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La russie entre neige et poussière

Publié le 29 août 2010 par Papyrus1217

A croire que la Russie ne peut échapper à la fatalité d’un certain voilage. Même le réchauffement climatique vient de le sanctionner : neige en hiver et poussière provoquée par les incendies et les hautes températures en été semblent être les signes distinctifs d’un scénario météorologique russe à long terme. A cette opacification météorologique et environnementale correspond, dans ces jours d’incendies moscovites, un discret voilage informationnel et médiatique. Confrontées à une situation d’urgence sans précédent, les autorités ont préféré recourir au « bon » vieux procédé de l’époque soviétique : éviter la panique au sein de la population en dissimulant le véritable nombre des victimes et des dégâts. Opacifier pour pacifier les esprits. Et tant pis si la maigre information au sujet du péril d’intoxication au monoxyde de carbone (de quatre à six fois supérieur au seuil d’alerte) risque d’être interprété  par les critiques intérieurs et extérieurs du gouvernement Poutine comme une intoxication informationnelle.

L’« intox » des moyens d’information et de communication contrôlés par l’Etat n’est pas le seul objet de protestation contre le premier ministre et son gouvernement. Celui-ci s’est vu accuser d’avoir confié entièrement, en supprimant l’ancien Service de protection des forêts, le destin de la forêt russe dans les mains d’exploitants avides de couper le bois et peu soucieux des normes de sécurité. D’importants enjeux économiques sont soupçonnés d’avoir été à la base de cette réforme forestière poursuivie par Poutine : Ilim holding, premier producteur russe de papier en Russie et dont le chef du département juridique avait été un certain Dimitri Medvedev, aurait eu un intérêt particulier à tirer de ce bois coupé : en cette même année 2007,  Ilim holding  s’accociait  à International Paper - premier groupe mondial de pâte à papier et de papier – devenant, sous le nom d’Ilim Group, un partenaire détenant 50-% des parts. L’entreprise emploie 20 000 salariés, possède trois papeteries et produit chaque année plus de 2,3 millions de tonnes métriques de pâte à papier, de cartons et de papier.

A la maladresse comme à la complicité supposée de Poutine avec les groupes économiques de pression, ses partisans opposent l’image d’un premier ministre qui, n’ayant strictement rien à se reprocher, intervient d’une manière concrète et compétente dans les manœuvres d’extinction du feu. Les médias pro- gouvernementaux célèbrent un Poutine qui, pilotant d’un air imperturbable un Be-200, jette 24 tonnes d’eau sur les forets brûlantes de la région de la ville de Riazan. Les images véhiculent l’idée de l’homme fort contrôlant parfaitement la situation, en l’occurrence les effets d’un sinistre dont en revanche – hélas, pur jeu du hasard et caprice farouche des forces de la nature ! - l’embrasement initial et les premières propagations n’auraient pu être conjurés par aucune protection préventive.

Sous un grand article consacré à cette intervention si efficace de Poutine et après avoir tenu à rappeler d’autres réalisations aéronautiques du chef du gouvernement (avec description spéciale du puissant  bombardier TU-160 qu’il avait piloté en 1999), le quotidien Izvestia déplore l’indigence de l’aide américaine pour l’extinction des feux en Russie. Les 55 000 dollars envoyés par les USA sont confrontés aux 360 000 euros que « la relativement petite Suisse… a puisé dans son budget d’Etat » pour voler au secours des Russes et surtout à l’aide humanitaire estimée à 3 millions de dollars arrivant du vieil ami et voisin oriental, la Chine. Enfin, tout en bas de cette même page et en toutes petites lettres – la nouvelle de l’embrasement de la forêt de Bryan, ville de la région russe la plus touchée de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl de 1986. Si l’incendie continue, le vent transportera les particules radioactives dans d’autres régions mais… « il ne faut pas exagérer ce risque », s’empresse de recommander le quotidien pro- poutinien. Le dangereux flirt des feux forestiers avec les sites nucléaires de la Russie occidentale semble être le thème le moins abordé par les médias pro- présidentiels et pro- gouvernementaux russes.  

 Ainsi donc - neige en hiver, poussière voire particules radioactives en été… On ne peut pas s’empêcher de contempler dans cette succession de différents types de poudre fine à Moscou comme une illustration des successions politiques russes où à la neige tendant à la franche glaciation de l’ère communiste fait pendant la poussière chaude, collante et finement enveloppante de la « démocratie souveraine » de la Russie post- soviétique. Et dans le deuxième comme dans le premier cas – voilage, opacification. La large perspective du pays le plus grand du monde se voit embrouillée par de petites gouttelettes et par des particules fines… Etrange, impénétrable et très voilé destin russe !


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