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Le sarkozysme n'est pas une pensée mais une pratique

Publié le 23 décembre 2007 par Omelette Seizeoeufs

A tous les anti-sarko: si vous ne l'avez pas déjà lu, lisez cet article chez Mouvements : L'hémisphère droit. Comment la droite est devenue intelligente. Je l'ai vu la semaine dernière grâce à Betapolitique, il vaut largement le détour.

Le titre est évidemment provocateur, et ce que Jade Lingaard et Joseph Confavreux nous apprennent concerne moins l'intelligence, ou même la naissance d'une nouvelle droite théorique ou théorisée, que les techniques de l'ingénierie idéologique qui ont permis à Nicolas Sarkozy de remporter l'élection présidentielle. Il s'agit du

travail de fond [...] conduit par l'ancienne directrice des études et prospectives de l'UMP, Emmanuelle Mignon. Une offensive menée selon une stratégie idéologique troublante, mal perçue par la gauche pendant la campagne, qui emprunte à l'hélice de l'ADN sa rotation sur elle-même, tournant à la fois vers sa gauche et vers sa droite. Elle s'est traduite par l'intérêt du discours de l'UMP pour des sujets jusque-là identitaires de la gauche, s'appuyant sur les travaux de chercheurs de pointe, sans que la grille de lecture conservatrice ou libérale ne joue un rôle premier.

Ce qui impressionne, d'abord, c'est l'organisation de ce travail idéologique : d'abord Sarkozy crée une équipe qu'il confie à la (assez) jeune Emmanuelle Mignon; celle-ci, recrutée en 2004, organise dès janvier 2005 des "conventions thématiques", journées d'études et conférences. Les idées recueillies sont alors transformées en pré-programme, avec l'intervention du Boston Consulting Group (la première fois qu'une campagne fait appel à des consultants étrangers) pour faire "absorber" le programme aux cadres sarkozystes. Au printemps 2007, le programme est testé par des sondages très ciblés, les dernières mesures sont éliminées ou peaufinées. L'organisation est digne du lancement d'une nouvelle boisson sucrée, avec cette différence sans doute mineure, que l'on n'est pas en train de décider si la boisson doit avoir plus ou moins de bulles, mais des questions essentielles de notre grand vivre-ensemble.

Y a-t-il des leçons pour la gauche dans cette façon de faire? Oui, car il faut effectivement privilégier l'efficacité. Peut-on se faire élire sans son parti? Sarkozy a réussi en allant contre certaines structures et certains dogmes de l'UMP, mais grâce à des moyens très importants, y compris ceux du Ministère de l'Intérieur et de certains organes de l'UMP qu'il a su se mettre dans la poche.

Emmanuelle Mignon résume:

"Nous avons fait - je crois que c'est rare - une véritable expertise sociale au sein d'un mouvement politique. Et les valeurs sur lesquelles repose le projet de l'UMP sont d'autant plus fortes qu'elles ne procèdent pas d'une intention idéologique mais d'un certain pragmatisme.

Elle a l'air de dire que ce pragmatisme est quelque chose de bien, la nouveauté de Sarkozy par rapport à l'ensemble de ses prédécesseurs. Sauf que le pragmatisme de SarkoCorp n'est pas celui de l'éfficacité étatique, c'est-à-dire pas ce qui s'appelle une politique pragmatique, mais celui de l'éfficacité communicationnelle. Pas l'efficacité politique, mais l'efficacité du pouvoir : comment se faire élire, comment asseoir son pouvoir. Le "contenu" politique est secondaire. En somme, il ne faudrait pas vanter le pragmatisme de Sarkozy, ce n'est pas celui que l'on veut nous faire croire. Ce n'est pas la peine d'ériger le cynisme politique en valeur démocratique, après tout.

Tout cela est intéressant parce qu'il montre en détail le genre de machine politique avec laquelle on a affaire, ainsi que le niveau communicationnel désormais exigé de tout futur(e) candidat(e). Mais il y a aussi un aspect central du sarkoyzysme qui apparaît dans ce récit de la victoire glorieuse.

Tout se passe comme si la droite française avait fait siens certains des diagnostics sociaux portés par la gauche, quitte à y apporter ensuite des « réponses » de son crû. Il a fallu, pour élaborer le projet de Nicolas Sarkozy, rompre avec les analyses de droite plaquées sur la société française.

Et c'est là où apparaît toute la subtilité et la perversité du sarkozysme : tout en restant fondamentalement de droite, SarkoCorp réussi à recadrer l'ensemble des questions politiques de son temps de façon à laisser croire à une partie signifiante de la gauche que sa "réponse" n'est pas à droite, car elle n'est pas celle de la droite traditionnelle. Du coup, la critique habituelle de la gauche n'est plus adaptée. Le non-sarkozysme (sans parler de l'anti-sarkozysme primaire) apparaît comme un vestige d'une pensée caduque, tandis que le sarkozysme apparaît la voie unique (et lumineuse!) de la modernité de la pensée.

Cet article fondamental nous rappelle l'exigence d'être, quoi qu'il en soit, parfaitement moderne. Bien sûr, il ne faut pas suivre Sarkozy, ni sur le fond ni sur la forme, mais nous ne pourrons pas combattre le sarkozysme avec du vieux. Il va falloir avoir de l'imagination et de l'agilité. Le sarkozysme n'est pas une pensée politique : peu importe, presque, ce qu'on pense (quand on est sarkozyste), du moment qu'on gagne. Le sarkozysme est une pratique du pouvoir, surtout de son acquisition, une façon de modéler les idées pour qu'elles passent partout.


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