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Canicule russe

Publié le 17 août 2010 par Egea

Les feux qui ont couvert le territoire russe ont-ils une signification géopolitique ? Une excellente double page de La Croix permet de développer quelques considérations.

Canicule russe
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1/ Il s’agit d’une catastrophe de grande ampleur. Certes, à la différence du tsunami, il n’y a pas eu plusieurs dizaines de milliers de morts « d’un coup ». Mais les morts s’accumulent au long de l’été. Rien que pour la ville de Moscou, le nombre de mort aurait doublé pour atteindre le chiffre de 700 par jour. Un surcroît quotidien de 350, soit 2.500 morts pas semaine, soit 10.000 en un mois, pour la seule capitale ! Encore faut-il composer avec les défauts statistiques (les autorités donnant des consignes pour réduire le comptage de cette mortalité). Ainsi, sur l’ensemble du pays, ce sont donc probablement plusieurs dizaines de milliers de morts qu’il faudra déplorer. Alors même que la démographie russe n’est pas très vigoureuse !

2/ La mise en danger d’un certain nombre d’installations nucléaires ou militaires sensibles (centre de Sarov) illustre l’étendue de la possible défaillance gouvernementale : 25 ans après Tchernobyl, qui avait précipité la fin de l‘URSS, on s’aperçoit que les autorités russes ont failli ne pas sécuriser leurs installations, alors qu’il s’agit pour elles d’un facteur de puissance qui justifie encore leur place à la table des grands, et notamment lors des négociations directes avec les Etats-Unis.

3/ D’une certaine façon, la « verticale du pouvoir » mise en place par Vladimir Poutine paraît remise en cause. On sait que cette expression recouvre une recentralisation du pouvoir autour de l’Etat russe. Or, la population a eu le sentiment qu’avant (du temps de l’Union Soviétique) il y avait des cloches d’alerte dans chaque village et un corps de pompiers qui surveillait le bien commun. La dégradation du service public et l’augmentation de la mortalité auront certainement des conséquences politiques, même s’il est probable qu’elles seront de long terme.

4/ Car il faut ici noter une chose : pour une fois, la ville de Moscou a « subi » les aléas comme le reste du pays. Or, (en Russie comme ailleurs) la capitale demeure l’endroit où se construit l’opinion publique. Pour une fois, Moscou ressent la même chose que la province : cela est rare et contrebalance l’habituel clivage centre/périphérie.

Canicule russe
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5/ Les conséquences économiques ne seront pas minces : d’une part à cause des milliers d’hectares brûlés (qui affecteront la consommation populaire d’énergie, car les tourbes sont des combustibles populaires et relativement peu chers), d’autre part à cause des répercussions sur le marché du blé, que la presse a déjà évoquées. Tout ceci alors que la crise financière avait altéré la hausse des revenus observée ces dernières années, et qui aidait à faire passer beaucoup de choses. Le soubassement économique du système sera fragilisé.

6/ Le pouvoir est-il pour autant menacé ? Probablement pas, car les critiques politiques ne viennent que d’une frange étroite (et occidentalisée) qui fait le lien entre les catastrophes naturelles et l’action politique des dernières années : le reste de la population n’émettra qu’une critique sociale. Surtout, la verticale du pouvoir repose sur la domination d’un système de communication, passant principalement par la télévision, contrôlée par le pouvoir (suivant en cela un modèle berlusconien ?). Les quelques réactions sur Internet ne suffisent pas à instaurer, dans l’immédiat, une remise en cause de ce modèle. A tout le moins le fragilisent-ils.

7/ La dernière conséquence est celle de l’image internationale. La réticence de la Russie à accepter l’aide internationale est le signe le plus évident de la gêne du Kremlin : un grand n’a pas besoin d’aide ! On reconnaît les ressorts traditionnels du soft power russe, tel qu’il se pratiquait depuis longtemps : l’image de l’ours russe jouant des gros bras, intervenant sur ses marges (Géorgie, 2008) ou coupant les robinets (Ukraine, 2009) même si, en dessous, on pouvait observer une diplomatie beaucoup plus habile (par exemple pour reprendre de l’influence dans les républiques d’Asie centrale). Ce mélange de crânerie et de subtilité échiquéenne semble remis en cause : comme si l‘ours avait beaucoup de fourrure et peu de muscles !

Ainsi, il y a une part de désarroi perceptible de la part des autorités. Je ne pense pas pour autant qu’on puisse parler d’ébranlement, mais ces catastrophes auront probablement des répercussions de longue durée.

O. Kempf


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