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En direct de Perpignan : Visa pour l’image. Impressions d’une ville multiculturelle

Par Memoiredeurope @echternach

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Voilà un direct qui présente un peu de décalage. Le 22eme Festival international du photojournalisme a été inauguré il y a une semaine. Mais pour l’avoir vécu en direct pendant cinq jours, je suis resté sur l’impression qu’il m’avait retenu bien plus longtemps, au milieu de la foule qui a peu à peu envahi la ville de Perpignan, en passant crescendo de la file clairsemée de l’inauguration aux caravanes des journées professionnelles. 

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Partant d’un jeu de piste et lancé à corps perdu dans un labyrinthe, offert à ceux qui, comme moi, venaient y capturer des émotions autant que des informations mondiales saisies dans la chair et le souffle des hommes, je suis arrivé à participer de manière un peu marginale à une embrassade multinationale. Une foire aux images et aux contacts où les journalistes lauréats attirent les regards et se font prendre au piège de l’appareil photographique de leurs collègues, rendant par leur célébrité momentanée, un hommage à tous ceux qui ont traversé le miroir souvent mortel du terrain où ils travaillent. Témoins Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière dont les journées de détention s’accumulent sans que la France arrive à les retrouver. 

Samedi et vendredi dernier, j‘ai joué au touriste. Et pour moi, c’est une vraie richesse. Rien ne me conviait là, sinon la curiosité que j’ai éprouvée l’an passé à la même époque en venant à Perpignan, pour de toutes autres raisons que la photographie. Rien, sinon la recommandation douce que des amis m’avait faite de ne pas manquer ce rendez-vous. Mais comme on le sait, j’ai raté bien d’autres rendez-vous festifs de l’été. 

Pour une fois, j’ai eu du temps. J’ai pris du temps. J’ai pu jouir d’une visite à l’aveugle, ce qui pour un jeu photographique pris entre l’illusion, le mensonge et la vérité toute nue, est un luxe. 

Première étape, la prise en compte d’une ville qui se déploie en se répandant sous l’abri que lui procure le Palais des Rois de Majorque. Un palais qui m’est apparu dans toute sa rudesse de pierres rondes alternées, de lignes brisées destinées à vaincre tous les assauts, avec l’impression maintenue pendant toute la visite que le sentiment de force qui est donnée aux assaillants potentiels se traduit tout autant à l’extérieur qu’à l’intérieur des murailles.

Les pièces, les couloirs, les escaliers sont eux aussi habités d’une force sourde à laquelle la mise en scène minimale d’un mobilier quasi inexistant permet de s’exprimer avec une plénitude de prison royale. N’étaient les concerts de guitare et l’hommage à Django Reinhardt pour la célébration des cent années de sa naissance, qui brouillent les pistes et attirent au soir tombé des milliers d’amateurs quasi religieux, je serais resté sur un profond sentiment de malaise.

Du haut de la tour, en tournant le dos au Canigou, on aperçoit à gauche le quartier gitan. En face la beauté étale du quartier commerçant qui s’étend du Castillet à la cathédrale Saint Jean et au Campo Santo. Et à droite enfin, le piège des rues qui s’entrelacent depuis le Couvent des Minimes et la Chapelle du Tiers Ordre, jusqu’à l’église Saint Jacques vers le haut, dans sa célébration d’un double culte et l’arsenal vers le bas, espace culturel établi dans les restes de l’ordre militaire. 

Comme à Tunis, Alger ou pourquoi pas danscertains quartiers d’Istanbul, les hommes se prélassent dans la rue en laissant passer, entre les chaises lovées devant les portes et l’agitation ménagère des femmes, le flot des enfants.

Rien que du culturel, au milieu et entre les hommes, puisque les expositions ; une quarantaine officielles ainsi qu’une improbable et incalculable suite d’installations off sont célébrées dans certains de ces lieux découverts à vol d’oiseau. Des espaces à peine aménagés, sortis depuis peu de l’état de caserne, de celui de prison, de lieu de culte, d’entrepôt ou de cuisine collective, créant ainsi une sorte de sabbat mystique, plaquant le plus raffiné des portraits mortuaires de la misère du monde sur la lèpre des murs désertés.

De ces deux premiers jours du week-end qui ne m’ont pas permis d’épuiser l’ensemble des présentations, j’ai retenu le sentiment d’un plongeon dans le vide. Ou pour mieux dire, dans les remugles de l’émigration ordinaire, des attentes de Sangate, aux ensevelissements d’Haïti, des clochards du réseau souterrain des trains de New York aux pèlerins de Médine, des réprimés de Bangkok aux trafiquants colombiens et aux soldats civils de la camorra toute puissante. 

Une accumulation de marges spatiales et temporelles pour de vrais marginaux, pour des armées en déroute fuyant les machettes et pour ceux que la violence des hommes et des catastrophes naturelles a projeté dans les débrisde la civilisation.

Que sont alors les photojournalistes, sinon ceux qui tournent autour de la misère, en attente permanente de cette espèce de bulle qui éclate, ici et là, parce qu’un président à décidé de montrer ses muscles ou qu’un ouragan a croisé la route des vivants à deux pattes ?

Et puis, à force de confrontations de talents, j’ai jeté mes yeux vides pour mieux regarder.

Des plus anciens comme William Klein fasciné par New York, Rome, Moscou et Tokyo des années cinquante et soixante, en passant par une génération intermédiaire de baroudeurs, comme Grégoire Korganow qui a échappé à la mort et présente dans son « Carnet d’urgence » le travail des gens du SAMU qui lui ont sauvé la vie, jusqu’aux plus jeunes comme Pietro Masturzo, petite barbiche et regard clair, qui est passé de la terre bouleversée d’Abruzzo aux toits de Téhéran où les femmes criaient la nuit leur révolte anonyme contre des élections truquées.

Dans la misère des cultures du monde, j’ai tenté de faire le départ entre la profusion des affrontements ordinaires vécus dans le vaste monde et ma recherche des images d’Europe. Ces dernières peu nombreuses, comme si nous vivions dans un continent apaisé et heureux. J’ai surtout appris à apprécier la découverte des miroirs brisés d’une ville multiculturelle où l’apaisement est revenu, justement, après la violence qui a jeté il y a cinq ans les Gitans contre les Maghrébins en faisant des morts.

Première étape. Première acclimatation. 

En quelque sorte, je me suis apprivoisé.

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