Extrait d'un texte important mais, mais peu lu. Il est associé au Guhyasamâjatantra de la tradition "de Nâgârjuna". Mais sa portée est très générale. Voir aussi un extrait précédemment publié, sur la même question :
Ce que les naïfs tiennent pour vrai
Est précisément ce que les yogins tiennent pour faux.
Celui qui comprend cela
N’est ni asservi, ni délivré.
Ceux qui pensent en termes de samsara et de nirvana
Ne voient pas la réalité.
Ceux qui ne pensent pas en termes de samsara et de nirvana
Voient la réalité.
Car c’est le doute (vikalpa)
Ce grand démon qui nous emporte dans l’océan du samsara.
L’absence de doute délivre les magnanimes
Des liens de l’existence.
Les (naïfs) sont paralysés par le poison de la peur (shankâ)
Comme des hommes pas un poison.
Celui qui a de la compassion doit la mettre en œuvre
Après avoir extirpé cette (peur).
De même qu’un cristal limpide
Est coloré par les couleurs d’autres (objets)[1],
De même, ce joyau qu’est l’esprit
Est conditionné par des passions[2] imaginaires.
Une fois distingué de l’ordinaire des passions imaginaires
Ce joyau qu’est l’esprit
(Se dévoile être) pur depuis toujours,
Sans naissance, sans nature propre, limpide.
Ce que les naïfs s’interdisent,
On doit le faire avec zèle,
Identifié à sa divinité tutélaire,
Car c’est ainsi que l’esprit sera purifié.
Pour le yogin dont les intentions sont pures,
(Même si son esprit) est subjugué par ce poison qu’est le feu de la passion,
Le désir qu’il nourri envers les femmes désirables
Est de fait un désir qui le conduit à être délivré des désirs.
De même, si on s’imagine être un garuda
Ce garuda peut ingérer le poison (sans en souffrir).
On a alors neutralisé le poison.
On ne sera donc pas terrassé par lui.
Et de fait, la tradition rapporte
Que celui qui (imagine) une roue de douze lieues
Tournoyant au-dessus de sa tête,
Celui-là est purifié (de ses péchés) dès lors qu’il aura produit l’esprit d’éveil.
A partir du moment où l‘esprit d’éveil est produit
Rien n’est interdit
A celui qui vise le parfait Eveil
Dans l’intention de délivrer le monde.
Aryadeva, Traité pour la purification de l'âme (Cittavishuddhiprakarana)
P.S. :
Joy Vriens, dans un commentaire ci-dessous, rapproche le débat bouddhique sagesse VS méthode du débat qui opposa, dans la France du Grand Siècle, les partisans du quiétisme (en fait, ils parlaient de "pur amour") aux défenseurs des œuvres. Bossuet, leur, champion, n'était pas contre un dépassement des œuvres et des limites imposées par l'Église "extérieure", mais ce dépassement ne pouvait être que purement intérieur. On trouverais également des équivalents en Inde, dans le bouddhisme et ailleurs. L'accomplissement de la méthode autorise-tt-il à se passer de cette méthode ? Mais alors, qui donnera l'exemple ? Voir - question plus radicale - toute méthode n'est-elle pas un arrêt, un détour inutile, voire un obstacle ? Ces questions sont universelles. Si vous avez le temps, jetez un coup d'œil sur les Dialogues posthumes sur le quiétisme du sieur La Bruyère :
[1] Qui se trouvent derrière ou sous lui.
[2] Jeu de mots sur râga, à la fois couleur et passion, « couleur émotionnelle », conditionnement, ambiance, atmosphère.