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Le voyage en orient - gérard de nerval : 7. départ

Publié le 04 septembre 2010 par Rl1948

 

   Nous voici arrivés amis lecteurs, au terme de notre séjour égyptien en compagnie de Gérard de Nerval. Il va monter dans la cange qui bientôt l'emportera aux confins du Delta oriental,  sur l'antique branche, si peu frayée, par où le Nil descend du Caire à Damiette, de manière à rallier la Syrie aux fins d'y poursuivre son Voyage en Orient ...

   Ecoutons-le d'abord nous préciser que sa cange contenait deux chambres, élégamment peintes et dorées à l'intérieur, avec des fenêtres grillées donnant sur le fleuve, et encadrant agréablement le double paysage des rives ; des corbeilles de fleurs, des arabesques compliquées décorent les panneaux ; deux coffres de bois bordent chaque chambre, et permettent, le jour, de s'asseoir les jambes croisées, la nuit, de s'étendre sur des nattes ou sur des coussins. Ordinairement la première chambre sert de divan, la seconde de harem. Le tout se ferme et se cadenasse hermétiquement, sauf le privilège des rats du Nil, dont il faut, quoi qu'on fasse, accepter la société. Les moustiques et autres insectes sont des compagnons moins agréables encore ; mais on évite la nuit leurs baisers perfides au moyen de vastes chemises dont on noue l'ouverture après y être entré comme dans un sac, et qui entourent la tête d'un double voile de gaze sous lequel on respire parfaitement. (...)

Cange sur le Nil (Collection Linant de Bellefonds - Victoria & Albert Museum - Londres)

   En point d'orgue à la relation des quelques mois que le poète a  vécus au Caire, du 7 février au 7 mai 1843, que je vous ai donnée à lire cet été depuis le 24 juillet, sans, vous vous en doutez, aucune volonté d'exhaustivité de ma part, ce sont ses dernières impressions que je vous propose aujourd'hui de découvrir.

   J'ajouterai simplement que l'ouvrage, passionnant, que j'ai relu à votre intention, référencé en note infra-paginale, est disponible en librairie, dans des éditions de poche plus récentes, voire commentées :  il vous est donc loisible, si l'envie maintenant vous en prend, de l'acquérir et d'y poursuivre la lecture qu'ici je n'ai fait qu'entamer.

   Je quitte avec regret cette vieille cité du Caire, où j'ai retrouvé les dernières traces du génie arabe, et qui n'a pas menti aux idées que je m'en étais formées d'après les récits et les traditions de l'Orient. Je l'avais vue tant de fois dans les rêves de la jeunesse, qu'il me semblait y avoir séjourné dans je ne sais quel temps ; je reconstruisais mon Caire d'autrefois au milieu des quartiers déserts ou des mosquées croulantes ! Il me semblait que j'imprimais les pieds dans la trace de mes pas anciens ; j'allais, je me disais : En détournant ce mur, en passant cette porte, je verrai telle chose ... et la chose était là, ruinée, mais réelle.

   N'y pensons plus. Ce Caire-là gît sous la cendre et la poussière ; l'esprit et les progrès modernes en ont triomphé comme la mort. Encore quelques mois, et des rues européennes auront coupé à angles droits la vieille ville poudreuse et muette qui croule en paix sur les pauvres fellahs. Ce qui reluit, ce qui brille, ce qui s'accroît, c'est le quartier des Francs, la ville des Italiens, des Provençaux et des Maltais, l'entrepôt futur de l'Inde anglaise. L'Orient d'autrefois achève d'user ses vieux costumes, ses vieux palais, ses vieilles moeurs, mais il est dans son dernier jour ; il peut dire comme un de ses sultants : "Le sort a décoché sa flèche : c'est fait de moi, je suis passé !"

   Ce que le désert protège encore, en l'enfouissant peu à peu dans ses sables, c'est, hors les murs du Caire, la ville des tombeaux, la vallée des califes, qui semble, comme Herculanum, avoir abrité des générations disparues, et dont les palais, les arcades et les colonnes, les marbres précieux, les intérieurs peints et dorés, les enceintes, les dômes et les minarets, multipliés avec folie, n'ont jamais servi qu'à recouvrir des cercueils.

   Ce culte de la mort est un trait éternel du caractère de l'Egypte ; il sert du moins à protéger et à transmettre au monde l'éblouissante histoire de son passé.

(Gérard de Nerval, Voyage en Orient, Tome 1, Paris, Julliard Littérature, 1964, pp. 300-1 et 309)


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