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Le voyage en orient - gérard de nerval : 5. a l'intérieur de la grande pyramide

Publié le 21 août 2010 par Rl1948

 

   De Najac et de Padirac, des bastides de Villeneuve de Rouergue et de Domme, des ruines médiévales  aveyronnaises et des grottes préhistoriques périgourdines, d'Albi et de Sarlat, des topiaires des jardins d'Eyrignac ou de ceux de Terrasson, des méandres du Lot, de la Vérère ou de la Dordogne, je serai à nouveau l'inconditionnel admirateur aoûtien, amis lecteurs, alors que vous lirez ces billets au voyage égyptien de Gérard de Nerval consacrés et, à votre intention, programmés dès la mi-juillet de manière à ne point vous laisser "orphelins" d'égyptologie lors des vacances que mon blog consent à m'offrir cet été.    

   Nous avons, souvenez-vous, laissé samedi dernier le poète sous un soleil ardent, en compagnie d'un officier prussien s'apprêtant à rejoindre l'expédition de Karl Richard Lepsius, tranquillement terminer cette collation qu'il était à l'époque apparemment de tradition de prendre sur la plate-forme de la pyramide de Chéops.

     Avec cette pénultième intervention, je vous propose de le retrouver prêt à visiter l'intérieur même du tombeau royal ...  

   Il s'agissait de quitter la plate-forme et de pénétrer dans la pyramide, dont l'entrée se trouve à un tiers environ de sa hauteur. On nous fit descendre cent trente marches par un procédé inverse à celui qui nous les avait fait gravir. Deux des quatre Arabes nous suspendaient par les épaules du haut de chaque assise, et nous livraient aux bras étendus de leurs compagnons. Il y a quelque chose d'assez dangereux dans cette descente, et plus d'un voyageur s'y est rompu le crâne ou les membres. Cependant, nous arrivâmes sans accident à l'entrée de la pyramide.

Entrée Pyramide Chéops

   C'est une sorte de grotte aux parois de marbre, à la voûte triangulaire, surmontée d'une large pierre qui constate, au moyen d'une inscription française, l'ancienne arrivée de nos soldats dans ce monument : c'est la carte de visite de l'armée d'Egypte, sculptée sur un bloc de marbre de seize pieds de largeur. Pendant que je lisais avec respect, l'officier prussien me fit observer une autre légende marquée plus bas en hiéroglyphes, et, chose étrange, tout fraîchement gravée.

   Il savait le sens de ces hiéroglyphes modernes inscrits d'après le système de la grammaire de Champollion. "Cela signifie, me dit-il, que l'expédition scientifique envoyée par le roi de Prusse et dirigée par Lepsius, a visité les pyramides de Gizeh, et espère résoudre avec le même bonheur les autres difficultés de sa mission."

   Nous avions franchi l'entrée de la grotte : une vingtaine d'Arabes barbus, aux ceintures hérissées de pistolets et de poignards, se dressèrent du sol où ils venaient de faire leur sieste. Un de nos conducteurs, qui semblait diriger les autres, nous dit :

   "Voyez comme ils sont terribles ... Regardez leurs pistolets et leurs fusils !


- Est-ce qu'ils veulent nous voler ?


- Au contraire ! Ils sont ici pour vous défendre dans le cas où vous seriez attaqués par les hordes du désert.


- On disait qu'il n'en existait plus depuis l'administration de Mohamed-Ali !


- Oh ! il y a encore bien des méchantes gens, là-bas, derrière les montagnes ... Cependant, au moyen d'une colonnate, vous obtiendrez des braves que vous voyez là d'être défendus contre toute attaque extérieure."

   L'officier prussien fit l'inspection des armes, et ne parut pas édifié touchant leur puissance destructive. Il ne s'agissait au fond, pour moi, que de 5 fr. 50 cent., ou d'un thaler et demi pour le Prussien. Nous acceptâmes le marché, en partageant les frais et en faisant observer que nous n'étions pas dupes de la supposition.

   "Il arrive souvent, dit le guide, que des tribus ennemies font invasion sur ce point, surtout quand elles y soupçonnent la présence de riches étrangers."


   Il est certain que la chose n'est pas impossible et que ce serait une triste situation que de se voir pris et enfermé dans l'intérieur de la grande pyramide. La colonnate (piastre d'Espagne) donnée aux gardiens nous assurait du moins qu'en conscience ils ne pourraient nous faire cette trop facile plaisanterie.

   Mais quelle apparence que ces braves gens y eussent songé même un instant ? L'activité de leurs préparatifs, huit torches allumées en un clin d'oeil, l'attention charmante de nous faire précéder de nouveau par les petites filles hydrophores dont j'ai parlé, tout cela, sans doute, était bien rassurant.

   Il s'agissait d'abord de courber la tête et le dos, et de poser les pieds adroitement sur deux rainures de marbre qui règnent des deux côtés de cette descente. Entre les deux rainures, il y a une sorte d'abîme aussi large que l'écartement des jambes, et où il s'agit de ne point tomber. On avance donc pas à pas, jetant les pieds de son mieux à droite et à gauche, soutenu un peu, il est vrai, par les mains des porteurs de torches, et l'on descend ainsi toujours courbé en deux pendant environ cent cinquante pas.

   A partir de là, le danger de tomber dans l'énorme fissure qu'on se voyait entre les pieds cesse tout à coup et se trouve remplacé par l'inconvénient de passer à plat ventre sous une voûte obstruée en partie par les sables et les cendres. Les Arabes ne nettoient ce passage que moyennant une autre colonnate, accordée d'ordinaire par les gens riches et corpulents.

   Quand on a rampé quelque temps sous cette voûte basse, en s'aidant des mains et des genoux, on se relève, à l'entrée d'une nouvelle galerie, qui n'est guère plus haute que la précédente. Au bout de deux cents pas que l'on fait encore en montant, on trouve une sorte de carrefour dont le centre est un vaste puits profond et sombre, autour duquel il faut tourner pour gagner l'escalier qui conduit à la chambre du Roi.

   En arrivant là, les Arabes tirent des coups de pistolet et allument des feux de branchages pour effrayer, à ce qu'ils disent, les chauve-souris et les serpents. La salle où l'on est, voûtée en dos d'âne, a dix-sept pieds de longueur et seize de largeur.

   En revenant de notre exploration, assez peu satisfaisante, nous dûmes nous reposer à l'entrée de la grotte de marbre, - et nous nous demandions ce que pouvait signifier cette galerie bizarre que nous venions de remonter, avec ces deux rails de marbre séparés par un abîme, aboutissant plus loin à un carrefour au milieu duquel se trouve le puits mystérieux, dont nous n'avions pu voir le fond.

(Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Tome 1, Paris, Julliard Littérature, 1964, pp. 289-92)

  


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