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Anthologie permanente : Lambert Schlechter

Par Florence Trocmé

celui qui 
(en guise d’autoportrait) 
  celui qui dit je qui dit vous 
qui vous interpelle il n’a aucun nord à offrir 
aucun sud à mettre à la place 
il crucifie des pronoms de hasard sur la rose des vents 
  celui qui demande quel jour sommes-nous ? 
vous lui dites c’est toujours c’est jamais 
vous lui dites c’est le moment 
et vous frappez juste 
  celui qui dit à l’odalisque : 
celui qui me fait l’amour c’est moi 
  celui qui te regarde 
te veut t’en veut ti vuole bene 
en veut tant et tant te dévêt te défait te défonce 
celui qui te regarde 
et prend ton nom en écharpe et avale tes parfums 
  celui qui va & vient chevauchant les marées 
enfourche la balance lunatique 
guette & craint tes menstrues 
vole ton linge sec qui claque aux bourrasques de juillet 
  celui qui momie dédale icare 
nage comme poisson dans les laves 
se faufile dans les pile ou face du calendrier 
est tellement là où c’est sans doute nulle part 
  celui qui brode fignole dans l’incertain 
prévoit le temps et ignore la tempête 
trébuche sur la moindre pierre qui roule 
  celui qui sous l’amas de ses cravates 
tout blanc tout nu aurait au gré de l’anecdote 
pu clamecer à clamecy hôtel de la poste chambre 9 
  celui qui dit je 
n’est jamais en français dans le texte 
(p.6) 

soudain envie de changer d’endroit 
parce qu’on se dit : 
à l’endroit suivant j’irai mieux 
à l’endroit suivant tout sera plus simple plus léger 
et l’endroit suivant c’est la pièce voisine 
la chambre d’à côté, c’est une autre maison 
une autre rue, une autre ville 
l’endroit suivant c’est un autre pays, un autre continent,  
l’endroit suivant c’est une autre vie 
l’endroit suivant 
soudain tu le sais comme si tu l’avais toujours su : 
c’est le repos à jamais 
le sommeil dans nulle part 
le néant qui est l’envers de tous les endroits 
(p.12) 

on ne sait plus où se réfugier 
peut-être baisser les stores 
descendre les jalousies, condamner les fenêtres 
sceller les portes 
organiser l’absence le temps que ça passe 
le temps que le temps passe 
rien d’autre ne peut passer que le temps 
et ce que le temps ramène en passant 
c’est encore du temps 
qui à son tout devra passer 
et ce temps qui n’arrête pas de passer 
qui passe sans répit 
ça donne un insurmontable épuisement 
(p.55) 

comme si  
comme si les mots étaient disponibles 
comme si les syllabes 
que l’on assemble pour former 
les mots de la conversation 
comme si ces syllabes formaient des mots 
qui s’aligneraient pour un poème 
les mots parlés ne servent à rien 
faut juste les parler 
celui qui veut écrire 
pendant des jours & des jours 
n’a pas accès aux mots 
les parleurs ne comprendront jamais cela 
ils pensent que les mots ça va de soi 
ils disent : fais comme nous, cause cause… 
(p.92) 

vous a-t-on raconté l’étrange romance 
de ces troubadours, doux dingues 
d’Andalousie & de Provence 
qui s’exaspéraient à faire 
l’éloge de l’inassouvissement 
luxurieux dans leur tête 
libidineux dans leurs vers 
mais timides, lents & tendres 
dans leurs gestes en la chambre 
sur la couche de leur princesse demi-nue 
qui permettait la sieste mais pas la nuit 
qui concédait la vulve mais pas le vagin 
poussant le désir à incandescence 
mais jamais ni feu ni flamme ni incendie 
qui n’auraient laissé que cendres… 
(p.100) 
Lambert Schlechter, L’envers de tous les endroits, éditions Phi, 2010. 
Bio-bibliographie de Lambert Schlechter 
Par Jean-Pascal Dubost 
  
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