Un film de Lee Chang-Dong (2010) avec Yun Junghee.
Résumé : En Corée du Sud, dans une petite ville de province traversée par un fleuve, vit Mija, une gentille dame, coquette et affable. Elle élève seule son petit-fils, un collégien bougon, depuis que les parents de ce dernier se sont séparés. Mija s’en sort en faisant le ménage, notamment chez un vieil homme riche mais handicapé. Elle accomplit sa besogne avec un sourire indéfectible. Or, deux nouvelles vont bouleverser sa vie : son médecin s’inquiète de ses pertes de mémoire récurrentes et on lui apprend que son petit-fils s’est rendu coupable du viol d’une jeune fille de 10 ans qui vient de mettre fin à ses jours… Ne sachant comment appréhender l’avenir, elle décide de s’inscrire dans un cours de poésie…
Une chronique de Vance
Encore une fois, je ne saurais remercier comme ils le méritent les Niko, Alexandre ou Benoît qui, bénéficiant d’une projection anticipée, avaient pu depuis quelques semaines apprécier ce film. C’est avec leurs notes et leur enthousiasme en tête (mais sans me souvenir du contenu proprement dit) que j’ai décidé d’aller voir ce petit film. Heureusement pour moi, la salle d’Arts & Essais de ma ville le proposait en VOST.
Poetry, c’est avant tout reposant pour un cinéphile. Pas ennuyeux, hein ? Juste reposant, apaisant, loin du bruit et de la fureur des films à grand spectacle diffusés à grand coups d’exposions pyrotechniques et de montage effréné dans l’imposant complexe voisin. Ici, le réalisateur se contente la plupart du temps de poser sa caméra et de faire tourner ses comédiens dans le champ, pour des séquences longues, vivantes, enjouées ou tristes, qu’aucune musique originale ne vient parasiter (les seules notes audibles sont celles de la bande son in).
Le film s’ouvre et se clôt sur les flots du fleuve Han, ses rives emplies d’une végétation luxuriantes, et on devine, derrière la silhouette menaçante de ce grand pont routier, celle des immeubles de la ville, au fond.
Et, à l’image du cours de ce grand fleuve, le film coule inlassablement, placidement, restant concentré sur cette femme un peu décalée, qui soigne son apparence et nie les petits heurts de la vie. Voilà Mija inscrite au cours de poésie : un professeur explique, un peu naïvement, comment naît la poésie, où elle se cache, derrière quelles vérités ; un discours académique qui trouve un écho salvateur chez cette femme au bord de la crise de nerf mais dont l’éducation, une enfance qu’on devine (à travers un souvenir poignant même si avorté dans son récit) difficile et le poids d’une société policée où les émotions se drapent de dignité et les sentiments se voilent, font qu’elle maintient son cap, envers et contre tout. Sa vie monotone, dont le petit-fils (qu’elle voit à présent comme un monstre insensible – il ne réagit jamais aux allusions et elle se garde bien de lui jeter l’horreur de son acte immonde à la face) était la seule lumière, continue son cours, mais on le sent plus pesant, plus difficile à supporter sans réagir.
Or, l’atelier de poésie lui donne un but : écrire. Elle s’y attèle, à ses moments perdus, qui s’emplissent alors d’une ouverture bienvenue sur ce qui l’entoure : elle cherche, elle quête, quémande presque, la beauté qui se cache derrière, en toutes choses. Un arbre étend ses ramures au-dessus d’un trottoir : elle s’assied et perd son regard dans ces branches ombragées, intriguant un passant. La nature (et même un bouquet de camélias artificiels) lui offre ses bonnes grâces et lui laisse entrevoir le beau qu’elle croyait disparu depuis cette enfance où elle collectionnait les fleurs. On lui avait dit qu’un jour elle serait poète. Elle le croit.
Cependant, le réel la rattrape, dans ce qu’il a de plus glaçant, de plus sordide : quoi de plus monstrueux en effet que ces conciliabules avec ces pères de famille posés, élégants, raffinés et polis, qui cherchent à acheter le silence de la mère éplorée afin que leurs propres rejetons ne subissent pas les conséquences d’un acte ignoble – dont ils sont pourtant coupables. Elle est la seule femme dans ces réunions, se tait, écoute à peine, incrédule. Il lui faut rassembler une somme dont ils savent qu’elle ne pourra en disposer – mais ce serait le prix de la (leur) quiétude. Comment ? Comment payer ? Et comment accepter de vivre avec cela ? Comment ces hommes gentils, responsables, peuvent-ils être aussi obtus, aussi ignorants ?
Peut-être est-ce alors la poésie qui lui permet d’ouvrir les yeux, ses efforts désespérés à saisir l’insaisissable, à comprendre l’inintelligible, à rédiger un poème avec des mots qui lui échappent comme autant de grains de sable. Elle prend des notes sur un carnet dont elle ne peut plus se séparer et balise ses jours de phrases qui sont autant de questions sur son monde.
Mija est une femme docile et fière. Prête à tous les sacrifices, comme toutes les femmes de son pays, sacrifices qu’elle accomplira sagement, tête baissée et sans commentaire – et sans non plus porter atteinte à sa dignité. Elle ne se soustraira qu’une seule fois à son devoir imposé : lorsqu’on lui demandera de transiger avec la mère de la victime, une paysanne. Elle préfèrera s’abandonner aux délices de la campagne environnante avant de sombrer dans un remords lancinant.
Au final, pourtant, elle signera une magnifique et troublante leçon de vie, nous emportant dans ses souvenirs, ses regrets et ses désirs, à travers un regard lucide et laconique et des mots puisés au plus profond de la poésie.
Une réalisation pleine de tact, une interprétation idéale.
Sublime.
Le coin du C.L.A.P.: Pas facile de se garer lorsqu’il s’agit d’une salle de cinéma en ville. On a couru pour pouvoir s’installer. Et là… plus possible de bouquiner, les lumières d’ambiance étant trop faibles dans la très belle salle rouge. Tant pis !
Note moyenne au Palmarès : 4,06/5.
Ma note : 4,8/5
Chroniques parallèles
> chez Benoît, un article concis et pertinent ;
> chez Alexandre, capable de s’enflammer quand il veut, avec sa réserve et son élégance habituelles ;
> chez Niko, un article complet cachant mal son admiration pour un vrai chef-d’œuvre.