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Retour aux mots sauvages de Thierry Beinstingel

Par Sylvie

RENTREE LITTERAIRE 2010

Retour aux mots sauvages

Editions Fayard, 2010

Avis unanime cette année : la rentrée littéraire est française (quasiment 500 titres sur 700) et marquée par les questions économiques et sociales ; on note un intérêt pour le monde de l'entreprise en crise.

Philippe Claudel,  dans L'enquête, aborde la question du suicide ; Nathalie Kuperman, dans Nous étions des êtres vivants met en scène un coeur de travailleurs qui doivent faire face à des licenciements massifs suite à une restructuration. Un  premier roman, Le front russe de Jean-Caude Lalumière qui présente avec humour une mise au placard...au ministère des affaires étrangères !

Thierry Beinstingel s'est fait un spécialiste de la mise en scène du monde du travail (CV Roman, Central) ; il s'attaque ici au scandale des suicides de la célèbre entreprise de télécommunication, jamais nommée, bien sûr.

Mais l''auteur va au delà d'un simple fait divers ; il s'agit d'analyser les répercussions psychologiques d'un changement de travail dans le milieu des seniors ; il est question du mental, mais aussi du corps et du langage.

Le "héros" n'est bien sûr jamais nommé ; c'est juste "le nouveau" et Eric, son nouveau prénom de téléopérateur. Car l'entreprise donne chaque année un nom d'emprunt à ses salariés commençant par la même lettre...

Le personnage est un senior en reconversion ; ancien électricien, plus à l'aise avec ses mains qu'avec sa langue, l'éternel taiseux doit désormais "faire manoeuvrer sa bouche" de façon automatique : "Bonjour, ici, Eric, que puis-je faire pour vous ?" ; il doit apprendre toute la logorrhée de l'entreprise, du marketing  ; il doit convaincre chaque client de prendre le contrat Optimum, Optimum plus....

Dans ce milieu, aucune place pour l'improvisation, la conversation...Jusqu'au jour où, n'en pouvant plus de cette dépersonnalisation, il se décide à rappeler un client, alors que c'est formellement interdit. Pendant ce temps, surgissent les premiers cas de suicides...

On est loin du reportage journalistique ou même de la grande épopée des luttes sociales, tel Les vivants et les morts de Gérard Mordillat.

Il s'agit avant tout d'analyser de l'intérieur les répercussions psychologiques et corporelles de la reconversion professionnelle tardive et obligée.

Eric est obsédé par le fait d'avoir ses mains ramollies, lui, l'artisan, qui a toujours connu ses mains noires et calleuses. Beinstingel expose toute une réflexion sur l'évolution de l'espèce humaine qui, passée de l'état sauvage à l'état civilisé, est passée de l'usage intensif des pieds (la chasse, la cueillette) à celui des cerveaux.

Eric, lui, se propose de retourner à l'état sauvage en pratiquant la course à pieds. Regrettant d'avoir les mains molles et la bouche sèche à force de parler, il se défoule sur les routes départementales.

Quant aux mots sauvages, il s'agit de la langue maternelle qu'il faut réapprendre pour communiquer avec les autres et s'accepter tel que l'on est devenu.

Un beau roman d'apprentissage chez le monde des seniors et bien plus qu'un récit sur les mutations et la crise du travail. Intéressant.


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