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Par Rose
Elles sont loin, déjà, les journées de juin passées à essayer de dominer la toux du début d’été, tout en écoutant des réponses surprenantes (« J’aime particulièrement Les Chats de Baudelaire, la première version. Parce que la description me rappelle le chat de mon enfance. »). J’avais toujours l’impression d’arriver la dernière et d’être seule à traverser le grand parc discrètement hanté par des chats, justement, croisés au détour de bosquets ou surgissant de dessous une voiture, jusqu’à une salle où une main bienveillante avait laissé une assiette débordante de petits croissants à côté d’un café très correct. Le midi, il y avait des rires et le patron de la brasserie arborait les couleurs de la France sur les joues (c’était la coupe du monde).
Je ne dormais pas assez et les jours hors du parc je lisais dans le jardin (enfin les beaux jours) des nouvelles coréennes envoyées par Patoumi, avec toute la perspicacité qui est la sienne. Le recueil d’Eun Hee-Kyung s’appelle Les boîtes de ma femme, mais le titre pourrait  être : comment ne pas vivre en couple. Les cinq histoires sont des variations sur les désillusions de la vie conjugale en Corée (surtout les premières), l’amour n’existe qu’avant le mariage ou hors mariage. L’une des héroïnes est même délivrée par la mort de son époux qui lui permet de devenir plus séduisante, plus autonome. Les dernières héroïnes choisissent le mariage comme un pis-aller après une déception : il est plus facile de se marier, et on peut très bien vivre seule – en couple. Cela tient en partie aux coutumes de la société coréenne (certains maris restent très tard au travail, s’enivrent avec leurs collaborateurs ; le mariage peut être arrangé par les familles), mais cette atmosphère douce-amère (les véritables couples se disloquent sur des malentendus, des pudeurs) a bien sûr quelque chose d’universel ; l’autre est insaisissable et quand on essaie de renouer le fil de la relation il n’en demeure pas moins opaque.
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Je m’extasiais sur l’écriture, précise, fluide, assez différente, à lire en traduction, des intonations coréennes entendues dans les films ou les cours. En flânant dans une boutique que j’affectionne particulièrement et où l’achat le plus cohérent serait celui du magasin entier (jolie vitrine lumineuse, mobilier, vêtements vintage, œuvres exposées, grands panneaux scolaires, cartes d’amoureux oubliées sur d’antiques présentoirs), j’ai trouvé cette petite carte publicitaire pour un spectacle déjà passé qui m’a paru le parfait marque-page.
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La photo a été faite bien plus récemment, alors que (une histoire de placards à vider) j’avais fait de la purée d’azukis et trouvé une recette de muffins chez les chéchés. Bien après la récolte astronomique de framboises, les longs moments penchée les cheveux dans les feuillages à cueillir les fruits bien cachés et à repousser les branchages exubérants. Comme la première confiture de l’année s’est révélée un peu décevante (une question sans doute de temps de cuisson car j’avais mélangé de la rhubarbe, des groseilles, du cassis et des framboises), ma recette fétiche a été le sirop de fruits rouges, une recette idéalement paresseuse (laisser reposer des fruits un peu chauffés, les baies doivent s’être ouvertes, avec du vin rouge pendant deux jours, avant de faire bouillir avec un poids de sucre équivalent à celui du liquide). Le plus difficile est de mettre en bouteille (la cuisine et moi finissions toutes sucrées).
Ensuite ce fut le temps des concerts de rue. Jeunes femmes en robes de couleurs vives chantant les plaisirs de la vie libre et du braquage de banque (et la nécessité de sortir la lessive assez vite après l’arrêt de la machine pour l’époux abandonné) devant un hospice de briques lors du festival de théâtre de rue (avant débauche un peu vaine de plumes d’ange à la nuit tombée) ; jazzmen devant lesquels se pressaient garçons aux chapeaux de paille et filles aux dos-nus sur peau ambrée, enfants gouailleurs et professeurs de musique ; concert-monstre dont on n’entendait pas bien les paroles après un verre de saint-amour (l’occasion de goûter leurs restaurants préférés, l’afghan dont le patron parle vin avec tant de passion, et les tagines aux fruits qui font aimer le mouton) ; concert au bout de la plage un soir de pluie côtière après avoir un peu trop marché, des chansons d’amour et de soleil qui réchauffent les retrouvailles de deux amis perdus de vue comparant leurs goûts d’aujourd’hui et leurs parcours amoureux, cependant qu’un amateur de jazz me laisse une place sous le parasol-parapluie, parce que décidément je n’aurais pas dû mettre cette robe en coton léger.
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De concerts estivaux sur des placettes italiennes il est question aussi dans deux des cinq nouvelles du dernier livre de Kazuo Ishiguro, Nocturnes, mais ce ne sont pas mes préférées. Enfin, tout de même j’aime beaucoup la première (où l’on découvre pourquoi Tony Gardner, un crooner un peu dépassé, donne une sérénade vénitienne qui fait pleurer son épouse Lindy). Ce n’est pas un roman, mais c’est un recueil cohérent car toutes les nouvelles parlent de musiciens plus ou moins talentueux ou de mélomanes, la plupart arrivés à un stade de leur vie ou de leur carrière où ils s’interrogent sur la possibilité de retrouver un second souffle, les compromis qu’ils ont faits ou sont prêts à faire pour rebondir. C’est profond, existentiel, mais la nouveauté c’est que l’humour, sous-jacent dans les romans précédents (le majordome Stevens sait se mettre dans des situations bien embarrassantes parfois, en lisant très sérieusement un roman à l’eau de rose, par exemple), est ici pleinement exploité, qu’il s’agisse de réparer ses coups de sang, de se venger d’un client acerbe ou de récupérer un trophée égaré dans des cuisines, dans la nouvelle que je préfère. « Nocturne » se passe dans un hôtel de luxe où sont installés les patients d’un chirurgien renommé. Un talentueux saxophoniste de jazz y séjourne, le visage masqué par des bandelettes, espérant que son nouveau visage fera décoller la carrière qui est en train de lui échapper ; il y rencontre précisément la frivole Lindy Gardner, ancienne starlette habituée des bistouris (et donc (ex-)épouse de crooner). C’est une façon de confronter tout en douceur artiste de l’ombre et ambitieuse pleine d’énergie en un duo loufoque dont la conclusion ne manque pas d’une certaine ambiguïté. La rencontre des deux masques dans l’hôtel labyrinthique et en partie en rénovation (comme eux) a un petit côté « Yeux sans visage » (en plus ludique mais tout aussi poétique) qui m’a beaucoup plu.
C’est à cette occasion (grâce à la librivore) que j’ai découvert qu’Ishiguro avait écrit les paroles de certaines chansons de Stacey Kent, dont « Breakfast on the morning tram » qui imagine une rame de tram où les cœurs brisés peuvent se consoler avec des pancakes à la cannelle tandis que le jour se lève.

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