Magazine Culture

Serial Experiments Lain : le son de la solitude

Publié le 28 novembre 2009 par Luxyukiiste
lain

Quelle idée d’écouter un album si évocateur à cette heure indue. Porté par les souvenirs et l’inspiration, je me vois forcément dans l’obligation d’écrire un article. L’album Bootleg de Serial Experiments Lain, à côté de l’OST classique, rassemble (presque) tous les morceaux courts et ambient/electro/étranges qui parsèment les épisodes. 45 titres pour un peu plus d’une heure de programme, et pour moi, à l’époque, mon premier album du genre, qui m’a donné goût aux plages ambient instrumentales mystérieuses, introduction annonciatrice de mon goût futur pour le label Cold Meat Industry et ses Raison d’Etre, Desiderii Marginis, Atrium Carceri, Megaptera… Pour ceux qui ne le savent pas encore, rappelons les informations principales : Lain est une série animée japonaise de 13 épisodes apparue durant l’été 1998, mettant en scène une jeune lycéenne timide étrangère au savoir informatique qui va peu à peu s’enfoncer dans une réalité parallèle cachée sur Internet. Très expérimentale, la série brouille sans scène la limite entre le réel et le virtuel, et accumule les scènes à-priori sans queue ni tête pour le spectateur distrait. Si je reviendrai peut-être parler de théories fumeuses sur le scénario après avoir revu le tout, je vais pour l’instant parler de la musique et de l’ambiance, comme je l’ai fait dernièrement avec Haibane Renmei.

lain2

Une séquence m’a marqué plus que toute autre dans Lain. Au début du troisième épisode, après les évènements du Cyberia Club, Lain est ramenée chez elle en voiture, la nuit. Une fois arrivée, elle se balade dans la maison et n’y trouve personne, en tous cas, pas ses parents, leurs lits bien faits et inoccupés laissant une tenace sensation d’abandon après ce qui vient de se produire. Pour sa soeur, on ne sait pas trop : peut-être qu’elle dort, tout simplement. Lors de cette séquence, le morceau minimaliste, constitué de la même note de piano répétée en double tout le long, de quelques sons informatiques et d’une courte nappe déprimante joue pour beaucoup sur notre impression : tout semble, au choix, mort ou endormi, il n’y a rien ni personne, et la pauvre Lain se retrouve seule en pleine nuit après un traumatisme grave pour une fille de son âge. C’est alors qu’elle trouve quand même un compagnon, un seul, qui semble l’appeler au milieu de ce néant : son ordinateur, et le Wired, là où on pense avoir des amis, là où le flux est ininterrompu, là où on peut abandonner sa timidité pour se construire une autre personnalité. Le Wired, c’est cette réalité parallèle dont je parlais plus haut, où Lain va s’aventurer pour retrouver une camarade suicidée qui envoie de mystérieux messages après sa mort. C’est ce réseau où la timide Lain va progressivement se faire un nom et provoquer rumeurs, spéculations et curiosité. Et c’est ce monde de câbles et de circuits qui va prendre le pas sur sa vie réelle.

lain3

A titre personnel, la nuit est un moment qui me fascine, car voir toutes ces choses inanimées avec lesquelles on cesse d’interagir pour quelques heures me provoque un sentiment confus de mélancolie et de solitude, mais aussi, quelque part, d’apaisement. Pourquoi de l’apaisement ? Tout simplement car nos heures d’éveil sont souvent des heures de course contre la montre, de confusion, dans une société à la recherche du profit qui ne laisse plus le temps de faire quoi que ce soit, et qu’à l’opposé, la nuit où tout s’arrête est une sorte de respiration où rien ne nous est imposé et où nous avons le monde pour nous. C’est là qu’Internet change la donne : avec cette fenêtre sur le monde, rien ne s’arrête jamais. Nous pouvons recevoir des informations du monde entier sans interruption, et nous pouvons toujours trouver quelqu’un à qui parler, si nous le souhaitons vraiment. Il est aussi fréquent de profiter de la compagnie d’autres insomniaques. Ici, Lain, trouvant sa maison à moitié vide et à moitié endormie, n’a de compagnie que la lumière de son écran et le flux rassurant des autoroutes de l’information. Rassurant car il n’y a rien d’autre. Voilà comment la série nous parle avec simplicité et efficacité de l’abandon et de l’incompréhension familiale des parents face aux écrans que leurs enfants scrutent toute la journée. Pour vous dire, j’ai été tellement marqué par cette scène qu’en cours de Cinéma/Audiovisuel au lycée, j’avais écrit une petite séquence largement inspirée de ce passage, en indiquant qu’elle devait être lue avec le morceau qui accompagne les scènes de Lain.

lain4

Le morceau qui accompagne cette séquence, et celui qu’on entend à l’épisode 10 lors d’un passage similaire a un nom japonais qui veut dire solitude (ou quelque chose d’approchant). On a vu que ce n’était pas pour rien. L’album Bootleg est rempli de sons virtuels déshumanisants, c’est la musique des câbles, des ondes, des périphériques, d’un monde où tout le monde communique sans oser se voir et se toucher. Je n’avais jamais entendu parler de Reiichi Nakaido, le compositeur, avant de découvrir Lain, et je n’ai pas eu l’occasion d’écouter ses autres oeuvres, mais force est de reconnaître qu’une partie de l’ambiance unique de Lain est ce qu’elle est du fait de ses compositions. Ce que j’adore avec cette série, c’est qu’elle ne fait aucune concession, qu’elle soit visuelle, sonore ou d’une autre forme, pour adoucir son univers et le rendre plus accessible. Des curiosités graphiques (couleurs saturées, gros plans sur les yeux, ombres rouges), narratives (brouillage incessant du réel et du virtuel, dialogues nébuleux, personnages apathiques) et sonores qui font de Serial Experiments Lain cette expérience risquée mais à faire une fois dans sa vie, surtout pour les plus accros au réseau d’entre nous. C’est comme Haibane Renmei : soit on est impliqué personnellement dans ce qui se passe, soit la sauce ne prend pas.

lain5

Il faut aussi savoir que j’ai découvert Lain au moment où je faisais mes premiers pas sur Internet, coïncidence qui a évidemment influencé mon appréciation de l’anime. Devant mon ordinateur, sur les chats, les sites, les forums, je me sentais comme Lain, et le sens que je trouvais à la série me faisait réfléchir sur ma manière d’appréhender ce nouvel outil. A la recherche d’informations sur la série, qui commençait à faire son trou en France grâce à Dynamic Visions, je tombais sur de petits sites de fans confidentiels, français ou anglais, qui reprenaient parfois le design du Navi, ou du moins l’esthétique sombre et informatique de la série, me donnant le sentiment de surfer sur des sites secrets à la recherche de renseignements sensibles. Rien de plus logique : pour un jeune internaute, cette immense masse d’informations réputée incontrôlable ne peut qu’être source de fantasmes. Thought Experiments Lain, site américain, est sans conteste le plus complet de tous, autant au niveau analyse qu’au niveau informations concrètes. La page dédiée à l’album Bootleg montre qu’au niveau merchandising, tout a aussi été fait pour prolonger l’expérience : mini-jeu, CD-rom, fichiers mp3… On découvre ces disques comme si on nous remettait des données secrètes. Concrètement, le premier CD contient les morceaux normaux, et le second, des petits jeux et des morceaux supplémentaires en mp3. Vite épuisée, cette box n’est plus disponible que sur les sites d’enchères exclusivement japonais à la Yahoo Auctions, ce qui fait le bonheur des Konci et autres qui vendent sa version HK ne contenant qu’un CD.

lain6

Actuellement, seul l’OST et le Cyberia Mix sont encore trouvables, le premier en import et le second dans le coffret français des 10 ans de Lain. Le single Duvet est lui aussi très rare, sans parler de l’EP Tall Snake de Bôa, le groupe anglais responsable de l’opening Duvet. En tous cas, pour en revenir au Bootleg, même si ces pistes prennent évidemment plus d’ampleur pour un fan de la série, je pense que les amateurs d’ambient futuriste et minimaliste sauront apprécier ces courts morceaux, le meilleur conseil que j’ai à leur donner étant bien évidemment de voir aussi la série.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Luxyukiiste 52 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazine