La meilleure biographie de Pirandello, Camilleri le reconnaît et dit s’en être servi, est celle de Gaspare Giudice, malheureusement non traduite en français.
Cependant le mérite de Camilleri est de rendre vivant tout ce qui a trait à la vie en Sicile du jeune Pirandello, avant qu’il ne s’en échappe pour Rome. Il a vécu sous les mêmes lois tacites, les mêmes codes familiaux, les mêmes contraintes de ce milieu bourgeois très catholique et très superstitieux à la fois d’une petite ville insulaire très fermée !
Dans un savoureux rappel du dialecte d’Agrigente, des gestes immémoriaux du double langage tacite, des fables et des proverbes qui façonnent les esprits, il s’emploie à expliquer les tourments qui ont emprisonné l’écrivain toute sa vie et influencé son théâtre novateur! Le renoncement à ses premières fiançailles, son mariage torturé par la jalousie paranoïaque de sa femme qu’il faudra finir par interner, son amour tourmenté pour ses trois enfants, une grande partie de sa vie s’expliquerait par la fable originelle, celle de l’enfant échangé à laquelle il croit fermement et qui explique ses relations douloureuses avec un père qu’il rejette de toutes ses forces sauf à la fin de sa vie quand il sera devenu dépendant. Né prématuré avec un père constamment absent et autoritaire il veut se croire né ailleurs, dans une autre famille qui l’aurait échangé à sa naissance. Toute sa conduite découlera de cette impression. J’ai appris bien des choses intéressantes sur l’histoire, les croyances et les mœurs de la Sicile depuis le débarquement de Garibaldi avec ses mille volontaires pour la réunification du royaume d’Italie jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale. Quand Pirandello sera devenu mondialement célèbre avec son théâtre novateur mais controversé.J’ai voulu retenir un des aspects de l’âme sicilienne concernant l’amitié : « Une des constantes de l’amitié sicilienne est le devoir de deviner comment l’ami se comportera dans une circonstance donnée sans qu’il soit besoin d’accord préalable. De surcroît, le don de soi réciproque ne tolère ni réserves, ni zones d’ombre, ni tiroirs secrets. S’il existe, ils limitent la portée du don, la force du dévouement et révèlent que le rapport improprement appelé « amitié » est en réalité fondé sur une équivoque.Il s’ensuit que l’amitié sicilienne est un art des plus subtils et des plus exigeants et peut-être conviendrait-il de le désigner par un autre nom : fraternité d’âmes, consanguinité élective… Autour de deux amis siciliens se crée une sorte de cercle magique qui exclut les autres et ne laisse pénétrer ni les affaires du monde, ni même les grands événements de l’Histoire ».Connaissant un peu mieux maintenant Pirandello, trouverai-je plus facile d’écrire un billet sur une de ses pièces ? Pas sûr !
Pirandello, biographie de l’enfant échangé par Andrea Camilleri(Flammarion, 2002, 319 p) Traduit de l’italien par François RossoTitre original : Biografia del figlio cambiato