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Marvels

Par Ledinobleu

Couverture de la dernière édition française du comics MarvelsBienvenue à New-York. Ici, des silhouettes enflammées survolent les rues, des hommes aux costumes hauts en couleurs réduisent en poussière le verre et le béton tandis que des créatures venues de l’espace menacent de dévorer notre planète.

Bienvenue dans l’Univers Marvel où l’ordinaire et l’extraordinaire se côtoient quotidiennement.

Bienvenue dans le monde des Miracles.

Assistez en témoin privilégié à l’avènement de ces êtres hors du commun. Observez les plus grands héros sous un éclairage différent, avec un soupçon de crainte voire de peur.

Pour la première fois, arpentez l’Univers Marvel à partir d’une nouvelle perspective… la vôtre. (1)

On a tout dit sur les super-héros, et surtout n’importe quoi pour la simple et bonne raison qu’il n’y a rien à en dire : comme à chaque fois qu’un auteur tente de faire cohabiter l’extraordinaire avec le présent le plus banal sur une longue période de temps, ce merveilleux se dilue, se perd dans une redite systématique qui finit tôt ou tard par friser le ridicule, voire le stupide.

À dire vrai, le thème des super-héros est en quelque sorte mort-né : par l’incapacité de ses auteurs à aller jusqu’au bout de leur credo – c’est-à-dire leur impuissance à créer des univers où les gens dotés de super pouvoirs ont effectivement une influence sur l’évolution de la société – ce genre bien particulier s’est trouvé condamné à une répétition sans fin, comme une machine de Turing devenue folle qui envoie une instruction vers une destination inexistante en forçant ainsi ce signal à aller et venir en boucle le long du même chemin sans jamais pouvoir s’arrêter mais sans pouvoir non plus réaliser son but. Ou quelque chose comme ça. J’ai, du reste, déjà eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet.

Pour être plus prosaïque, je dirais qu’une fois qu’on a lu une histoire de super-héros, on les a toutes lues. Ou presque. Les autres itérations ne seront que des variantes du même thème, plus ou moins inspirées et plus ou moins originales selon le niveau de culture générale du lecteur – qui, dans le cas du fan moyen de comics de super-héros, je veux dire le jeune adolescent mâle, est rarement bien élevé : ceci expliquant cela.

Pourtant, les super-héros – et surtout ceux de Marvel – ont habité un nombre incalculable d’heures de mon enfance. Avec eux, j’ai voyagé au fin fond de l’espace et du temps, j’ai découvert des civilisations mystérieuses et pas toujours disparues, j’ai observé leurs affrontements contre de simples gangsters ou contre des monstruosités cosmiques, j’ai frissonné en tournant les pages de leurs aventures, j’ai pleuré la disparition de ceux qui avaient rencontré plus fort qu’eux,…

Et puis j’ai grandi, et je ne m’en porte pas plus mal.

Il fallait bien tourner la page, et comme les scénaristes trouvent toujours de quoi en rajouter j’ai choisi moi-même quelle devait être la dernière. Je n’ai jamais vraiment éprouvé le besoin d’y revenir. Mes souvenirs me suffisaient amplement : tout ce que j’aurais pu lire de plus n’aurait été qu’une copie plus ou moins carbone de ce que j’avais déjà lu dans ce registre. Et la vie est bien trop courte pour se borner sans cesse aux même horizons.

Et alors, je suis tombé sur Marvels

Je l’ai littéralement dévorée. J’étais comme happé, englouti d’une seule bouchée par les mots magiques de Kurt Busiek et les peintures magistrales d’Alex Ross qui avaient là tous deux enfin l’occasion de laisser s’exprimer leur immense talent – et celui-ci ne s’est pas démenti depuis… J’avais pris une gifle. C’est le genre de chose qui arrive. Pourtant, ce n’est pas tant que Marvels raconte quelque chose de nouveau, mais plutôt qu’il le raconte d’une manière nouvelle. Ici prime le point de vue du pékin moyen. Des gens comme vous et moi. Des gens perdus dans un monde nouveau qui s’ouvre tout entier à eux. Un monde de « Miracles » (2).

Ce que raconte Marvels n’est rien de moins que l’avènement des super-héros dans la cosmogonie Marvel, c’est-à-dire l’éclosion de cette cosmogonie. Marvels est en quelque sorte un ultime retour aux sources (3), cette fois visitées à travers le regard de quelqu’un qui n’est pas un super-héros mais qui a malgré tout suivi toutes leurs aventures, ou presque, et de plus ou moins prés. En l’occurrence, il s’agit du photographe Phil Sheldon – qui eut pour collègue de travail un certain Peter Parker, pour dire comme il connaît son affaire – depuis ses premiers clichés professionnels à la toute fin des années 30 jusqu’au début des années 70.

Avec son regard, ce sont ses questions qu’on partage, mais aussi ses doutes et ses craintes. Vite apaisées d’ailleurs, du moins jusqu’à ce qu’arrivent les mutants – les X-Men donc – et leur corollaire de menaces, même si nous autres lecteurs aguerris savons bien qu’ils n’en sont pas une – mais, souvenez-vous, l’histoire est racontée du point de vue de quelqu’un qui n’est pas un super-héros. Dès lors, l’opinion publique sur les « Miracles » sera toujours plus fluctuante, plus mitigée, et Phil se retrouvera vite seul à vouloir les défendre, leur rendre cette place de héros qui est la leur. Surtout après la venue de Galactus

À partir de là, Phil endossera lui aussi un costume de héros : celui du reporter objectif, du journaliste pour qui seuls comptent les faits, pour qui seule la vérité vaut qu’on lui consacre ses efforts. Et comme tous les chroniqueurs, il deviendra plus ou moins malgré lui un témoin de son temps, un observateur des contradictions de ses contemporains face à ces « Miracles » qui les dépassent. De ces interrogations surgiront quelques réflexions, peut-être un peu sommaires mais qui seront néanmoins l’occasion – pour le lecteur – de reconsidérer le passé avec un regard neuf – plus distancé, plus mûr,… bref, plus adulte.

C’est ce double-jeu qui fait tout l’intérêt de Marvels, cette mise en abîme qui lui donne toute sa force. Le connaisseur y trouvera un fourmillement de détails et de clins d’œil qui flatteront ses connaissances encyclopédiques du genre alors qu’elles resteront absconses pour le profane. D’abord décontenancé par la forme inédite, le spécialiste retrouvera vite ce fond qui demeure éternel mais qui était longtemps resté caché… et, avec celui-ci, la magie d’antan.

Mais Marvels a tout de même un peu l’allure d’une tricherie, ou d’une esbroufe : car toute la question consiste à savoir ce que penserait de cette courte série un lecteur qui n’a jamais lu d’histoires de super-héros – ça doit bien exister… Serait-il autant touché qu’un aficionado, autant transporté, autant ému ? Cette recette narrative est-elle universelle ?

La magie fonctionne, certes, – elle court, elle vole même – mais laisse malgré tout un goût un peu amer : en fin de compte, Marvels est-il si réussi que ça, ou bien ne nous fait-il pas plutôt pleurer les jours bénis d’une enfance à jamais perdue ?

(1) cette chronique concerne l’édition parue chez Le Téméraire en 1997 et qui est actuellement épuisée.

(2) c’est la traduction littérale du mot « marvel ».

(3) et quand un éditeur en est réduit à « mythifier » de la sorte ses propres productions, c’est peut-être l’aveu qu’il n’a plus rien à en dire : les lecteurs des diverses séries Ultimate Marvel en jugeront…

Récompenses :

Marvels reçut trois Eisner Awards en 1994 : Best Finite Series, Best Publication Design et Best Painter ; cette série fut également nominée, la même année, dans la catégorie Best Cover Artist et Best Single Issue (pour son second numéro : Monsters).

Marvels, Kurt Busiek & Alex Ross, 1994
Panini Comics, collection Marvel Absolute, 2009
400 pages, env. 70 € le coffret, ISBN : 978-2-8094-0589-7


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