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L'indésirable, Sarah Waters

Par Wellreadkid

http://www.bibliosurf.com/local/cache-vignettes/L134xH195/arton18756-29174.jpgA quoi peut bien ressembler le quotidien d’une famille désargentée de la gentry britannique, après la fin de la seconde guerre mondiale ? C’est ce que découvre le docteur Faraday, appelé à Hundreds, l’imposante maison des anciens châtelains, cette maison même qu’il avait découvert trente ans auparavant, avec deux yeux d’enfant, dans tout son faste. Mais le temps des réceptions et du luxe est terminé pour les Ayres : la matriarche, veuve, pleure encore la perte de son aînée plusieurs décennies auparavant, Roderick, le fils, souffre de graves séquelles après la guerre, et Caroline, la fille, est une vieille fille au caractère bien trempé. Au fur et à mesure, ému par le dénuement et par le courage de cette famille, le docteur Faraday va s’attacher à eux, et à la maison, qui l’a fortement marqué dans son enfance. Mais justement, cette vieille maison aux proportions grandioses semble receler le secret d’une autre présence : bientôt, d’étranges évènements perturbent le quotidien. Oserait-on penser qu’Hundreds est hanté ?

Le moins que l’on puisse dire avec Sarah Waters, c’est qu’elle joue avec brio avec les codes, et sait également s’en affranchir. Rien ne laisse vraiment présager l’aspect fantastique du récit dans l’incipit, brillamment mené, qui présente Hundreds comme le personnage principal de ce roman. Et de fait, le fantastique ne s’installe que progressivement, et semble toujours pouvoir être remis en question. Libre au lecteur de faire confiance aux personnages et de croire à la présence d’un fantôme, ou de penser aux Ayres comme à des personnages à l’imagination fantasque et à l’esprit vaguement dérangé. Cette hésitation du lecteur entre une explication rationnelle, psychologique, et une interprétation totalement fantastique est probablement l’un des grands atouts de ce roman.

Ce roman, outre son aspect fantastique et le style fluide, sans prétention, de l’auteur, possède également pour atout de dresser un portrait de l’Angleterre des campagnes dans l’après-guerre : à travers les visites du docteur Faraday, le lecteur découvre aussi bien le quotidien des gens du peuple, que l’univers de la gentry. Plusieurs références sont faites à la politique, et un des personnages, Seeley, donne même une explication politico-sociale à la déchéance des Ayres, grande famille du Warwickshire. Les divers personnages eux-mêmes incarnent des classes sociales entières : Mrs Ayres, par exemple, qui semble tout droit sortie d’une autre époque, où l’on sonne les domestiques ou la jeune Betty, que ses parents font engager comme bonne pour qu’elle apprenne à tenir une maison, mais qui pourrait tout aussi bien travailler à l’usine. C’est tout le portrait d’une société en plein changement que nous dessine Sarah Waters.

L’on ne peut que se sentir fasciné par cette grande maison qui semble chaque jour se délabrer un peu plus : le lecteur est constamment amené à constater l’étendue des dégâts, et à comparer avec ce que la maison fut au sommet de la fortune de ses propriétaires. Plus qu’un lieu, Hundreds apparait comme un membre de la famille Ayres, une entité trop immuable, comme les Ayres eux-mêmes pour survivre au changement. Hundreds est tellement bien décrite que le lecteur s’y figure en même temps que les personnages. C’est probablement pour cela que j’ai tant aimé ce livre.

Ce livre a été chroniqué dans le cadre d’un partenariat avec le site Chroniquesdelarentreelitteraire.com et dans le cadre de l’organisation du Grand Prix Littéraire du Web Cultura.


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