Melvin Van Peebles a déjà tourné Watermelon Man pour la Columbia en 1970 quand il a l’idée de son film. Cette fois il ne veut pas d’un fil à la patte.
Jamais les studios hollywoodiens ne le laisseront faire un film noir au sens où ceux-là ne seront pas présentés comme la vision qu'aurait un blanc de ce que doit être un noir.
Alors Van Peebles se débrouille pour boucler son budget, avec une petite rallonge accordée par Bill Cosby, monter une équipe et tourner son film.
L’homme n’est pas un imbécile, il sait que les syndicats desquels dépendent les techniciens vont lui mettre des bâtons dans les roues. Il leur fait croire qu’il tourne un film pornographique sans intérêt, un peu comme Lialeh de Barron Bercovichy qui ne vaut que par la bande-son composée par Bernard « Pretty » Purdie.
Les détails du tournage sont donnés par lui-même dans un livre au même titre que son film, sans compter que son fils Mario a réalisé Badass qui retrace l’histoire de Sweetback.
Melvin Van Peebles est le producteur, le scénariste, le réalisateur et l’acteur principal de son film. Il faut ajouter qu’il a composé la musique originale de la bande-son qu’il a fait interpréter par un groupe méconnu à l’époque et qui n’avait pas encore enregistré d’album, Earth, Wind & Fire.
Le film est une volonté de donner à la communauté afro-américaine sa propre esthétique. Au-delà des longs discours et des diatribes ironiques-méprisantes à la Chester Himes, Van Peebles illustre avec maestria la position des noirs au sein des Etats-Unis racistes et encore apeurés de la force révolutionnaire dont ont fait montre certains afro-américains. Il décrit ce qu’est la communauté avec ses « faux frères » comme Beatle, le patron du bordel, et le révérend. La force des femmes qui demeurent les mères nourricières de l’homme noir et son soutien le plus inconditionnel, comme les prostituées qui nourrissent le jeune Sweetback dépenaillé dans la scène d’ouverture. Mais pas uniquement les femmes noires, la présidente du gang de motard, qui perd son duel de baise avec Sweetback, demeure fidèle à sa parole et envoie quelqu’un secourir Sweetback et le jeune militant qu’il a sauvé en tabassant les flics qui voulaient lui en faire baver, Moo-Moo.
« A tous les frères qui en ont marre du blanc » et « Sire, ceci n’est pas une ode à la brutalité que l’artiste aurait inventée, mais un hymne sorti de la bouche de la réalité… » sont les deux devises que Van Peebles met au générique de début, annonçant d’emblée la couleur, si j’ose dire.
Il n’y a aucun doute sur la couleur de Van Peebles et de son message, au-delà du noir devenu couleur de l’injustice et du blanc symbole le plus frappant de l’oppression, son opus a la couleur de la révolution, la seule issue possible dans une société où la couleur renvoie justement des êtres dos à dos, et érige sur tout son pourtour les barreaux de la haine.
Autant dans le film l’esprit du noir américain paraît captif d’un dieu qui n’est qu’un pis-aller, une sorte de tuteur qui rendrait l’âpreté du quotidien un peu plus supportable, comme l'avoue le pasteur lui--même, autant celui du blanc l’est de cette haine presque à fleur de peau dont témoigne si bien les brutalités policières qui se sont perpétrés, et peut-être se perpètrent encore, dans le ghetto.
Si l’on penche pour l’hypothèse qui fait du film de Van Peebles la pierre angulaire de la blaxploitation, on ne peut que le féliciter pour sa grande habileté à la tailler et pour ses dimensions massives.
En revanche en regardant les films qui ont suivi et en constatant que la plupart éludent savamment la question politique, on ne peut que se demander ce qu’est devenu son héritage. Il faudra, à mon avis, attendre Spike Lee pour trouver un digne successeur.
Hollywood a, comme tout bon organe de propagande, deux façons de noyer un message : le surexposer pour le décharger de son importance, à la longue faire comprendre que ce que nous est dit là est de la plus grande banalité ; le faire disparaître en évitant soigneusement d’aborder le sujet. Pour tout bon organe de propagande qui a à faire à un message dérangeant qui entre nettement en opposition avec celui qu’il est chargé de promouvoir, on ne privilégie pas une tactique par rapport à une autre, on use des deux jusqu’à l’obtention de ce que l’on souhaite. Mais que souhaite exactement Hollywood au sujet des « blacks » ?
L’autonomie et la maîtrise de leur propre image ? Si l’on songe que le film de D.W Griffith, Birth of a Nation, n’a été interdit en 1915 que dans une seule ville à cause des émeutes provoquées par des noirs en colère qui avaient vu le film, et que Sweetback n’a bénéficié que de deux salles sur tout le territoire des Etats-Unis pour être projeté lors de sa sortie en 1971 ; on est en droit de s’interroger sur l’image du noir qui prévalait dans le cinéma du début du 20ème siècle, et également de savoir si cette image est en continuité avec celle qui prévaudra dans la blaxploitation.