari un peu volage, et, surtout, des malédictions de la guerre. Une ode à la vie simple et courageuse de ces paysans grecs qui, à force de courage et d’opiniâtreté, arrachent leur subsistance à une terre souvent infertile. Et, un livre que j’ai bien aimé car il est bourré d’humour et rempli de clins d’œil, un livre frais mais profond qui puise ses racines dans les légendes antiques.

L’enfant de chienne  de Pavlos Matessis  ( 1931 - ... )

Matessis prête sa plume à une vieille comédienne ratée qui, après avoir connu la mendicité, la prostitution innocente, elle a préservé sa virginité, et mille tribulations depuis qu’elle a quitté son petit village d’origine après le décès son père, héros sur le front albanais, et la déchéance de sa mère qui a sacrifié son honneur auprès des soldats italiens pour remplir le ventre creux de ses enfants. Elle n’oubliera jamais les Italiens joviaux, les Allemands brutaux et les bourgeois grecs méprisants et corrompus, mais surtout sa mère, fière, promenée toute une journée par le « bon » peuple, tel le bouc émissaire de toutes les turpitudes que la Grèce connut pendant la guerre entre 1939 et 1945, sous les huées de la foule, le jet d’œufs et les coups des boyaux utilisés comme des fouets. Lorsqu’une troupe de comédiennes passe dans le village, sa vocation éclot rapidement et elle part pour une longue vie d’errance avant d’écrire, comme un testament, ces quelques lignes à la mémoire de sa mère si injustement châtiée.

Gioconda  de Nikos Kokantzis  ( 1930 - ... )

Kokàntzis n’est pas un écrivain, il n’a écrit que ce livre, un tout petit livre, mais un livre si poignant, tellement émouvant que c’est une véritable œuvre littéraire. Inutile de vous dire que j’ai beaucoup aimé ce livre où l’auteur nous raconte son premier amour, en 1943, avec Gioconda une jeune et belle juive qui un jour disparaîtra, emportée par la folie barbare des nazis. Et, ce n’est qu’en 1975 que Kokàntzis raconte cette histoire comme s’il l’avait vécue quelques semaines auparavant seulement, tant elle est empreinte de fraîcheur, de simplicité et d’émotion. Une de ces belles histoires d’amour qui jalonnent la littérature et qui ne peuvent pas laisser indifférent, surtout quand elles sont, comme celle de Gioconda et Nikos, vraies et tragiques. Une « love story » grecque sur fond de génocide des juifs par les nazis.

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