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Les vendanges

Par Choupanenette

vendangesPartout les vendanges étaient ommencées. Depuis le début de septembre, chacun s'occupait des préparatifs. On avait balayé les cuviers, arrosé les cuves et mis à l'air tous les ustensiles. Dans les vieux pressoirs, un ouvrier accroupi avait soigneusement mastiqué les joints, étalant avec une palette de bois un ciment rouge mélangé de suif qu'il faisait fondre dans un poêlon. Il s'en dégageait une odeur de cire qui se mêlait à celle des murs humides. Dans les cuisines, on avait fourbi les chenets, l'écumoire, la cuiller énorme qui sert à remuer la soupe dans un pot de fer. Les charrettes passaient sur les routes, transportant plusieurs étages de barriques vides qui s'élevaient au-dessus de leurs fourragères.
Dans les vignes, se détachant parmi les feuilles jaunes, apparaissaient de loin les mouchoirs noués sur le chapeau des jeunes filles. De toutes les maisons du village et de la campagne s'échappaient le matin des bandes joyeuses. Tous, depuis les vieillards jusqu'aux enfants, et les chiens mêmes, entraient dans le mouvement de la grande fête ; les pêcheurs cessaient de pêcher, les couturières de tirer l'aiguille. Mme Rose abandonnait ses paniers et mettait son âne en vacances. Tout le monde coupe, mange et rit, s'enveloppe les jours de brouillard dans de vieux tricots, se régale le matin de raisins glacés et vide des cruches de piquette dans le soleil.
Les vapeurs roses du couchant éclairent le retour des lourdes charrettes. Une odeur de moût qui fermente s'échappe des cuves. Leur gouffre est plein d'un sourd grondement et, dans le sang échauffé par le vin nouveau, la vie aussi tressaille plus forte, les mouvements de joie et d'humeur s'y succèdent par sautes brusques : du rire, des chants, puis des querelles qui éclatent en une minute.vendange
Le matin, Paule était allée près de la route, au bord d'une vigne que l'on vendangeait. Le vieux Pichard, les bras ruisselant de jus écarlate, foulait les belles grappes d'un bleu noir que renversaient les vide-paniers. Mme Rose, dont les ciseaux ne s'arrêtaient pas, encourageait un enfant qui lui faisait face.
"Passe par-dessous, mon petit bonhomme. Voyez s'il coupe bien. C'est qu'il n'a pas du sang de lapin. Vide-paniers, tu ne veux donc pas venir me trouver ? Cours vite ici, mon joli garçon !"
Un peu plus loin, une femme âgée parlait aux pieds de vigne avec affection : "Ah ! le pauvre ! qu'il est chargé ! Encore un de débarrassé... Le voilà bien a l'aise jusqu'à l'année prochaine. C'est drôle, tout de même, que ces affaires-là poussent sur du bois !"
La figure décharnée de la vieille paysanne, sous son mouchoir sombre, était creusée de grandes rides autour du menton.
Deux jeunes filles, du bleu et du rose, le visage rapproché à travers les feuilles, chuchotaient longuement.

Jean BALDE


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