Explication nécessaire : Ce texte fut écrit pour être inséré au Dictionnaire des infréquentables, projet conçu par le critique littéraire Juan Asensio. Ce dictionnaire devait comporter une cinquantaine de biographies d'auteurs disparus (ou enterrés vivants), revisitées par une autre cinquantaine d'auteurs d'aujourd'hui. Le terme d'infréquentable, choisi pour caractériser des auteurs que la doxa d'une époque donnée considère tout bêtement indignes d'elle, ne me paraissant pas approprié et par trop racoleur, et la sélection d'entre eux établie par Asensio étant obligatoirement partiale, j'avais beaucoup hésité à répondre présent à l'appel des biographes souhaités, et n'y ai finalement consenti qu'à la condition de pouvoir introduire mon texte sur Pasolini par la référence à des auteurs qui ne figuraient pas dans la liste proposée et qui me paraissent, à tout le moins, aussi "infréquentables" que Pasolini. Pour cette raison, le texte que vous allez lire est précédé d'une introduction contextuelle et polémique référée à trois auteurs du XXe siècle qui restent, bien plus que PPP, honnis par le volumineux calendrier célébratif de notre temps : Emmet Grogan, Maurice Sachs et Lucien Rebatet.
Il faut cependant croire que l'idée d'infréquentable (autant que celle de sulfureux ou d'impardonnable) revêt une omnipotente réalité dans nos modernes salons littéraires, qui ne cessent pourtant de proclamer leur idéal de tolérance et d'ouverture : cinq ou six éditeurs (dont certains furent même, en passant, des commanditaires) du Dictionnaire des infréquentables s'étant courageusement débandés, 50 auteurs vivants et le concepteur du projet ont été priés de s'asseoir sur leurs portraits. C'est ainsi que celui que j'ai tenté de tresser fut mis en ligne sur mon site Internet le 29 juin 2010.
Infréquentable, Pasolini ?
Vous me diriez Emmett Grogan, l'auteur de Ringolevio, « ragazzo » des faubourgs de San Francisco, monte-en-l'air, camé à 13 ans, prisonnier, désintoxiqué, membre fondateur des Diggers (vous savez, ceux qui ont inventé le slogan « today is the first day of the rest of your life », si joli titre d'une des jolies comédies françaises de notre joli cinéma de maintenant ?) - ce groupuscule situationniste avant l'heure (ou plutôt sans égard pour l'heure : Grogan n'a-t-il pas aussi ruiné toutes ses chances d'être fréquenté même par les situationnistes ce jour où, à Londres en 1967, devant une assemblée d'intellos masturbés en fumeuse réflexion sur la "dialectique de la libération", il se lance pour eux dans un magnifique exposé sur le socialisme et la révolution, très applaudi – en ne manquant pas de leur dévoiler, une fois rendue leur ovation, que son discours était tiré… d'Adolf Hitler). Grogan qui en pleine heure de gloire laissa même les Diggers faire courir le bruit qu'il n'avait jamais existé, que son nom recouvrait celui d'un collectif. Grogan mort dans une rame du métro de New-York à 35 ans, irrémédiablement trahi par les faux tolérants, les faux libérateurs, les faux non-violents et les vrais consuméristes de la très brève ère hippie qu'il avait quasiment inventée sans en retirer que des condamnations, de la fatigue, et ce sentiment terrible que ses congénères même babacoolisés ne sauraient jamais être mieux que des égoïstes et des idiots. Emmett Grogan, qui d'ailleurs ne s'appelait pas Emmett Grogan, mais Kenny Wisdom (1943-1978).
Ou bien Maurice Sachs mort à 38 ans, qui lui non plus ne s'appelait pas de son nom d'histoire, né Ettinghausen, aventurier qui fit florès, qui passa sa vie à louvoyer, à jouir, à se cacher, à voler et trahir amis et ennemis, giton de Cocteau, juif converti au catholicisme par Maritain puis au protestantisme pour épouser aux USA la fille du modérateur de l'Eglise Presbytérienne ; Sachs qui, rentré en France quelque temps après, se fait recommander auprès de Jean Paulhan par Gide, dirige une collection chez Gallimard, publie en 1936 une ode à la gloire de Thorez et du Parti Communiste, se ruine, s'use, affiche sans vergogne son homosexualité en un temps où ce genre de penchants ne donnait pas pignon sur Marais, qui en 1940 milite ouvertement pour l'entrée en guerre des Etats-Unis contre l'Allemagne nazie, trafique au marché noir, puis s'engage au STO, trafique faveurs et influences à la Gestapo en servant aussi, un peu, d'espion pour on ne sait qui, en n'hésitant pas à balancer les trafiquants du marché noir à la police de Vichy. Ayant un peu plus tard refusé de dénoncer un Jésuite engagé dans la résistance, est finalement mis au cachot par la Gestapo, qui l'en sort de force pour le traîner dans la cohorte des prisonniers qu'on pousse vers le Nord pour fuir les troupes alliées, et finit abattu par un SS d'une balle dans la nuque, au matin du 14 avril 1945, parce qu'harassé de fatigue il ne pouvait plus se relever pour marcher encore. Maurice Sachs, parce qu'on ne lit plus Le Sabbat, ni Chronique joyeuse et scandaleuse, ni Chasse à courre. On aurait, à la rigueur, pu le dire « infréquentable », celui-là.
Ou encore Lucien Rebatet (1903-1972), plus impardonnable encore qu'infréquentable, non tant de s'être reconnu fasciste à une période de l'histoire de France où la navigation politique était à vue, et pour cela même où il était tout à fait excusable à un jeune patriote, à un monarchiste dépité du maurrassisme de Maurras comme de l'incurie des républicains de la Troisième, de se laisser séduire par le chant exécrable des Walkyries : contre l'internationalisme socialiste où il lisait les signes, honnis par les héritiers des siècles paysans, de l'abâtardissement des nations ; pour une Renaissance européenne qu'il croyait devoir être nécessairement raciste et antisémite. Impardonnable non d'avoir adhéré à ces projets assassins, mais de l'avoir fait avec courage, avec passion, aucun discernement casuiste ni seulement moral, sans vraiment s'en être jamais amendé, et d'avoir laissé à la littérature des heures de honte deux de leurs plus lucides et puissantes exégèses, Les décombres (1942) et Les deux étendards (1946). Rebatet impardonnable d'être mort vieux et respecté, d'une mort même pas violente.
Mais Pasolini ? infréquentable ?
Des milliers de critiques et de citations, des pâmoisons à la pelle ! 33 ans après sa mort il suffit de taper son nom sur Google : 1 260 000 occurrences ! Vous avez dit « infréquentable » ?
Il a d'abord été enfant, adolescent, puis adulte, puis Pasolini.
Il a d'abord été éduqué, puis lecteur, puis chercheur, puis Pasolini.
Il a d'abord été fasciste, puis communiste, puis Pasolini.
Lecteur, poète, peintre, amoureux, prof, pédéraste, directeur de revues, chroniqueur à la radio, romancier, scénariste, dramaturge, cinéaste, polémiste. Marxiste revendiqué. Révolutionnaire et réformiste. Pédagogue et hermétique. Communiste et démocrate. Catholique sans Église et luthérien sans Luther. Pirate. Pornographe. Blasphémateur pour tous. Pier Paolo Pasolini.
Mais pas du tout infréquentable. Fréquenté sans arrêt, au contraire. Sauf peut-être à l'école, parce qu'il en changeait sans cesse au gré des affectations militaires de son père. Et encore : il ne semble pas avoir souffert alors d'aucune solitude particulière. Bon élève, ce qu'il confirme au Lycée de Bologne, en sautant une classe au moment du Bac, puis à l'Université de la même ville - quand il était jeune fasciste d'office et patriote de gré. Jouait au foot, au basket – a toujours adoré les jeux de ballon, y a joué toute sa vie. Fréquenté aussi, un peu plus tard, quand il faisait le prof pour les jeunes de Casarsa (Frioul), au pays de sa mère et de ses vacances enfantines, où il était revenu se planquer pour éviter la conscription Mussolinienne, les idéaux qu'on lui avait inculqués ne lui paraissant déjà plus aussi impérieux que le devoir humaniste que ses études littéraires avaient commencé de lui forger. Fréquenté aussi là-bas, quand il commençait de peindre des tableaux, d'écrire des poèmes parce qu'il se sentait seul, fréquenté même s'il se sentait seul, dans cet "ancien nid" dont il ne savait pas s'il devait lui être éternité ou exil :
Je ne sais plus si je suis dans mon nid
ancien, lourd d'un temps qui ne passe pas,
ou dans un triste exil.
Mon pays est d'une couleur égarée (1)
Infréquentable ? Allons ! Il fut de son vivant l'un des créateurs les plus fréquentés et les plus discutés du 20e siècle, et il est parti pour continuer longtemps de l'être – si le 21e siècle ne finit pas de sombrer dans l'épaisseur d'inculture auto-suffisante que Pasolini a si bien décrite et redoutée, et qui paraît inexorablement devoir noyer l'intelligence des siècles sous les monceaux répugnants de servilité consentie au consumérisme et au conformisme hédoniste. Infréquentable ? Vivant ni mort – sa mort, plus glauque encore qu'il n'aurait pu l'inventer et que ses nombreux ennemis ne la souhaitaient – il ne l'a jamais été. Pédé, ça oui ! incitateur à la débauche ! détrousseur de bonnes mœurs ! Frioulan – comme d'aucuns furent Félibres ? Patoisant ! provocateur à la violence et à la révolution ! ami des pauvres et de la pauvreté ! auteur et cinéaste à succès ! intellectuel, contempteur de critiques installés, de verbiages rassis ! démolisseur et compresseur d'idéologies ! dix fois traîné devant les tribunaux moisis de l'Italie, des années maffio-démocrates-chrétiennes ! humaniste, linguiste, sémiologue, marxiste et masturbateur d'éphèbes ! conspué et haï par les bien-pensants de tous bords ! réactionnaire ! défendu et quelquefois sauvé par le témoignage de quelques-uns de ceux qu'il avait fustigés, mis au ban par beaucoup d'autres qu'il avait aimés ! Et avec ça beau, gueule d'amour et séducteur en diable ! Il avait tout pour être infréquentable, sûr. Il a tout fait pour ça, en tout cas, au moins pour ne jamais qu'on ait à se poser la question de ses fréquentations, même les plus culturellement et socialement condamnables, les ayant inlassablement revendiquées. Parce que leur fréquentabilité, c'est tout simplement une attitude au monde qui n'intéresse pas les poètes, et que lui n'a sans doute attaché d'importance réelle qu'à ça, la « couleur égarée » : la poésie.
Pier Paolo Pasolini est né le 5 mars 1922 à Bologne. Trop tard et trop latin pour être impardonnable comme Rebatet, né en France la génération d'avant. Trop tôt et trop aimé par ses parents pour être infréquentable comme Grogan, né américain c'est-à-dire sans racines la génération d'après. Et d'une histoire trop linéaire pour mener sa vie à coups de dés à la façon d'un Sachs. Les anarchistes ne naissent pas égaux entre eux.
Arrivé à l'âge où l'on commence à penser par soi-même, après de brillantes études secondaires, Pier Paolo, comme tous les jeunes italiens de son temps se retrouve inscrit d'office, sans enthousiasme mais sans résistance, dans la ligue des étudiants fascistes. Fascistes, pas Nazis, même s'il est de bon ton aujourd'hui de confondre toutes les catégories du socialisme, et de ne plus savoir qu'elles sont toutes issues de la gauche bien-pensante. Fasciste, c'est-à-dire populiste, nationaliste, et désireux de s'engager dans les cohortes du pays qui l'aspire mais qu'il est encore trop jeune pour servir. Alors il va aux putes, drague les filles, s'en croit quelquefois amoureux, s'abstient. Joue au foot et au basket. Transpire entre deux longues bouffées d'ennui ou de mal de ventre.
Écrit des poèmes, en frioulan, souvent trop formels, avec quelquefois des lueurs : "Nuit de lune" - Ils étaient deux :
Son ombre et lui (2)
Nous sommes en 1941, Pier Paolo a 19 ans, plein d'amis à Casarsa où, adolescent prolongé des années d'avant l'indécence télévisuelle, il retrouve l'été son village d'enfance, en rêvant déjà de revues, de poésie active. Plein d'amis (seuls quelques-uns font nombre à cet âge) à Bologne où il vit, à Parme, à Modène… en Émilie Romagne, où il passe les années troubles de toute genèse d'homme en même temps que de la période la plus génocidaire de l'histoire. Pasolini, c'est son âge, s'ennuie. Classiquement en préparant sa thèse. Royalement, en se reconnaissant lentement hors du monde et pourtant fait pour lui. Papa militaire se bat quelque part en Afrique et son sort l'inquiète. Mamma à jamais déjà borde ses oraisons. Le poisson (c'est son signe du Zodiaque) est dans la nasse que deux événements personnels vont étirer aux dimensions de ce monde de fureur et de chagrin qu'il lui faudra essayer de conquérir ou de vaincre.
Le premier de ces événements, il intervient du dedans de lui-même : la reconnaissance de son homosexualité et presque, déjà, de sa pédérastie – ce qu'il appellera souvent plus tard, à la fois pudiquement et ironiquement « les tendances particulières de mon Éros » (chez Pasolini, sexe, pudeur et ironie sont toujours intimement mêlés). Ça se passe vraisemblablement au printemps de 1943, après deux années où le jeune homme souffre à la fois de son éloignement forcé et de certain défaut d'attirance charnelle envers les jeunes filles qu'il essaie de fréquenter. En juin, trois lettres envoyées à ses amis Luciano Serra (3) et Franco Farolfi (4) attestent de ce bouleversement joyeux de son être, de cet "émerveillement" libérateur qu'on éprouve toujours de parvenir à se connaître ce qu'on est.
Le second événement est sinistre : il apprend au printemps 1945, avec plusieurs semaines de décalage, la mort de son frère cadet, Guido, victime le 12 février 1945 avec d'autres membres de sa section Osoppo (5) d'un massacre perpétré par des partisans communistes titistes.
De tout ce qu'il rencontre, de tout ce qu'il apprend, de tout ce qu'il subit, Pasolini fait dialectique, raison. Le monde est confrontation de l'être avec les choses et avec ce qui fait les choses – cette raison qui est en amont des hommes et qu'ils contrarient ou accusent en la subissant. Au sortir de la guerre, à 23 ans, il n'est certes pas encore le rhéteur marxiste des articles qu'il écrira à partir des années soixante (6). Mais sa propre réflexion sur la langue, à travers la poésie dont il s'est enivré toutes ces années « d'exil », sa quête scrupuleuse des mots aptes à dire les choses et les êtres dans leur singularité, dans leur vérité, sans que les mots ne les recouvrent, ne se fassent verbiage, cette exigence de dévoilement tranquille qui l'a amené à écrire en frioulan au Frioul, qui l'amènera à faire parler en romain ses ragazzi (7) de Rome et à toujours vouloir entendre et faire entendre les accents, les dialectes, les langues de ses personnages ou référents (8), cette volonté de "naturalisme" (les guillemets sont de Pasolini) relève déjà de la même économie que celle d'un des penseurs dont il révérera toujours l'inquiétude essentielle, Wittgenstein : se faire le simple miroir dans lequel le lecteur voit sa propre pensée, avec toutes ses difformités, et par lequel il puisse la redresser. (9)
Quel lien y a-t-il, peut-on se demander, entre les deux événements surgis dans l'existence de Pasolini pendant ses années d'exil, et la genèse de sa relation au monde, à l'œuvre, au cadre de sa trajectoire ? J'en vois au moins un. La reconnaissance de sa pédérastie, aussi libératrice qu'elle ait pu lui être intérieurement, et momentanément joyeuse, s'accompagne immédiatement d'un sentiment de culpabilité et même d'indignité qui ne le quittera que beaucoup plus tard, et qu'il exprime, en même temps que sa dilection pour la simplicité rurale, paysages, gens, traditions et corps, dans ses deux premiers récits Amado mio et Atti impuri, écrits en 46 (ils ne seront publiés qu'en 1982, sept ans après sa mort (10)). Or cette propension du sexe à pouvoir faire alterner en nous la joie libératrice et l'enfermement de la culpabilité va, à partir de là, nourrir toute la quête poétique de Pasolini – la reconnaissance en lui de ce mouvement l'éloignant à jamais de tout sentimentalisme, et la nécessité qu'il ressent à le comprendre et à le dire lui faisant prendre le moralisme en horreur.
La mort de son frère, elle, va nourrir selon une dialectique du même ordre, sa quête politique. Jusqu'à cette mort, Pasolini situait son champ d'investigation « hors du monde », non pas vraiment dans l'éther des poètes, mais plutôt dans une sorte d'indifférence aux questions d'efficacité et de gestion pragmatique qu'implique l'engagement politique. La mort de son frère – tué par des communistes desquels il aurait pu être un compagnon d'armes si Pier Paolo (qui s'en voudra toujours) ne lui avait plutôt conseillé de rallier des modérés – outre le drame affectif qu'elle représente évidemment, fait brutalement émerger dans sa conscience la valeur existentielle de la dimension politique, et simultanément son lien infrangible avec le domaine de l'éthique. Si, comme l'écrit Wittgenstein, « le monde est tout ce qui arrive », si cette ouverture à la mystique est et reste pour Pasolini le moyen de comprendre et de faire comprendre le monde autant que le gage de le faire objectivement, sans sentimentalisme, la politique comme acte éthique devient le moyen nécessaire par lequel les hommes peuvent faire que ce qui arrive rende le monde meilleur.
La fin des années 40 en Italie voit l'avènement de la Démocratie Chrétienne, parti à l'idéologie mollassonne héritée de ce « clérical-fascisme » qu'abhorre Pasolini, parti du conformisme bourgeois qu'il abomine et qu'il n'aura de cesse de dénoncer dès lors que, quinze ans de règne plus tard, l'incompétence de ses leaders se sera, de plus, enrichie de tripatouillages maffieux entraînant le pays dans une léthargie endémique et qui paraissait ne pas devoir finir. Mais de la fin des années 40 au milieu des années 50, Pasolini, surtout, écrit et cherche à gagner sa vie. En 1949, il s'installe à Rome, où il vit d'abord de quelques dons dispensés par sa famille. Il donne des cours, publie des recueils de poèmes, déjà glane quelques prix, et, suite à la publication de son premier livre de fiction, Le rêve d'une chose (11), se lie d'amitié avec des personnalités, surtout des poètes et des écrivains.
C'est une citation de Marx qui ouvre Le rêve d'une chose : « Notre devise doit donc être : réforme de la conscience non par des dogmes, mais par l'analyse de la conscience mystique, inintelligible à elle-même, qu'elle se manifeste dans la religion ou dans la politique. Il apparaîtra dès lors que depuis très longtemps le monde a le rêve d'une chose… »
On sent bien ce qui a pu fasciner Pasolini dans cette esquisse de méthode, qui contient tous les éléments qui vont influer non seulement sur son premier roman, mais sur l'ensemble de sa quête intellectuelle : l'effort de liberté et d'objectivité qu'il faut pour comprendre et corriger la conscience de ses contemporains (à commencer par la sienne) ; la certitude que la clé de cette catharsis est à rechercher dans les arcanes mystiques qui fondent ses éternellement décevantes servantes, la religion et la politique ; et cette coda intuitive et poétique, qui voudrait dévoiler par avance un vœu universel, un rêve unique au-delà de toutes tribulations. Quelle est cette chose dont rêve le monde, lui comme elle aussi curieusement indéfinis sous la plume habituellement si pointilleuse du redresseur de la dialectique hégélienne ? Bien spirituel, ou matériel ? Réalité, ou idéal ?
L'action du roman se déroule au Frioul en 1948 et 49, sur le fond des troubles en milieu paysan qui y avaient suivis le « lodo » De Gasperi (12). Bien que d'une facture encore assez classique, on y trouve déjà les principales figures du « paysage discursif » de la narrativa pasolinienne, les thèmes obsessionnels de son imaginaire : personnages issus du sous-prolétariat, diégèse construite autour de héros jeunes, concrétude de leurs préoccupations (le boire et le manger, motifs généralement délaissés par la littérature même réaliste, est un thème récurrent, voire obsessionnel dans toute l'œuvre de Pasolini : ses personnages boivent et mangent et se demandent comment ils boiront et mangeront – ils sont de chair et d'os, et même, dès Les Ragazzi, ils pisseront, et cagueront, comme tout un chacun) importance accordée aux éléments d'environnement naturel (la mer, la lune, les nuages, la pluie, le soleil, le vent, les arbres, l'herbe), mise en valeur du dialectal et de l'idiolectal, précision et ambivalence des descriptions physiques. Une véritable fascination pour la condition et le mode de vie des plus pauvres qui dessine la certitude que l'invention de l'avenir ne saurait advenir que par eux. Cette chose, pourtant, Eligio, l'un des trois jeunes héros, mourra devant ses proches en ne pouvant toujours la nommer qu'en murmurant comme dans un rêve "une chose, une chose…".
On retrouve ce paysage discursif dans les deux romans suivants, Ragazzi di Vita (1955) et Una Vita Violente (1959), écrits dans un style nettement plus personnel, si ce n'est novateur dans la littérature italienne de l'époque. Le projet de ces récits est né de l'immersion de Pasolini dans les faubourgs romains où l'on entasse à l'époque un peuple d'immigrés du sud de l'Italie ou du Latium, race d'ouvriers agricoles que les suites de la guerre et la désertification rurale ont rejetée à la périphérie des villes et qui, selon Pasolini, vivent dans des conditions pré-industrielles, dans un état de misère qui confine à la sauvagerie – constat où l'on sent déjà poindre la nostalgie (mais toute littérature ne naît-elle pas d'une nostalgie ?), qu'il formalisera avec rage vingt ans plus tard, d'un monde, saccagé par la modernité consumériste, où l'âpre authenticité des rapports humains pouvait ressembler à un état d'innocence (13).
Aucune candeur, cependant, dans ces deux romans qui traitent en langage crû des fléaux qui frappent ces milieux de misère et des vices qui y grouillent : faim, tuberculose, morts prématurées, enfance abandonnée, ignorance, déshérence adolescente, paresse, ivrognerie, vol, prostitution, violence… Ce portrait presque documentaire, où la bonne société démocrate-chrétienne fera semblant de ne voir que l'aspect pornographique (les deux livres seront poursuivis pour outrage aux bonnes mœurs et contenu pornographique), se teinte néanmoins d'un fatum et d'un humour emplis de tendresse, que l'écriture, argotique et réaliste dans les dialogues truffés d'idiolectes locaux, et poétique à longueur de digressions sur les décors de l'action, rend palpables. Et la bonne société démocrate- chrétienne, d'avoir fait semblant qu'on puisse l'ignorer, y perdra ses procès, comme au final tous les autres de ceux qui furent intentés aux œuvres de Pasolini.
Car la plupart de ses œuvres et de ses prises de position ont fait scandale. Parce qu'elles parlaient de cul, de violence et d'homosexualité ? Sûrement, la société italienne (14) était si pudibonde. Parce qu'elles dénonçaient les mensonges et les prévarications des puissants d'alors ? Qu'elles prenaient systématiquement le contre-pied de la bonne pensée de ses contemporains ? Qu'elles déroutaient Marx dans les Évangiles et les Évangiles dans l'analyse des rapports sociaux ? Assurément encore. Pasolini avait par dessus tout le goût de la provocation : « Je pense que scandaliser est un droit, et être scandalisé est un plaisir. Et celui qui refuse le plaisir d'être scandalisé est, comme on dit, un moraliste » (15). Mais s'en tenir là serait laisser accroire, au fond, que la vie de Pasolini n'aurait été qu'une posture, fut-elle courageuse, au mieux une suite d'éclairs de génie.
Or, et c'est sans doute ce qui en fit le scandale, c'est sans doute ce qui toujours fait le scandale, sa pensée comme sa quête sont d'une implacable cohérence, toujours, à travers la diversité des modes d'expression qui ont été les siens, et à travers les choix esthétiques qui ont façonné les étapes de son œuvre. Et en point d'orgue à son œuvre, il y a le cinéma.
« Solitaire, parmi cette pagaille, assise sur un rocher, une "nymphette" : elle a un curieux maillot de bain gris acier, un peu sale ou, en tout cas, décoloré par le soleil, qui dissimule son corps, à part la poitrine qui pointe à peine, et les épaules : on dirait un maillot de bain de grand-mère : mais il doit être d'une extrême élégance malgré son aspect pauvre et raccommodé : elle, c'est une fillette du peuple ; et ses quatorze ans précoces font presque peur. Voilà comment une Manon passe sa première adolescence : à s'exhiber, provocante, populaire, innocente et déjà perfide, déjà consciente non du bien, mais du mal qu'il y a dans ses seins qui pointent à peine, dans ses cheveux blonds qui sont encore ceux d'une enfant. » (16)
Pasolini a presque 40 ans quand il s'éprend de ce qui est d'abord surtout pour lui une nouvelle technique narrative : « Si j'ai choisi d'être cinéaste, en même temps qu'un écrivain, c'est que plutôt que d'exprimer cette réalité par les symboles que sont les mots, j'ai préféré le moyen d'expression qu'est le cinéma, exprimer la réalité par la réalité. » Et vrai, ses cadres sobres, presque sans mouvements de caméra, son style de montage, le choix de ses sujets, dès Accatone et Mamma Roma, ses deux premiers films de réalisateur, montrent une vraie continuité dans sa quête pour appréhender et montrer le monde sans pathos, dans la lumière crue de ce qu'il est, de ce qu'il dit. Joie du voyeur et du narrateur, la caméra permet de surprendre à qui les cherche la beauté sans apprêt et la laideur, et même de s'immiscer dans le quotidien sauvage d'un fils rebelle à l'amour infini de sa mère, comme dans celui d'un voyou qui découvre la tendresse et la joie dans les yeux d'une lavandière des faubourgs. La caméra peut montrer, effectivement, ce que les mots ne savent pas bien dire, ou bien figent, ce que les phrases toujours blessent et jugent. Seulement Pier Paolo sait bien que le monde n'est pas que de reflets ni d'images, qu'il est d'abord de chair et d'intention ; et il sait bien aussi combien cette chair et cette intention l'intéressent, et que c'est elles qu'il cherche à atteindre, à percer, à dire. Montrer les choses et les êtres dans leur sacralité (17). Est-ce pour cette raison que ses images, dès les premières, sont aussi éloignées qu'il est possible des essais de « caméra-stylo » de l'avant-garde française qui, elle aussi, cherche à cette époque la meilleure manière de dire le réel ? Est-ce pour cette raison qu'elles sont même si éloignées de la manière « réaliste » ? Est-ce pour cette raison que, déjà, ses dialogues sont si imprégnés de silence, si décousus, si « déportés » ? Je me demande même si Stella, la jeune fille qui transforme la vie du souteneur-petite-frappe Accatone ne tire pas sa force de l'innocente et perfide "Manon" aperçue sur une plage à Lerici quelques mois avant ceux du tournage – je veux dire : cette intransigeance du regard qu'exprimaient alors les mots, les phrases enchâssées à mieux dévoiler le réel (un maillot de bain, une attitude, une histoire), maintenant que la caméra les remplacent, comment construire du sens si ce n'est en « dramatisant » le réel ?
« L'idéal d'une nouvelle technique narrative ne peut-être, écrit-il en janvier 1960 à son ami Luciano Anceschi, que le naturalisme, dans le cas, toutefois, où justement la langue instrumentale, la "koinè", peut donner une garantie absolue de fonctionnalité. Et j'ajoute que, quand je dis naturalisme, je parle de technique : une technique naturaliste au service d'une idéologie qui interpréterait la réalité selon une finalité politique et morale précise (le marxisme) et qui rend donc l'objet inexistant. »
Il me semble (je personnalise, parce que c'est une certitude, mais aussi une absurde réduction de la richesse de son œuvre cinématographique) que les films de Pasolini affichent tous cette volonté de souligner et de combler en même temps l'écart entre « l'objectivité de l'objectif de la caméra » et la nécessité du drame. Ou encore, d'utiliser l'impression de non-médiation qui résulte de l'image animée pour formaliser de l'indicible. Ce qui expliquerait peut-être à la fois le nombre de ses films d'inspiration religieuse, et le scandale qu'ils provoquèrent presque immanquablement, et qu'ils continuent (c'est le miracle de Pasolini l'incroyant) de provoquer en nous, après tellement de temps et de visionnages. Mais il faut bien, pour tenter de comprendre ce qui en eux scandalise (au sens heureux et mystique, pasolinien, du terme), en énumérer au moins quelques-uns.
La Rabbia (18) n'a pas fait scandale, et a probablement été le seul échec commercial total d'un film de Pasolini. Il faut dire que, conçu à base d'extraits documentaires de l'actualité des dix années qui le précédaient, juste mis bout à bout et commentés, il répondait à une commande et fut d'abord projeté en duo avec un film documentaire commandé parallèlement à Giovannino Guareschi (le journaliste et caricaturiste inventeur des aventures de Don Camillo). Le producteur pensait que la confrontation de cet anti-communiste farouche à « l'humour de sacristie » (19) et du sulfureux Pasolini était une garantie de succès commercial – on imagine la fureur de Pasolini lorsqu'il s'est aperçu de cette manigance… N'empêche, il est tout de même allé au bout du projet mais, peut-être pour déjouer le piège du mercanti, parait avoir infléchi sérieusement le ton vivement polémique et critique que décrivent ses premières notes d'intention (20) vers cette lente, amère et majestueuse méditation poétique qu'on connaît. La partie de Guareschi a disparu dans l'oubli qu'elle méritait probablement, mais celle de Pasolini, tout imprégnée des contraintes extérieures et volontaires qu'elle a subies, demeure. Nulle visée religieuse explicite ici, de l'image brute, donc, souvent violente. Pasolini cherche pourtant systématiquement à en transcender le sens, et y parvient si bien qu'il aboutit d'une manière qui pourrait être abrupte mais qui ne l'est absolument pas, au "détour" d'une sorte de stance oraculaire sur la tristesse du monde et l'apparente malédiction des hommes à ne savoir faire de toute joie que de l'horreur, il aboutit de la manière la plus inattendue à réifier … la chair de Marylin Monroe ! et plus encore : à déclarer son amour à cette chair réifiée – son amour qui ne saurait être évidemment, considérant « les tendances particulières de son Éros », que le pur amour des hommes pour la Beauté du monde, pour la beauté qu'ils savent voir et qu'ils ne savent pas aimer :
« Du monde antique et du monde futur, ne restait que la beauté et toi, pauvre petite sœur cadette, celle qui court derrière les grands frères, qui rit et pleure avec eux pour les imiter (…) tu portais ta beauté avec humilité, et ton âme de petite fille de petites gens l'ignorait cette beauté qui sinon n'aurait jamais été – le monde te l'a enseignée et ta beauté devint la sienne (…). »
Le texte, splendide, ne prend tout son relief que de la musique d'Albinoni et des images qui défilent avec lui, des portraits de Marilyn, des plans de procession, de combat de boxe, des vues aériennes de Manhattan. Magie de cet effort d'écart systématique entre le donné brut, « l'objet » – ces images d'archives d'actualité – rendu non pas « inexistant » mais largement secondaire, et cette « technique naturaliste au service d'une idéologie qui interprète la réalité selon une finalité politique et morale précise ». Dans La Rabbia, l'écart se fait gouffre, parvenant encore à dissoudre même les échos du vocabulaire de la lutte des classes dans une atmosphère de métaphysique incantatoire.
Mais venons-en à quelques films de réelle inspiration religieuse (ils le sont presque tous, en réalité) : La Ricotta, en 1963, seul exemple d'une (presque) vraie comédie dans l'œuvre du cinéaste, est aussi le plus bouffon. Mais même dans ce qui est surtout une provocation à l'imbécile esprit de sérieux des catholiques bien-pensants, l'histoire de ce figurant bon larron, qui ne pense qu'à manger pendant le tournage d'une scène de la Passion où les techniciens et les comédiens, ridiculement accoutrés, eux ne pensent qu'à s'amuser pendant les pauses et les séquences crémeusement sulpiciennes qu'essaye de tourner un réalisateur hautain (21) entre deux « crucifiez-les! », « déclouez-les! » répétés à l'infini par ses subalternes, même dans ce film de potache qui vaudra à Pasolini sa première inculpation de réalisateur (blasphème, et atteinte aux bonnes mœurs), il introduit les figures de sa rhétorique particulière, où la vérité de ce qui est montré achoppe sur le sens de ce qui est dit, et où ce qui est dit, par ce qui est montré « dramatise » (et non seulement « raconte ») autre chose… que personne, personnages ni spectateurs du film, n'entend complètement : « il est mort – dira avec autant de cynisme que de commisération le metteur en scène en constatant le décès sur la croix de son insatiable bon larron – c'est la seule manière qu'il a trouvé de nous rappeler qu'il vivait. »
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Le projet de l'Évangile selon saint Matthieu (22) est beaucoup plus ambitieux, et ouvertement chrétien, même s'il ne s'agit pas pour Pasolini d'un acte de prosélytisme – il n'est pas catholique et le revendique. S'il veut tourner l'Évangile selon saint Matthieu – et s'il va en faire ce chef d'œuvre de dépouillement et de religiosité que le film demeure – c'est, écrit-il à Lucio Caruso, pour faire « une œuvre de poésie à la hauteur poétique de ce texte d'une élévation poétique qui (l)'inspire de façon si anxieuse » (23). Exception dans sa manière de construction « naturaliste » parce qu'il veut pour l'occasion tenter d'atteindre, sans le filtre d'aucune dialectique, à la restitution la plus parfaite possible du « seul cas de "beauté morale" sans médiation, mais immédiate, à l'état pur » (24) qu'il ait expérimenté et qui est cet Évangile. Je n'aurai pas l'outrecuidance de raconter ni d'esquisser seulement ici la description de la moindre image de ce film, où la propre mère du réalisateur incarne Marie… Juste, parce que je n'oublie pas tout à fait que notre propos dans les pages de ce dictionnaire est d'expliquer l'infréquentabilité de certains auteurs, et bien que contestant radicalement le bien fondé de ce concept de marketing retors à aucune approche critique d'aucun auteur et moins encore à Pasolini, je pointerai ici une nouvelle figure de la chronique du scandale que la création pasolinienne n'hésita jamais à défrayer : le film, presque unanimement loué par les instances de l'Église catholique apostolique et romaine (ce qui eut pour effet de faire cesser immédiatement les poursuites engagées contre La Ricotta) fut conspué, surtout à cause de son sujet et de ses intentions, par une partie importante du public de gauche qui avait été jusqu'alors la « clientèle » de Pasolini, et par une partie importante de l'intelligentsia marxiste d'Europe. Lucide, Pasolini avait d'ailleurs conclu sa lettre projective du 12 mai 1963 à Bini, par ces deux phrases sobres : « Tout cela remet dangereusement en jeu ma carrière d'écrivain, je le sais. Mais ce serait un peu fort que, aimant de manière si effrénée le Christ de Matthieu, je craigne tout de même de remettre en jeu quoi que ce soit. »
Théorème, en 1968 est, des films (25) d'inspiration religieuse de Pasolini, celui où son art de la métaphore atteint son apogée. L'image (composition des décors, cadre, montage et mouvements de caméra) porte sans conteste les stigmates du dépouillement esthétique de l'Évangile selon Saint Matthieu, et aussi, sans doute parce que sa part discursive est déjà « passée » dans la version littéraire du récit, le traitement réservé à la parole. Entourés d'un écrin de silence, de musique et de bruits d'ambiance choisis, seuls quelques dialogues minimalistes et quelques intertitres scandent en effet le récit, comme si chaque mot, qu'ils soient issus de la banalité du quotidien ou de la Bible, tendait son poids mystique à l'histoire racontée. L'histoire ? L'irruption d'un mystérieux et très beau jeune homme dans la vie privée d'une famille de bourgeois milanais. L'irruption du désir dans le quotidien bien propre et riche d'un père, d'une mère, de leur fille, de leur fils, et de leur bonne. Critique caustique de l'insatisfaction et de la fragilité du monde bourgeois, bien sûr. Mais bien mieux : cet ange de passage, dont la beauté transcende jusqu'au tréfonds de l'être, n'hésite en aucune manière à répondre charnellement à la convoitise qu'il suscite : la bonne, la mère, le fils, la fille, le père, tous y passent – la nudité est à peine montrée (le très joli sein d'Anne Wiazemsky à peine effleuré par l'objectif, c'est tout), l'acte impur à répétition à peine suggéré (peut-être, précisément, parce qu'il n'est pas impur, celui que fait cet ange ?). Ange ou démon (26), il ensemence ses hôtes et, lorsqu'il leur annonce son départ imminent, les bourgeois un par un tentent de le retenir, en lui avouant leur sentiment, profond jusqu'à l'angoisse, d'avoir été par lui bouleversés. La bonne ne dit rien, elle. Il part. Alors chacun de ceux qu'il a sexuellement connus, chacun de ceux que sa chair a aimés est révolté jusqu'au profond de sa chair : la fille entre en extase catatonique, le fils se met à chercher obsessionnellement dans la pratique de la peinture le moyen d'atteindre à la beauté sans en avoir le don, la mère se met à errer par les rues en quête de putains mâles aptes à la sauter, et le père, après avoir vendu son usine, se dévêt en gare de Bologne et part nu à la rencontre du souffle du désert. Quant à la bonne, retirée dans une ferme où elle a d'abord jeûné assise sur un banc, des jours et des nuits sans fermer les yeux, elle s'est mise à faire des miracles et à léviter. Une des dernières séquences du film la montre, se faisant enterrer vivante dans la terre d'une cité en construction, sous une baraque de chantier « taggée » (on disait « bombée », à l'époque) aux armes du Parti Communiste. Scandale encore pour Pasolini, dont c'est désormais devenu la joyeuse habitude : les bourgeois sont outrés, les prolétaires n'y comprennent rien, les ecclésiastiques sont perplexes, les intellectuels de gauche sont partagés entre la jubilation de l'affirmation du caractère révolutionnaire de la liberté sexuelle et la fureur de voir Pasolini frayer encore une fois, et semble-t-il avec conviction, avec les arcanes de la théologie chrétienne.
À ce point de mon exposé, une panique me prend : il faudrait encore parler de tant de films, de tant d'écrits, pour tenter de comprendre la rage et la manière de Pasolini à provoquer le scandale, la maîtrise qu'il acquérait à chaque nouvelle de ses créations à aller plus loin dans la nécessité qu'il sentait, et que nous devrions tous humainement sentir, de déboulonner toutes nos idoles, toutes nos conventions, d'être iconoclastes avant toute adhésion, et si possible ne jamais adhérer à rien d'autre qu'à la vie. Il faudrait expliquer comment, ayant donné ensuite avec La trilogie de la vie (27), la plus belle et néanmoins orgiaque et démesurée leçon de poésie pure au cinéma, il en est venu à « abjurer » ces trois films, au prétexte impartial et lucide qu'ils utilisaient la nudité et la sexualité comme ferment de scandale à une époque (début des années 70) où il n'était plus temps de le faire, l'obéissance aux pulsions sexuelles étant devenue la règle, un devoir de conformité sociale et un exercice sanitaire (nous y sommes encore), au lieu que le sexe devrait n'être toujours qu'une irruption des puissances subversives de l'amour. Pour celui qui chérissait le sexe, qui y voyait l'essence de toute subversion, même les corps sauvages et rudes, soumis et pourtant fiers des adolescents qu'il avait tant aimés étaient à présent rendus par le conformisme social et la fausse liberté consumériste les contenants laids et sans grâce du renoncement à être. Scandale encore, bien sûr : Pasolini était à présent réactionnaire ! Il faudrait montrer à quel point son écœurement était profond, combien l'abattait la destruction brouillonne et vénale des villes anciennes d'Italie, des campagnes d'où les paysans étaient expropriés au profit de techniciens agricoles. Il faudrait s'atteler à expliquer sa rage à voir ses amis intellectuels rester mutiques et « faussement tolérants » devant la généralisation de la barbarie des délinquants juvéniles, se taire aussi quand il les invitait à faire avec lui le procès des incapables et des maffieux de la Démocratie Chrétienne. Il faudrait savoir faire comprendre que son goût immodéré des attaques nominatives, des accusations précises ou énormes, sa hâte à voir se dénouer l'écheveau du mal qui rongeait plus encore l'Italie que le reste du monde, son intempérance et sa « vitupérence » croissantes, étaient la forme bientôt aboutie de sa fidélité aux valeurs traditionnelles de courage civique, de respect humain et de liberté intellectuelle de cette petite bourgeoisie cultivée qu'il n'avait cessé de traquer en lui. Et qu'on y arrive, sans doute, qu'à force de s'être soi-même d'abord absolument scandalisé.
« Ce qui pleure, c'est ce qui change, même si c'est pour être meilleur. La lumière du futur ne saurait cesser un seul instant de nous blesser : elle est là, qui nous brûle en chacun de nos actes quotidiens, angoisse même en cette confiance qui nous donne la vie, dans l'élan gobettien vers ces ouvriers, qui muets arborent, en ce quartier, sur l'autre front humain leur rouge chiffon d'espérance. » (28)
Pasolini se scandalisait, et tenait à scandaliser, parce qu'il ne désespérait pas.
Après avoir un peu tergiversé, hésité, sans doute autant par scrupule envers ces pauvres gens – ces prolétaires, ces paysans qu'il aimait mais dont il n'était pas – que par détestation naturelle de ceux qui avaient tué son frère, il avait au milieu des années 50, s'étant reconnu marxiste de raison (même si, en ce système-là aussi, il fut assez peu "orthodoxe"), fini par mettre sa confiance politique dans les voies du Parti Communiste Italien (29). Jusqu'à ses derniers écrits, il n'en démordit pas, ne cessant au contraire de répéter, lui qui fustigeait les tendances de la jeunesse post-hippie-soixante-huitarde, que les seuls jeunes indemnes de la décadence consumériste étaient ceux qui militaient au Parti. La réitération de cette confiance et de cette exception, réitération qui confine au radotage tant elle se pose abruptement à la fin de presque tous les articles par ailleurs très argumentés, écrits dans les derniers mois de sa vie (30), finit par témoigner d'une espérance quasi messianique dans les quelques forces de la vie qui subsistent à ses yeux et que l'Église, d'avec laquelle un livre de sentences de tribunaux ecclésiastiques paru l'hiver 1974 a consommé son divorce (31), sera selon lui toujours incapable, en dépit de l'enseignement des Évangiles, de mettre en œuvre.
Mendier un peu de lumière pour ce monde ressuscité en un obscur matin ? (32)
La jeunesse : laide, avachie, barbare, complaisamment désespérée (à part la jeunesse communiste). L'Église : irrémédiablement traîtresse à sa vocation (à part la jeunesse communiste). L'Italie : corrompue, vidée de toute sève, à la traîne du nouveau système de production, consumériste et veule (à part la jeunesse communiste). Bien sûr, il y a la jeunesse communiste : mais « il n'y a pas un État au monde (ni l'URSS, ni la Chine, ni Cuba, ni la Yougoslavie) où le pouvoir n'ôte le sourire aux jeunes gens. » (33)Alors, la lumière qui vient à force qu'on la mendie, en ce début des années 70 du 20e siècle, a l'obscure clarté de ce matin en qui il faut pourtant que le monde ressuscite une fois encore. Car comment dire aux hommes ce qui les attend s'ils renoncent, ce qu'ils sont chaque fois qu'ils consentent, chaque fois qu'ils se soumettent, à la grégarité qui les habite ou seulement à eux-mêmes ? Comment parvenir à les scandaliser radicalement, pour toujours, PUISQU'IL LE FAUT ?
Salò, que les circonstances (?) ont fait le dernier film de Pasolini, et peut-être seulement à cause de ça, me parait cependant une œuvre de l'urgence. La première fois que je l'ai vu, à sa sortie au printemps 1976, j'avais 17 ans, le cœur et la tête d'un de ces jeunes qu'il aurait sans doute aimé autant que détesté, un fils de la moyenne bourgeoisie française épris de justice, de marxo-trotskysme, de révolution, de liberté, de mystique – et de scandale. Bien m'en avait pris, ça m'a permis de subir en entier la leçon de ce monstre ! Mais quel malaise, pourtant. L'étrange fascination qu'à peine les dix premières minutes de projection avait suffi à provoquer en moi, seule m'empêcha de m'échapper, de rejoindre dehors les autres spectateurs, qui par vagues désertaient la salle. À la fin du film, après l'atroce scène finale de voyeurisme satanique sur les corps suppliciés des derniers prisonniers vivants, après cette insupportable scène entrecoupée de celle des attouchements homosexuels des voyeurs chefs cherchant leur rut sur fond de tapisserie glauque et de musique sacrée, la valse ultime enfin des deux jeunes collabos évoquant leurs petites amies sur les accords crachés d'un poste de radio – quand la lumière s'est rallumée, le réel, l'aujourd'hui, m'a brutalement paru désirable. Nous n'étions plus que trois ou quatre dans la salle, et bizarrement nous avions tous mon âge. Dehors, le caniveau ruisselait de vomi. Il faisait doux et nuit. Le réel, désirable – parce que ce qui nous scandalise vraiment nous ouvre toujours au devoir d'espérance. Salò venait de clore mon adolescence.
Oui ce film est un monstre, un sommet, l'apogée d'une vie et d'une certaine façon, l'apogée du cinéma. Je ne l'ai que peu revu, il est presque irregardable. Ah ! Oui, qu'il fallait espérer, pour parvenir à un tel insoutenable, à un tel Scandale ! On en a fait et vu depuis, pourtant, des massacres et de l'hémoglobine, des charniers réels ou fictifs, des corps torturés, du sexe à la pelle ! Mais non, au pire un haut-le-cœur, une exaspération, une érection, une colère – jamais rien qui ressemble à cette terreur fascinée, cette horreur absolue, ce rejet viscéral et pourtant impossible, que tout être humain normalement constitué ne peut qu'éprouver devant cette danse macabre… Oui, c'est une danse, un ballet méticuleusement agencé où il n'est plus question cette fois à aucun « objet » de disparaître au profit d'un autre ; où les images se nourrissent des dialogues, des bruits ; où la bande son, texte, musique, densifie chaque plan, chaque décor, chaque corps, chaque visage, chaque mimique ; où l'intention, limpide et insaisissable à la fois, achoppe continuellement sur celle des textes qui en font la trame et des images qui la servent. Et tout ça, d'abord, grâce au coup de génie initial : faire porter quelques grands textes fondateurs ou épigones de la modernité triomphante (34) par quatre dignitaires fascistes de la fin du règne de Mussolini. Sublime ironie ! Il y a en amont du dispositif du récit un rire énorme et primal et, au fond, libérateur (celui de Sade ?) qui nous fait, quoiqu'on en veuille, complice des 120 journées de Sodome, un rire que Pasolini dans l'horreur même qu'il conte fouaille en nous, celui de la Bête qu'aucun effroi ne gèle et que supportent jusqu'à la lie, jusqu'au grotesque les rictus sardoniques et concupiscents des maîtres du supplice – Ah ! la bouche maculée du président forçant un éphèbe à l'embrasser, la fausse solennité de cette montée des marches par les maîtres travestis en douairières se rendant à la noce, les rires des jeunes soldats pendant le banquet coprophage, l'appel christique crié d'un baquet plein d'excréments par une jeune victime au Père qui les a tous abandonnés… Quel plus beau tombeau aux rêves d'innocence d'un siècle d'hédonisme que ces cercles de merde et de sang, que tout conformisme insidieusement appelle ?
Quant au futur, écoute:
ses fils fascistes
navigueront
vers les mondes de la Nouvelle Préhistoire.
Moi, je me tiendrai là,
comme un
sur le bord de la mer
en qui recommence la vie.
Seul, ou presque, sur le vieux littoral
parmi les ruines des civilisations anciennes,
Ravenne
Ostia, ou Bombay - c'est égal -
avec les Dieux qui s'écaillent, vieux problèmes
- comme la lutte de classe -
qui
se dissolvent...
Comme un partisan
mort avant mai 45,
je commencerai à me décomposer doucement,
dans la lumière déchirante de la mer,
poète et citoyen oublié. (35)
Y a pas mal de merde dans la main de Dieu. Pasolini avait fini par en être certain, lui qui n'avait pas arrêté de traquer le réel avec l'amour réaliste et panthéiste qu'il avait des choses, des hommes et même de Dieu. Y a pas mal de merdes, au pluriel, qui font le plaisir et même les rêves des hommes, aussi leurs rets et leur souffrance. Pasolini, poète à succès, romancier à succès, cinéaste à succès, d'un occident épuisé a osé publier les vices et tenter de réveiller la vertu (36). Il devait forcément sentir qu'aussi violente serait la manière dont on pourrait infliger cette aporie aux hommes, sa réalité était pourtant inguérissable. Que les hommes étaient inguérissables, et lui avec. Il s'était tellement ennuyé, puis il avait tant cherché, et tellement joui. Il était sûrement prêt à tout. Même, à deux pas de la mer qu'il avait tant aimée, à être assommé par un pauvre tapin, une petite frappe, un ou plusieurs de ces fils de putes, de ces misérables qu'il avait trop aimés : la nuit de la Toussaint de 1975, Pasolini le scandaleux est mort assassiné par un vulgaire putain. Un mercenaire ? Bien sûr, et qu'importe qu'il fut un ou plusieurs – Pier Paolo, lui, n'en doutait probablement plus, de cet épilogue pour lui du scandale, et je ne serai pas surpris d'apprendre un jour que même, il l'attendait, en allant draguer à Ostia ce soir où la lune presqu'à son apogée faisait rutiler la carrosserie de son Alfa, avant que ses roues ne lui fassent éclater le cœur.
Serge Rivron, septembre-octobre 2008
Notes :
(1) « il mio paese è di un colore disperso » : ce vers, traduit en frioulan ("il mè paîs l'è di colôr samrît"), deviendra le second vers du "Chant des Cloches" dans Poesie a Casarsa, publié en 1942.
(2) Extrait d'un des nombreux textes envoyés à son ami Franco Farolfi, ici en juin 1941 (in Correspondance générale, Gallimard, 1991).
(3) Lettres du 4 et du 24 juin 1943, Correspondance générale.
(4) Un passage de la lettre du 18 juin à Farolfi, tellement déjà pasolinien dans le rapport qu'il établira toujours entre le sexe brut et le tellurique (et à travers le tellurique, avec l'aspiration métaphysique) vaut ici d'être cité. Pasolini y évoque une baignade dans le Tagliamento, une rivière frioulane (je souligne) : « (…) J'y suis arrivé hier à bicyclette, jeune indigène avec un indigène plus jeune, nommé Bruno. Les soldats étrangers qui se lavaient là ont écouté avec stupéfaction nos bavardages rapides et incompréhensibles. Et ils nous ont vus presque honteux plonger sans tarder dans cette eau glaciale et pour eux mystérieuse. Nous sommes restés seuls, et l'orage nous a surpris, au milieu de l'immense grève. C'était un orage blême comme un pénis en érection. Nous avons fui – nous rhabillant en hâte (…) »
(5) Des partisans modérés qu'avait rejoints Guido en mai 44.
(6) Rassemblés pour la plupart dans Empirisme hérétique, Écrits corsaires, Lettres luthériennes et Le belle bandiere (les beaux drapeaux : ce dernier ouvrage, qui rassemble des textes écrits pour l'hebdomadaire du Parti Communiste Italien Vie Nuove, n'a pas, à ma connaissance, été publié en français)
(7) Littéralement "garçons" : Ragazzi di vita (titre "traduit" en français par Les ragazzi)
(8) Je songe ici à sa volonté que les textes de Sade, Barthes, Blanchot, Beauvoir, Klossovski, Sollers… cités dans Salò, soient dits en Français dans la version originale officielle du film.
(9) Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus.
(10) La raison de ce long différé est simple : Amado mio et Actes impurs, aveu publique par Pasolini de sa pédérastie, se réfèrent explicitement à des personnes réelles, même si leurs noms en sont maquillés. Outre qu'on puisse penser qu'il n'aurait pas été judicieux de faire paraître ses récits à l'époque où Pasolini subissait son premier procès pour incitation à la débauche sur mineur (1949), il est plus que probable que l'homme, aussi pudique et doux qu'il pouvait être scandaleux, n'ait pas souhaité gêner les jeunes gens (les garçons et son amie Silvana Mauri) qui avaient inspirés ces récits.
(11) Il sogno di una causa, 1950.
(12) Alcide De Gasperi, président du Conseil en 1946, avait incité par arbitrage ("lodo") à une restructuration du secteur agricole, dominé par un système quasi-féodal où les grands propriétaires terriens avaient tout pouvoir sur les ouvriers agricoles et de plus fortement endommagé par la guerre en indemnisant les propriétaires à la condition qu'ils emploient les nombreux chômeurs.
(13) Dans son réquisitoire des années 74-75 contre la décadence de la société italienne, il prônera même, afin de sauver ce qui reste sauvable des cultures "traditionnelles et universalistes" du sous-prolétariat italien, l'interdiction provisoire de la télévision et de l'école obligatoire ! – recommandations aussi provocantes que visionnaires, à en juger par la pollution continument déversée depuis une trentaine d'années (déjà!) sur "nos chères têtes blondes" par la télévision, et la perte totale des notions d'instruction publique et d'éducation par l'école dont témoigne le démagogue fictio-documentaire ovationné cette année 2008 à Cannes, Entre les murs (on ne saurait mieux dire !)
(14) Et bien d'autres : son dernier film, Salò ou les 120 journées de Sodome, n'a-t-il pas été victime encore tout récemment d'une tentative d'interdiction de projection publique… en Suisse ?
(15) Réponse à Philippe Bouvard lors du dernier entretien télévisé qu'il accorda, le 31 octobre 1975, la veille de sa mort. Dans le même entretien, on trouve aussi cet échange :
P. Bouvard : est-ce que vous avez parfois la nostalgie de l'époque où on vous insultait dans la rue ?
P.P. Pasolini : on m'insulte toujours.
P. Bouvard : ça vous cause un certain plaisir ?
P.P. Pasolini : Je ne le refuse pas, parce que je ne suis pas moraliste.
(16) Note prise sur la plage de Lerici, juin 1959 (in La longue route de sable, traduction d'Anne Bourguignon pour les éditions Xavier Barral, 2005)
(17) Ainsi qu'il le dit à Jean-André Fieschi lors d'un reportage tourné en 1966, Pasolini l'enragé.
(18) La Rage, 1963
(19) Carlo di Carlo, assistant de Pasolini in Teoria e tecnica del film di Pasolini (ed.Bulzoni, Roma, 1979)
(20) Voir in Le belle bandiere (ed. Riuniti, Roma 1996) article du 20 septembre 1962, et aussi le témoignage de Carlo di Carlo.
(21) Magnifiquement interprété par Orson Welles lui-même.
(22) 1964
(23) Lettre de février 1963, Correspondance générale.
(24) Lettre du 12 mai 1963 à Alfredo Bini, Correspondance générale.
(25) Teorema est également un récit en vers et en prose, écrit par Pasolini en 1965, et qui sortit peu de temps avant le film.
(26) Pasolini n'hésitera pas à parler de « Dieu » – voir Pasolini l'enragé.
(27) Le Décaméron (1971), Les contes de Canterbury (1972), les milles et une nuit (1974)
(28) Les cendres de Gramsci (1957)
(29) Auquel il n'a toutefois jamais adhéré et qui, rappelons-le, a été le premier PC du monde à déstaliniser sa doctrine, et à affirmer la possibilité d'un communisme « national » indépendant des diktats de Moscou (même si quand même amplement financé par l'URSS).
(30) Voir Lettres luthériennes.
(31) Voir Écrits corsaires, « l'Église, les pénis et les vagins ». L'article paru dans Tempo en mars 1974, commence ainsi : « L'Église ne peut être que réactionnaire ; l'Église ne peut être que du côté du pouvoir (…) »
(32) Les cendres de Gramsci (1957)
(33) Correspondance générale, lettre à Guido Santano, 24 août 1971
(34) Voir note (8)
(35) in Poésie sous forme de rose, 1964 :
Quanto al futuro, ascolti :
i suoi figli fascisti
veleggeranno
verso i mondi della Nuova Preistoria.
Io me ne starò là,
come colui che
sulle rive del mare
in cui ricomincia la vita.
Solo, o quasi, sul vecchio litorale
tra rùderi di antiche civiltà,
Ravenna
Ostia, o Bombay - è uguale -
con Dei che si scrostano, problemi vecchi
- quale la lòtta di classe -
che
si dissolvono...
Come un partigiano
morto prima del maggio del '45,
comincerò piano piano a decompormi,
nella luce straziante di quel mare,
poèta e cittadino dimenticato.
(36) Persuadé qu'il ne réaliserait plus de film "au moins avant plusieurs années", il était en train d'écrire un roman, une fresque où il voulait retracer tout l'histoire des vingt dernières années de son existence. Ce roman, Petrolio, est paru inachevé en 1992. Malgré la beauté de nombre de son millier de pages, je n'en dirai rien d'autre, parce que les œuvres achevées par Pasolini ont toujours largement dépassé leur projet.