Dans l'un de ses envois, datant d'il y a déjà plusieurs mois, notre fidèle correspondant Christophe Marty nous a joint une photographie d'un cadran solaire polyédrique (en l'occurrence un petit rhombicuboctaèdre) situé dans le parc du château de Flaugergues à Montpellier, donnant l'heure sur 17 de ses faces (il en possède au total 26 : 18 carrées et 8 triangulaires).
Étienne de Flaugergues édifie sa riche demeure dans la campagne montpelliéraine en 1696. Pendant 45 ans, il va l'agrandir, l'embellir et aménager des terrasses et un jardin à la française.
Christophe Marty avait relevé la parenté entre ce cadran et celui situé depuis 1935 sur la grande terrasse du monastère du Mont Saint-Odile à Attrott (67), datant lui aussi du début du XVIIIe siècle et réalisé à l'origine pour l'abbaye cistercienne de Neubourg en Alsace, par les moines. Une sentence en latin y est inscrite de part et d'autre des armoiries de l'évêque de Strasbourg :
Suite:
ASPICIS VMBRA FVGAX
NOSTRAS VT TEMPERET HORAS
VMBRAS VMBRA REGIT
PVLVIS ET VMBRA SVMVS
Tu vois comment l'ombre fuyante indique nos heures. Une ombre régit les ombres. Nous ne sommes que poussière et ombre.
Ce cadran solaire est lui aussi un petit rhombicuboctaèdre et il donne l'heure de multiples endroits du monde (Constantinople, Alexandrie, Ninive, Golfe Persique, Inde, Japon, Congo, Amérique Centrale…) ainsi que les heures « bibliques », « italiques » et « babyloniques ». [Plus d'informations sur ce cadran sur le site de Joël Robic.]
Il possède un proche parent en celui que l'on trouve dans le jardin botanique de Strasbourg, un petit rhombicuboctaèdre datant lui aussi du XVIIIe siècle :
Christophe Marty notait : « Je ne soupçonnais pas cet intérêt pour la gnomonique et les polyèdres chez certains ecclésiastiques au XVIIIe siècle. »
Précisément, la gnomonique fait partie des sujets de prédilection des ecclésiastiques « éclairés » des XVIIe et XVIIIe siècles et cela donne lieu à la publication de plusieurs livres enrichis de plans et de gravures. Parmi ces classiques figure en bonne place le Traité d'Horlogiographie de Dom Pierre de Sainte Marie Magdeleine, (première édition vers 1660, nombreuses rééditions jusque durant le XVIIIe s.).
Sur le frontispice, on voit aussi des polyèdres... et le thème général de celui-ci est discrètement repris dans le frontispice du Rôle des Compagnons Passants tailleurs de pierre d'Avignon en 1782, où figurent au premier plan, entre autres images et symboles des arts et des sciences utiles aux tailleurs de pierre — et les sphères céleste et terrestre —, des éléments relatifs à la gnomonique : un cadran solaire et une boussole.
Il ne faut en effet pas oublier que ces magnifiques cadrans solaires qu'affectionnent le clergé et la noblesse de cette époque sont finalement réalisés par des tailleurs de pierre. Ils s'y intéressent donc et il est assez probable, vu leurs connaissances en géométrie et en descriptive, que certains d'entre-eux sont en mesure de réaliser les calculs nécessaires pour les concevoir et en proposer la réalisation à leurs riches commanditaires.
Dans tous les cas, le frontispice du traité d'horlogiographie de Dom Pierre de Sainte Marie Magdeleine vient curieusement nourrir l'arrière-plan symbolique du Rôle, atypique, des Compagnons Passants tailleurs de pierre d'Avignon : le navire et la tour. Dans le contexte de la symbolique compagnonnique, Laurent Bastard et moi avions pensé dans Travail et Honneur que le navire était une allusion à celui qui avait ramené Maître Jacques, le fondateur légendaire des Compagnons Passants tailleurs de pierre, en Gaule depuis la Terre Sainte. Et que le phare était un symbole de la lumière du Devoir brillant au-dessus des tumultes de la vie. On voit ici que si cette interprétation n'est évidemment pas exclue, elle se greffe sur un substrat d'emprunt graphique qui n'est pas sans posséder une importante signification, eu égard au rôle que jouent les arts et les sciences dans l'idéal compagnonnique.
J'en profite pour lancer un appel... Il y a plusieurs années déjà, j'avais relevé dans l'International Bibliography of Gnomonica (1997), de C.K. Aked et Nicola Severino, la référence à l'ouvrage suivant :
« ANONYMOUS. L’horlogiographie universel(...) Pour l’usage et la facilité des compagnons tailleurs de pierre et maçons qui font leur tour de France, Paris, 1768. »
Ayant immédiatement lancé une recherche — la mention explicite aux Compagnons tailleurs de pierre et maçons du Tour de France dans le sous-titre étant en effet exceptionnelle et du plus haut intérêt —, cette référence bibliographique s'est avérée non seulement introuvable mais aussi invérifiable, quant à son existence même, par une citation dans d'autres sources documentaires.
Contacté, Nicola Severino n'a pu m'apporter de précisions. Il semble que ce soit une référence croisée au cours de ses recherches, mais non consultée. Il est au demeurant probable que cette référence soit finalement identique, à cause du titre et de la date indiqués, à cette autre référence figurant elle-aussi dans l'International Bibliography of Gnomonica, mais qui est tout aussi introuvable et invérifiable quant à son existence même :
« MADOUREL, L’Horlogiographie universelle, pp. 22, Paris, 1768. »
La consultation des catalogues de la BnF n'a rien produit, ni sur le titre, ni sur l'auteur. Quelqu'un possède-t-il des informations quant à cet ouvrage ?
Le titre, Horlogiographie universelle, pourrait faire allusion à La Gnomonique universelle de Richer, un des grands classiques de l'époque, aux côtés de La Gnomonique pratique de Bedos de Celles.
Sur le petit rhombicuboctaèdre, voir l'article de Wikipedia.
L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)
Jeu de briques
Snake
Pacman
Bubble
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 17 août à 22:34
Je ne connaissais absolument pas les polyèdres, merci pur ce bel article...