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Le voyage en orient - gérard de nerval : 1. prolégomènes

Publié le 24 juillet 2010 par Rl1948

 

   Le "Voyage en Orient", c'est-à-dire au siècle qui nous occupe, à savoir le dix-neuvième, en Grèce, en Turquie, en Syrie et en Egypte, s'il constituait encore une aventure singulière pour les grands écrivains du Romantisme - Lamartine, Chateaubriand, Flaubert, Théophile Gautier et Gérard de Nerval -, prenait indiscutablement une tournure qui n'allait que se développer au fil des années.

     Certes, depuis la fin de la Renaissance, ces contrées riveraines de la Méditerranée orientale, soumises à une certaine puissance ottomane  - les "Pays du Levant", disait-on initialement, influencé que l'on était encore par la langue commerciale et diplomatique de l'époque -, attiraient manifestement  de plus en plus de touristes. Et non des moindres !

     Je dois à l'honnêteté d'ajouter que pour certains, la relative rapidité des trajets en train que permit la célébrissime Compagnie des Wagons-lits ne fut pas étrangère à cette mode nouvelle. Mais ceci est une autre, très grande histoire ...

   Je l'ai nommé ci-avant, Gérard Labrunie - plus connu sous le pseudonyme de Gérard de Nerval  : c'est de lui donc qu'il s'agissait dans mon billet introductif de la semaine dernière -, fut de ceux qui entreprirent ce périple oriental. 

     Permettez-moi une précision, non pas aux fins de ressasser toujours les mêmes antiennes que l'on retrouve d'anthologies en biographies, mais pour simplement situer cet épisode dans la vie du poète : de nos études secondaires, nous tenons encore en mémoire qu'il connut sa première crise de démence au printemps 1841, qu'il passa huit mois de sa jeune vie - il avait alors à peine 33 ans -, en maison de santé et qu'il décida de ce long déplacement vers les terres lointaines - c'est là où je voulais en venir -, en guise de thérapeutique :

   Je n'ai pas été malade un seul jour depuis mon départ ; ce voyage me servira toujours à démontrer aux gens que je n'ai été victime, il y a deux ans, que d'un accident bien isolé ..., écrira-t-il dans une lettre à son père.

   Pour faire court, j'ajouterai que c'est le 26 janvier 1855 - il était né le 22 mai 1808 -, qu'il fut découvert pendu à un grillage, dans une rue de Paris :

   Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé

   Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :

   Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé

   Porte le soleil noir de la Mélancolie

avait-il écrit un an plus tôt dans le superbe poème - El Desdichado - qui ouvre le recueil des Chimères ...

   Le 2 novembre 1867, Théophile Gautier rappela :

Rue de la Vieille Lanterne

   "Aux premières lueurs d'une aube grise et froide, un corps avait été retrouvé, rue de la Vieille-Lanterne, pendu aux barreaux d'un soupirail, devant la grille d'un égout, sur les marches d'un escalier où sautillait lugubrement un corbeau familier qui semblait croasser, comme le corbeau d'Edgar Poe : Never, oh ! never more ! Ce corps, c'était celui de Gérard de Nerval, notre ami d'enfance et de collège ...

   Ce bon Gérard, comme chacun le nommait, qui n'a causé d'autre chagrin à ses amis que celui de sa mort."

     De ses différents séjours à l'étranger, Nerval rédigera un remarquable Voyage en Orient, publié dans sa version définitive en juin 1851, après être né sous forme d'articles de presse ou de petits recueils qui constitueront parties de certains des chapitres de l'ouvrage terminé.

     J'aime à dépendre un peu du hasard : l'exactitude numérotée des stations de chemins de fer, la précision des bateaux à vapeur arrivant à heure et à jour fixes, ne réjouissent guère un poète, ni un peintre, ni même un simple archéologue, ou collectionneur comme je le suis, aimait-il à préciser.

   Quittant Paris le 23 décembre 1842, il s'embarque à Marseille le 1er janvier 1843, en direction d'Alexandrie, où il arrive le 16 janvier.

   L'Egypte est un vaste tombeau ; c'est l'impression qu'elle m'a faite en abordant sur cette plage d'Alexandrie qui, avec ses ruines et ses monticules, offre aux yeux des tombeaux épars sur une terre de cendres.


   Des ombres drapées de linceuls bleuâtres circulent parmi ces débris. Je suis allé voir la colonne de Pompée et les bains de Cléopâtre. La promenade du Mahmoudieh et ses palmiers toujours verts rappellent seuls la nature vivante ...

   Je ne te parle pas d'une grande place tout européenne formée par les palais des consuls et par les maisons des banquiers, ni des églises byzantines ruinées, ni des constructions modernes du pacha d'Egypte, accompagnées de jardins qui semblent des serres. J'aurais mieux aimé les souvenirs de l'antiquité grecque ; mais tout cela est détruit, rasé, méconnaissable.

   Je m'embarque ce soir sur le canal d'Alexandrie (...) ; ensuite, je prendrai une cange à voile pour remonter jusqu'au Caire : c'est un voyage de cinquante lieues que l'on fait en six jours.

   Le 7 février, il est au Caire, la ville du Levant où les femmes sont encore le plus hermétiquement voilées.

   L'Egypte, grave et pieuse, est toujours le pays des énigmes et des mystères ; la beauté s'y entoure, comme autrefois, de voiles et de bandelettes, et cette morne attitude décourage aisément l'Européen frivole. Il abandonne le Caire après huit jours, et se hâte d'aller vers les cataractes du Nil chercher d'autres déceptions que lui réserve la science, et dont il ne conviendra jamais.

   La patience était la plus grande vertu des initiés antiques. Pourquoi passer si vite ? Arrêtons-nous, et cherchons à soulever un coin du voile austère de la déesse de Saïs ...


   Parce qu'il voulait poursuivre son périple vers la Syrie, Gérard de Nerval quittera l'Egypte le 7 mai suivant.

 

   Si vous le désirez, amis lecteurs, je vous invite à l'accompagner dans ses découvertes cairotes dès samedi prochain ...

(Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Tome 1, Paris, Julliard Littérature, 1964, pp. 7-16, 28-9 et 124-8)


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