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L’Etat convoque les beaux-parents

Publié le 26 décembre 2007 par Willy

L’Etat convoque les beaux-parents
Reuters

La vie au foyer avec «le copain de ma mère» ou «la femme de mon père» est une réalité pour 1,6 million d’enfants en France. Pour ces beaux-parents, le gouvernement souhaite créer un «statut» légal qui n’excluerait pas les couples homoparentaux.


C’est la «belle-doche» ou le «beau-père», parfois on entend plutôt «le copain de ma mère» ou «la femme de mon père». On parle aussi de «parent social» ou de «parent d’addition». Bref, on ne sait pas quelle appellation donner au beau-parent. Nicolas Sarkozy veut aujourd’hui lui «créer un statut» (lire page 4). C’est écrit dans la lettre de mission adressée cet été par le Président à Xavier Bertrand, ministre du Travail. Ces quelques lignes changeront (peut-être) le quotidien de ceux qui partagent la vie des 1,6 million d’enfants vivant dans un foyer recomposé. «Nous voulons soutenir et aider toutes les familles, sans exclusion, pourvu qu’elles soient des lieux de repères affectifs et moraux», affirme le Président dans sa missive. Qui, sans le coucher noir sur blanc, intègre ainsi les familles homoparentales. Le chantier vient d’être lancé. «On débroussaille le terrain», confirme-t-on au cabinet de Xavier Bertrand. Des premières auditions informelles ont eu lieu. «Pour l’instant, on fait de la pédagogie», explique un représentant de l’APGL (Association des parents et gays et lesbiens), après plusieurs rendez-vous avec des conseillers dans différents cabinets. Un groupe de travail pourrait être mis en place.

Un rôle à définir ?

«Avant le beau-parent se substituait au parent décédé, a rappelé le chercheur Gérard Neyrand à une rencontre à la Cour de cassation sur «le tiers», organisée en novembre par Dominique Versini, défenseure des enfants. «Aujourd’hui, c’est un acteur parental qui s’ajoute et doit trouver sa place dans une famille qui se reconfigure.» Que faire de «ces parents en plus», comme les appelle le sociologue Didier Le Gall ? Ceux que les enfants des familles reconfigurées reconnaissent «comme père nourricier, ayant un rôle affectif et de socialisation qui est un rôle de suppléance, car il ne concurrence pas le père biologique».

Quelles lacunes ?

Emmener un enfant qui n’est pas le sien chez le médecin, aller le chercher à l’école, envisager un changement d’établissement scolaire ou un voyage à l’étranger… Voilà des actes que le beau-parent n’a pas le droit de faire ou du moins pas sans autorisation. Les exemples sont encore plus criants quand il s’agit de couples homosexuels. Le beau-parent n’en est pas un puisqu’il n’est pas issu d’une recomposition conjugale, il a lui aussi voulu l’enfant dès le début. C’est un «coparent», un parent social, mais pas légal. Il ne peut assister au conseil de classe, représenter son compagnon dans les conseils d’école ou refaire la carte d’identité du petit : «La société lui dit chaque jour qu’il n’est pas parent et dit chaque jour à l’enfant que ce parent social n’est pas son parent», explique Mathieu Peyceré, membre de l’APGL. Et encore, c’est sans parler des problèmes graves qui se posent en cas de séparation ou de décès du parent biologique (comme la transmission des biens, le maintien de lien ou encore la garde).

Depuis la réforme de Ségolène Royal de mars 2002, un partage de l’autorité parentale est possible (entre le parent et une «tierce personne digne de confiance»). Cette demande doit s’adresser au juge. On en compte plusieurs milliers dont une partie venant de couples homos. Le 24 février 2006, la Cour de cassation a reconnu que la demande de deux lesbiennes était légitime. Mais comme l’explique Dominique Versini : «Les décisions de justice sont prises au cas par cas et restent très variables selon l’intelligence et l’humanité des juges.»«On a les outils juridiques pour faire une place au beau-parent, on ne les utilise pas», décrypte l’avocate Caroline Mécary.

Faut-il un statut ?

Dominique Versini en est persuadée. Pour elle, cela ne constitue «pas une menace à l’autorité parentale». La défenseure des enfants, qui a travaillé un an sur le sujet, propose donc des outils à utiliser «à la carte», «réversibles» et «pas systématiques» pour «aménager la vie quotidienne». Comme un mandat d’éducation parentale donné par le ou les parents à une tierce personne pour «les actes usuels mais aussi les actes graves». Elle propose aussi de «simplifier la démarche lourde et longue» de partage de l’autorité parentale. Il s’agirait d’une simple convention homologuée par le juge. Enfin, en cas de décès, elle souhaite «éviter que les enfants soient systématiquement confiés aux grands-parents, si aucun tuteur n’a été désigné» et instaurer «un droit de l’enfant d’entretenir des relations personnelles» avec un tiers qui l’a élevé.

Ces propositions de réforme ne font pas l’unanimité. Spécialiste du droit de la famille, la juriste Florence Millet (1) a mis en garde contre tout «angélisme» : «Le législateur a cherché à dissocier la qualité de conjoint ou de concubin de celle de parent.» Or là, on réintroduit «une corrélation entre le niveau du couple et celui de la famille». Elle s’inquiète alors : «Le contentieux que le législateur a cherché à maîtriser sur le plan des conséquences du divorce resurgirait donc à propos du beau-parent.» Mais les plus hostiles sont les associations de pères qui craignent la «concurrence». «Dans 90 % des séparations, le père ne peut plus voir son enfant qu’un week-end sur deux. Dans 30 % des cas de droit de visite et d’hébergement, le parent "non-gardien" (le père donc) perd tout contact avec son enfant au bout de trois ans en moyenne», s’indigne ainsi SOS Papa. D’autres au contraire souhaitent aller plus loin : «Quid de l’adoption par le deuxième parent dans le cadre des couples homos ? Ou de la transmission du nom ? De l’héritage ?» demande ainsi Alain Piriou, porte-parole de l’inter-LGBT.

Reste cette (triste ?) réalité, mise à nu par la sociologue Sylvie Cadolle dans son enquête Etre parent, être beau-parent (Odile Jacob) : sur 60 personnes interrogées, 15 beaux-parents et beaux- enfants avouent qu’ils préféreraient se voir moins, 24 que l’autre ne fait pas partie de la famille et 20 qu’ils ne garderaient pas contact en cas de séparation du couple recomposé.

(1) Lors d’une audition à l’Assemblée nationale par la mission d’information sur la famille, le 30 novembre 2005.

Par  CHARLOTTE ROTMAN -  http://www.liberation.fr/


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