Très souvent, les intrigues de Patricia Wentworth ne sont pas ébouriffantes et on devine très vite la fin à des kilomètres à la ronde. Or, cette fois, même si le doute était semé, j'ai aussi été plus d'une fois étonnée par les retournements de situation. La dame ne déroge pas à ses principes : jamais de sang, pas de poursuite infernale, aucune scène qui pousse le sensationnalisme sur le devant, les enquêteurs boivent le thé devant un bon feu de cheminée et dissertent, entourés de livres et d'un perroquet bavard. Non, franchement, nous sommes loin des nouvelles modes du genre policier. L'enquête ici se base sur un climat de suspicion, voilà la grande force de l'histoire (en plus de ce que je considère comme l'élégance du style, les personnages charmants et agaçants, le ton guindé et raffiné, le petit côté rétro, mais pas vieillot).
Nous avons en tête Rosalind Denny, veuve depuis dix-huit mois, dont le mari Gilbert a mis fin à ses jours lors d'une sortie en mer. Il était sous-secrétaire au Forein Office, jouissait d'une carrière florissante, avait le tapis rouge à ses pieds, hélas il semblerait qu'un prochain scandale pouvait l'éclabousser et qu'il ne l'aurait pas supporté. Or, Rosalind réfute ces accusations. Selon elle, il aurait été tué ou poussé au crime. Son cousin, le colonel Garrett (déjà croisé dans L'appel du danger), assisté du sémillant BCH Smith, commence à entrevoir l'aube d'un complot. D'autres politiciens ont été récemment acculés à la retraite professionnelle, seulement l'un d'eux, Bernard Mannister, a choisi la méthode tapageuse, en forçant le ton et en brassant l'air de ses bras. De plus, son nouveau secrétaire particulier, Jeremy Ware, travaillait également pour Gilbert.
Et ainsi tourne la roue. Car Jeremy réalise avec stupeur qu'il serait lui aussi visé par ce complot, qu'on chercherait à le tenir responsable de contre-espionnage, et sans l'intervention d'une demoiselle, qui lui apparaît la nuit, tel un fantôme, avant de disparaître dans les couloirs souterrains de la maison de Mannister, Jeremy serait dans de beaux draps. Mais sa cote de crédibilité a cruellement chuté, il se sent seul, raison de plus pour démasquer le coupable et faire éclater la vérité, découvrir l'identité de la jeune fille somnabule, reconquérir la confiance de Rosalind, laquelle est tombée dans les pièges du spiritisme... Bref, l'intrigue nous réserve son lot de surprises, toutes très agréables, le climat d'après-guerre rend l'ensemble captivant, mais jamais pesant. Cela confirme mon sentiment, lire ou relire Patricia Wentworth n'est jamais décevant !
10-18, collection Grands Détectives (2008) - 282 pages
traduit de l'anglais par Anne-Marie Carrière