Un roman de Michèle Reiser,
éditions Albin Michel 2010.
Résumé :
Victoire est amoureuse. Passionnément. Son bel amour à la gueule d’ange et au cœur d’or comble ses envies, ses attentes. Jusqu’au jour où le terrible diagnostic tombe : Jesus, dit « Chus », a un cancer. Des os. L’amputation est sa seule chance de survie. Elle est effondrée ; il fait face. Il lui demande sa main. Mais avant, elle doit lui promettre d’accomplir l’acte ultime, symbolique, inhumain : c’est là sa seule condition. Par amour pour lui, acceptera-t-elle d’aller jusqu’au bout du festin ?
Une chronique de Vance
Le coin du C.L.A.P. : Deux soirs et une après-midi de détente après une matinée de travail. Vite plié. C’était couru d’avance.
Incipit :
C’était un jour de printemps. Peut-être le premier. Les terrasses regorgeaient de gens heureux. Il n’était pas venu me rejoindre, et m’avait fait savoir qu’il était à l’hôpital, mais côté patients. Quand j’avais accouru à son chevet, des larmes de douleur perlaient le bleu de ses yeux. On allait l’opérer, parce qu’il était tombé dans la rue, sans raison. Depuis longtemps déjà, il se plaignait du genou ; aussi cette fracture spontanée m’avait-elle inquiétée. Je l’avais accompagné dans l’ascenseur jusqu’à la salle d’opération, pendant des heures j’avais attendu qu’il revienne. Il était apparu enfin, immobile et gris, sur un lit roulant que les infirmières allaient installer dans la chambre.
Disons-le tout de suite à ceux d’entre mes lecteurs qui ne me connaissent pas : cette littérature n’est pas mon terrain de chasse habituel, ma « tasse de thé » si vous préférez. Toutefois j’apprécie, de temps à autre, sortir des sentiers mystérieux et merveilleux de la SF et m’engager sur les voies plus dégagées, plus confortables de la littérature.
Ce roman est parfait pour ce genre de digression : rapide, court, écrit sur un rythme enlevé à la première personne (c’est Victoire qui narre les semaines intenses, pleines de joies éphémères et de peines sourdes, qui suivront l’annonce du mal dont souffre son compagnon), dans un style percutant non dénué de fulgurances poétiques ; Michèle Reiser sait manier la langue, parfois avec dextérité, souvent avec malice, et on enquille aisément les chapitres très courts (quelquefois une page !) pour s’enquérir du destin de ce couple fusionnel. De fait, et malgré une volonté évidente de ne pas s’appesantir sur la souffrance et la terrible angoisse d’un avenir incertain, on devient assez vite intime avec la narratrice, jeune femme pleine de vie et débordant d’amour, que son bel amant va mettre à l’épreuve doublement : par la promesse de noces immédiates, et la condition d’un acte que la morale, l’éthique, les fondements de notre civilisation réprouvent. Ainsi, le choix d’une écriture dans le style « carnet intime » permet de délayer le pathos et d’atténuer l’importance des séquences larmoyantes, sans en diminuer l’impact : habile, et efficace.
Car Victoire, dans le temps imparti pour ce court récit, passera régulièrement du rire aux larmes, de la passion au désespoir, de la certitude au doute existentiel. Dans le même temps, le cadre se déplacera de Paris à une baie d’Arcachon intemporelle où Victoire a grandi, dans un milieu aisé baigné de traditions.
p. 51, §1 : C’est seulement une heure plus tard, seule face à la mer, que je réalisai ce qu’il venait de me demander. Une façon pour lui de surmonter l’horreur. Son salut devait passer par là, par cette inhumanité.
Du coup, malgré le caractère morbide et pesant, étouffant parfois, de l’acte final (je ne peux me résoudre à dévoiler le seul mystère de ce roman, mais les lecteurs attentifs, pour peu qu’ils aient associé le prénom du futur marié au titre du livre, devraient trouver de quoi il retourne), on arrive à prendre le temps de savourer, au sens propre, les recettes séculaires de la grand-mère de Victoire, de s’émerveiller devant les paysages enchanteurs de cette région d’exception.
Le trait, il est vrai, est par moments un peu appuyé, surtout lors de quelques références un peu lourdes aux messes chrétiennes ; on peut également s’agacer de la propension de Victoire à s’effondrer et défaillir même si, encore une fois, le choix d’un style vif permet de ne pas trop le ressentir.
La conclusion laisse perplexe par son traitement, même s’il est en droite ligne du reste du roman : les conséquences, pourtant terribles, sont balayées, seul compte apparemment l’acte en lui-même, la décision de Victoire, son engagement. Et la fin conclut bien vite, avec une pointe d’amertume – telle l’écume d’une marée d’équinoxe - une histoire troublante et forte.
Un livre intéressant à bien des égards qui, s’il ne tient pas toutes ses promesses, saura soulever de nombreuses questions et toucher bien des cœurs.
Citations :
p. 16, §1 : le soir après l’annonce de la maladie de Chus.
On ne s’était rien dit après. Dans le silence, il s’était approché de mon visage et m’avait aimée avec tant de douceur, dans cette sinistre chambre, qu’éternellement j’en garderais les stigmates.
p. 20, §3 :
Pas de morale, la question n’était pas d’ordre moral. Savoir si c’était bien de faire un enfant quand l’avenir est incertain, ce choix n’appartient qu’à ceux qui le font.
p. 32, §1 : pendant le traitement de Chus.
Les séances le rendaient malade. Il voulait que j’achète, pour le nourrir, des biscuits pas chers, des biscuits de caserne. Cette nourriture prise avant que le foie ne se blesse ne méritait pas un denier. Pas un denier pour ce que l’on va vomir.
p. 120, §3 : après la cérémonie.
On eut du mal à me réanimer. C’est dans les yeux bleus de Chus penché sur moi que je retrouvai la vie et le monde. Nous étions mariés.