Il a beaucoup été question de chats sur la toile ces jours derniers, depuis la diffusion d’une vidéo (disponible ici) montrant une certaine Mary Bale, citoyenne britannique de Coventry, jetant sans raison dans une poubelle un chat qui s’était laissé approcher avec confiance, sur la voie publique. Cet acte, d’une cruauté gratuite, a soulevé une légitime indignation, d’autant plus vive qu’Outre-Manche, les animaux domestiques jouissent d’une particulière sympathie. Les Anglais ne voient-ils pas en nous, Français, des « sauvages » capables d’afficher le lapin à nos menus, ce dernier étant, chez eux, considéré comme un animal de compagnie, au même titre que le chat ou le chien ?
L’attitude de Mary Bale, qui, tout en s’étant excusée du bout des lèvres et sous la pression médiatique, ne semble pas trouver son geste si grave (« Je pensais que c’était drôle », a-t-elle même avoué !), appartient à ce que Flaubert appelait « l’imbécilité triomphante ». Les menaces de mort qu’elle a reçues, alors que sa victime, nommée Lola (laquelle ressemble beaucoup à mon chat Kenzo), a heureusement pu être sauvée après avoir passé quinze heures enfermée, en relèvent tout autant. Laissons donc cette «bonne dame» à ses frustrations présumées et à l’enquête que la SPA locale diligente contre elle. Son anonymat lui tenait, jusqu’à présent, lieu de paravent ; sa célébrité soudaine, son entrée dans le cercle assez fermé des « personnes les plus haïes du Royaume-Uni » et une récente vidéo parodique finiront bien par lui faire prendre conscience l’ineptie de son méfait.
C’est par une bulle du pape Grégoire IX, en 1233, que le chat fut déclaré « serviteur du Diable », probablement en raison de son appétit sexuel et de ses longues périodes de sommeil diurne : paresse et luxure, le mélange explosif au regard de la «morale» était tout trouvé ! A la même époque, il lui fut tout naturellement attribué un rôle de premier plan dans les actes prétendus de sorcellerie. Au début du XVe siècle, Innocent VII intensifia la persécution des chats, suivi, en 1484, par Innocent VIII qui imposa que les « sorcières » fussent livrées par l’Inquisition au bûcher avec leurs félins favoris - lesquels faisaient l’objet de très ubuesques procès ! Car, bien entendu, aux yeux de ces hommes d’Eglise, la femme et le chat constituaient deux cibles fâcheusement complémentaires, à diaboliser en priorité… Les chats noirs furent, plus que les autres, assimilés au Malin – à moins que leur robe ne comportât une tache blanche sur le poitrail, appelée « marque de Dieu », détail lourd de signification quant à l’alliance du fanatisme religieux et de la superstition. L’extermination par millions de ces animaux eut une conséquence inattendue selon beaucoup d’historiens : la grande épidémie de peste noire qui ravagea toute l’Europe dès la fin du XIVe siècle eut sans doute été moins importante et moins longue si l’on n’avait pas ainsi fait disparaître les prédateurs naturels du rat.
A l’attention des lecteurs que le chat intéresse (on compte neuf millions de ces animaux en France aujourd’hui), je recommanderai volontiers Le Traité Rustica du chat (Rustica éditions, 447 pages, 32 €). Cet ouvrage, abondamment illustré, se révèle fort utile, non seulement parce qu’il présente les différentes races félines, mais aussi par son approche pédagogique qui facilitera à tous la compréhension du chat et de sa psychologie. Le mot de la fin ne pouvait toutefois revenir qu’à Jean Cocteau, auteur de ce bel aphorisme : « J’aime les chats parce qu’il n’existe pas de chats policiers. »
Illustrations : Kenzo dans ma bibliothèque, photo T. Savatier.