Magazine Culture

Maître Eolas, gyrophare dans la nuit française...

Par Fihrist
big-brother-is-watching-you-sarkosy.jpg

« Like a circle for ever returning to the self-same spot. » Edgar Allan Poe

Maître Eolas, autrement dit Maître de la Connaissance, excusez du peu, avocat au barreau de Paris, s'est fendu il y a quelques jours d'un billet fort intéressant, intitulé « Profitons de notre liberté avant qu'elle n'expire ». Il évoque, sans donc entrer dans les détails, la mise en application, samedi dernier, du décret n°2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau tricolore. En gros, quiconque insultera le drapeau sera susceptible de risquer quelques ennuis judiciaires. Nous verrons par la suite qu'il ne s'agit de l'aveu même d'Eloas que d'une mesure de papier (torché ?).

drapeau.jpg

« Rappelons que cette loi indispensable est due uniquement à la photo ci-dessus, primée lors d'un concours de photographie de la Fnac de Nice sur le thème du politiquement incorrect. »

Mettons-nous d'accord au moins sur un point : cette loi me paraît également inutile. Elle a du moins le mérite de montrer, d'une part, que la Fnac a littéralementes goûts de chiottes, d'autre part, à quel point nos symboles semblent fragiles aux yeux d'un gouvernement sss'accommodant pourtant fort bien d'actes largement plus embarrassantsss et symboliques, par exemple inviter le colonel Kadhafi, qui appela naguère au djihad contre la Suisse, ou refuser d'accueillir solennellement le Dalaï-Lama, sous peine de voir nos commandes de Mirage diminuer en conséquence. Déclarer toutefois qu'elle est uniquement due à une œuvrede potache digne d'un film de Blier (on imagine bien Patrick Dewaere se frotter le crottin pour choquer le poulet) me paraît exagéré. Il serait en effet étonnant que deux autres événements autrement plus graves n'aient pas également incité le gouvernement à prendre cette mesure. Je fais référence au drapeau d'un monument au mort brûlé à Boissise-le-Roi en juin dernier, et moins récemment, au drapeau d'une école maternelle de Montélimar dont l'incinération fut accompagnée d'une inscription certes peu soucieuse de l'orthographe mais à la clarté incontestable : « nike la France ».

On peut se rassurer en remarquant que leur auteur a au moins pensé à la majuscule et évité le fréquent amalgame entre emblème national et gouvernement, comme si le premier incarnait le second. Rappelons, puisque certains semblent nager dans la confusion, que ses couleurs ne représentent aucun parti, aucune orientation idéologique, mais la France, tout simplement, donc son peuple avant toute chose, et certainement pas des têtes de gondoles provisoires ni une institution particulière. On ne peut pas à la fois se torcher sur le drapeau et prétendre naïvement qu'on ne visait qu'un élément isolé du pays qu'il symbolise. La trop célèbre formule « la France, tu l'aimes ou tu la quittes » a un aspect dégoûtant auquel je ne souscris pas, mais plus dégueulasse encore m'apparaît l'idée de prendre dans la France uniquement ce qui nous plaît et d'en retrancher ce qui nous débecte.

Plus loin, Eolas cite l'article 5 de la Déclaration des Droits de l'Homme : « La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. » Bien. Je m'étonne tout de même qu'à l'heure où les politiciens de gauche comme de droite sont obsédés par l'idée de faire de la France une contrée apaisée, pour ne pas dire anesthésiée, refilant leur came à des journalistes avides de formules lyriques mais sans consistance, à l'heure, en somme, où l'unité de la nation, dans le sport comme dans le social, est érigée en fin, peu importe les moyens, comme si allaient par magie s'évanouir tous les problèmes, ces mêmes politiciens acceptent sans guère broncher que les symboles de la République soient souillés par des trouillards, de jeunes cons en mal de sensations fortes ou de très peu nombreux mais authentiques fascistes ? Il faut se mettre en accord, mesdames et messieurs. Soit on respecte et fait respecter TOUS les symboles de la République, soit on accepte que ces derniers soient mis à mal. On ne peut empêcher les divisions, on ne peut en démocratie souhaiter leur disparition, mais si l'on prêche pour l'unité à tout prix, attaquer le drapeau nuit à ce projet, que je ne cautionne par ailleurs pas, et lèse la société qui l'aura validé. L'ironie est que ce projet est porté par les socialistes, Martine Aubry en particulier, par certains élus communistes également, et que le « vivre ensemble » aura besoin du secours de tous les symboles possibles et imaginables pour s'imposer. Et ses partisans de considérer leurs insultes comme « nuisibles ». Ce n'est ainsi pas un hasard si, en 2007, Ségolène Royal, avait dans un premier temps invoqué le drapeau et la Marseillaise pour « réhabiliter le patriotisme de cœuret « reconquérir les symboles de la Nation », ce qui mit en rogne Besançenot, Laguiller, Bové et tous ceux qui, à la gauche de la gauche, voient d'un très mauvais oeiœilévocation des mêmes symboles, les assimilant encore, soixante dix ans après, au régime de Pétain. Dans ces conditions, on ne voit d'ailleurs pas bien comment le PS pourrait réussir à persuader l'extrême gauche de soutenir son projet... 2012 risque de nouveau d'être pour son bureau l'année de la gueule de bois. A moins de balancer leur désir d'avenir, leur contrat solidarité et leur ridicule doctrine du « care » férocement analysée par Pierre Poucet dans un article paru sur le Ring.

Quoi qu'il en soit, pour être honnête, se nettoyer l'anus sur le drapeau ne me choque pas, contrairement aux jurés de la Fnac. Comme ne me choque pas l'énième bidet exposé dans un musée. Ce n'est en général qu'une posture sans fond ; je ne crois même pas qu'il s'agisse d'une revendication clairement orientée. Car enfin, à quoi ça sert ? S'attaquer au drapeau demeure, dans le cas le plus audacieux, un geste circonscrit au domaine symbolique et donc remarquablement vain. Ce n'est même pas une critique, puisqu'elle exige tout de même une prise de parole et une argumentation. Il existe bien des manières de crier sa rage et de montrer sa déception. Il y en a des lâches et des courageuses, des faciles et des plus ardues. S'attaquer au drapeau est la solution la plus aisée et à vrai dire la plus impersonnelle, car comment savoir quelle(s) mobile(s) se cachent derrière cet acte franchement idiot ? Haine de la France, dégoût du capital, méprise d'un daltonien, volonté de faire parler de soi, pari entre jeunes oisifs éméchés ? Le choix est vaste... Offrons un bon conseil à ceux et celles qui ne supportent pas notre gouvernement ni notre vulgaire Président, ce qui s'avère tout à fait compréhensible : au lieu de chier, pisser, cracher, éjaculer sur le drapeau français, ou de le brûler comme font les islamistes, pourquoi ne pas plutôt le faire sur celui de l'UMP ou sur un des très nombreux livres écrits, je veux dire, publiés sous le nom de Nicolas Sarkozy ? Et pis, franchement, choisir la photographie d'un homme se torchant sur le drapeau français, il est vrai certainement plus doux au frotté qu'un rouleau de Moltonel triple épaisseur, pour illustrer ce qui est sensé être un acte « politiquement incorrect » est tout à fait comique quand le choix est porté par la chaîne dite culturelle la plus consensuelle de France.

Sur le plan juridique, Eolas explique que « le décret peut être attaqué dans le délai de deux mois devant le Conseil d'État. Le recours n'a que peu de chance d'aboutir, car il y a gros à parier que le gouvernement a suivi les recommandations dudit Conseil consulté sur le projet de décret. Et pour porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme, il faut que cette loi soit appliquée, c'est à dire qu'une personne soit poursuivie. Et je n'imagine pas un procureur en France qui trouvera qu'un tel outrage mérite autre chose qu'un rappel à la loi, et encore s'il est de mauvaise humeur. » Bref, on ne risque rien... Nous en sommes là de l'exposé quand, soudainement pris de convulsions révolutionnaires, le grand défenseur des libertés individuelles s'empresse de faire trembler notre cœur saisi d'effroi devant les procédures dictatoriales de l'État. Comme réponse, il n'a rien trouvé de plus séditieux que d'inciter à... outrager le drapeau : « J'ai donc invité mes lecteurs à profiter de leur liberté avant qu'elle ne disparaisse. Qu'ils outragent un drapeau et publient la photo avant ce vendredi minuit. Au douzième coup, une partie de leur liberté d'expression s'est transformée en citrouille. » Cet audacieux appel du 23 juillet rappelle, toutes proportions gardés, les propos tenus par de dangereux énergumènes dans un article paru récemment dans le quotidien Libération du 21 juin dernier, preuve que l'été sourit aux audacieux. On y lisait, stupéfaits, un appel au désordre public, que dis-je, à la violence envers les forces de l'ordre, qui « vont se plaindre devant le tribunal d'avoir reçu quelques plombs dans l'épaisseur de leurs gilets pare-balles. » Précisons à toute fin utile à ces quinze signataires, parmi lesquelles plusieurs écrivains et un avocat, que tirer sur la police s'apparente, selon le criminologue Xavier Raufer, à « un acte de guerre civile. » Que la police et la gendarmerie ne sont pas des « forces d'occupation » et que les quartiers n'appartiennent pas à leurs habitants, mais à la France, état de droit. « On est soit du côté de la police, soit du côté du peuple. Il n’y a pas de tiers parti », pouvait-on également lire dans ce papier immonde espérant ni plus ni moins que le renversement des forces au profit des barbares mitraillant ou caillaissant les fourgons, terrorisant la population locale, dégradant l'habitat et amassant une fortune en propageant leur dope au vu et au su de tous.

C'est que l'heure est grave, et notre Legolas à la flèche incendiaire a bien vu, lui, que la France avait quelque étrange ressemblance avec le Mordor décrit par Tolkien. De là à faire de Sarkozy un Sauron à talonettes et costume italien... Par une incohérence qu'il se garde bien d'expliquer, peu digne d'un avocat dont la moindre des qualités serait d'être tatillon, la nouvelle loi réduirait considérablement notre liberté, que dis-je, l'aurait fait rien de moins qu'expirer en un dernier râle passé bizarrement inaperçu, alors que l'article 433-5-1 du Code Pénal entériné il y a sept ans, réprimant déjà l'outrage au drapeau, n'a, lui, eu aucune conséquence sur notre précieuse liberté. A ce point de ma lecture, je pensais naïvement que sa tirade digne d'une envolée de Victor Hugo au meilleur de forme était ironique. Ne précisait-il pas quelques lignes auparavant que la loi ne serait de toute façon jamais appliquée par un procureur ? Donc sans aucune conséquence... Mais non. Au contraire :

« Et à tous les patriotes qui viendront me dire que la liberté d’insulter le drapeau ne mérite guère de protection et que la face du monde ne sera pas changée par ce décret, je rétorquerai qu’il n’y a pas de liberté d’insulter le drapeau : il y a la liberté, point. »

Et paf ! Dans la gueule des « patriotes », dont je dois faire partie, puisque je pense effectivement, ainsi que lui-même, comme il s'en apercevrait s'il se lisait un peu plus attentivement, que « la face du monde ne sera pas changée par ce décret. » Eolas ou la liberté de dire tout et son contraire dans un même papier. J'en déduis malgré tout, même si je sens qu'une subtilité m'échappe, que je dispose de la liberté d'insulter notre Maître Yoda si prompt à voir ce que personne voit, à savoir Big Brother incarné par le moindre petit pet législatif dont le souffle n'atteindra pas, quoi qu'il advienne, nos délicates narines « d'hommes libres ». Je viendrais cependant te dire que le drapeau n'a pas besoin d'une loi pour être protégé, que ce n'est pas quelques abrutis effarouchés ou des allumés islamistes qui réussiront là où, en plus de deux siècles, les guerres napoléoniennes, la guerre de 1870, la Première Guerre mondiale, le régime de Vichy et mai 68 n'ont pas réussi, c'est-à-dire à le salir, le décrocher des frontispices et le supprimer de la sphère publique et mentale, malgré quelques tentatives d'un courage, avouons-le, extraordinaire, n'est-ce pas monsieur le photographe ?

L'envolée orwellienne d'Eolas continue de plus belle, s'adressant toujours aux « patriotes », entité brumeuse dont il ne précise pas les caractéristiques :

« Est-ce de cela que vous acceptez de laisser dépendre votre liberté ? Trouvez-vous normal que l'État, dont le rôle est de défendre votre liberté, vous interdise d’en faire usage parce que ça colle bien avec sa communication électorale ? La face du monde ne sera pas changée, non, mais la surface de votre liberté, oui.  »

Calmos, mon gars, tu montes tellement vite sur tes chevaux que tu risques de prendre un coup de sabot au derrière. Ce serait dommage, toi qui as la trempe d'un être capable de chevaucher jusqu'aux Valkyries. Premièrement, où as-tu vu que notre liberté dépendait de « cela » ? Deuxièmement, si la liberté consiste à avoir le droit de commettre quelque chiassure « artistique » ou de me carrer le drapeau dans le fondement en forme de protestation, je ne suis vraiment plus certain que cette liberté nous soit nécessaire. Tu devrais relire un pénétrant ouvrage de Bernanos, « patriote » s'il en est, intitulé La liberté pour quoi faire ? , dans lequel tu trouveras nombre d'excellents moyens d'en user, et des beaucoup plus subversifs et intelligents. Dans mon cas, mais il se peut que nos avis divergent, ma liberté consiste à avoir le droit d'écrire, de publier, de parler, même de chanter sous la pluie si le cœur m'en dit, de voter, de travailler, de payer mes impôts, de m'inscrire à l'université ou au chômage, de me réunir avec des amis, de fumer un bon cigare à la terrasse d'un café, d'accueillir qui je souhaite en mon foyer, de voyager où je le désire, de la manière dont je le désire, pour la période que je désire, de lire les écrivains que j'aime, de me marier, de faire des enfants, d'écouter la musique qui m'émeut, de pisser dans les buissons, de sortir en pyjama pour acheter mon croissant dominical, de prier, d'aller à la messe si je n'ai rien de mieux à faire, de m'engueuler avec qui j'entends, de me faire engueulé par qui en ressent le besoin, d'acheter les produits dont je sois satisfait, et même de voter Front National si un jour je devenais complètement con et allais enfin m'inscrire sur les listes électorales. De tout cela et d'autres petites choses dépendent ma liberté. Vois-tu, je ne m'intéresse pas à la « surface de ma liberté » comme tu dis, mais à sa profondeur. Que veux-tu que cela me fasse si je n'ai pas le droit de communiquer mais qu'on m'accorde celui, indispensable n'est-ce pas, de déféquer sur un symbole dont je me fiche d'ailleurs éperdument, son existence ne changeant absolument rien à l'exercice de ma liberté ?

« Tout le monde n’est pas obligé d’avoir une mentalité de valet. » Ni les habits, hein Eloas, toi qui t'y connaît en costume taillé sur mesure. Tout le monde n'est pas obligé d'avoir une mentalité de Cassandre, également, tu ne t'en prive pourtant pas.

« Le mot France, étymologiquement, veut dire “le pays des hommes libres”. Je suis pour interdire tout outrage à ce nom par l'État. » Rage, on est libres ou pas, au final, Maaaîîître ?


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Fihrist 148 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines