La marinière est le symbole d’une décontraction n’excluant pas l’élégance. De ses fragrances iodées émanent une légèreté estivale dont se sont emparés les plus grands créateurs qui exhibèrent ses rayures le long de prestigieux podiums. Mais cette réussite ne fut en rien acquise d’avance, cette pièce incontournable eut à franchir de nombreux obstacles en rapport avec ses origines sulfureuses avant de trôner dans les vestiaires du monde entier. Récit d’une success story bariolée.
La marinière reste irrémédiablement liée aux rayures qui strient son corps ; Ce sont ces rayures, initialement frappées du sceau de l’infamie, qui lui apportèrent succès et reconnaissance. Car entre le Moyen Âge et le début du 20 ème siècle les rayures marquèrent les marginaux de tous poils d’un emblème diabolique : prostituées, saltimbanques, bourreaux, hérétiques, puis bagnards, ou domestiques, mieux valait ne pas croiser ses détenteurs. Pas étonnant que les simples matelots durent en porter pour mieux afficher leur basse condition, et selon un usage strict et parfaitement réglementé qui plus est!
Jean-Antoine Watteau, Mezettin (1717-1719)
Mais alors que le 19ème siècle se finissait, un phénomène nouveau émergea sous l'impulsion de la bourgeoisie : celui des vacances en bord de mer. Les médecins de l’époque recommandaient alors ces escapades aux bienfaits incomparables (le fameux air marin) dont beaucoup d’écrivains narrèrent le déroulement. La mer acquit soudain ses lettres de noblesse, offrant aux rayures l’occasion de s’associer à ses bénéfices en terme d'image. A partir de ce moment les maillots, les serviettes, et les cabanes de plage se zébrèrent sans complexes. Les rayures sortaient de leur territoire infernal pour la première fois en accompagnant le grand monde.
Claude Monet, Sur la Plage à Trouville (1871)
Une jeune styliste consciente de cet engouement osa détourner ce symbole cantonné aux plages normandes pour le transposer dans les milieux aristocratiques et fortunés. Son nom ? Coco Chanel. Ambitionnant de proposer une alternative au costume de bain, cette dernière s’inspira des marins de Deauville, ville où elle tint une luxueuse boutique. Suivant le cours de la seine, la marinière remonta jusqu’à Paris où la belle époque lui réserva une place avant-gardiste. Grâce à elle, et suivant la réhabilitation partielle des rayures, la marinière s'extrait de son milieu pour rejoindre des armoires plus respectables.
Symbole de l’émancipation féminine et d'une certaine marginalité, la marinière occupa fièrement la garde robe des icônes des 50’s qui installèrent durablement sa notoriété. Ses rayures recouvrirent soudain des bustes affichant fièrement leur anti-conformisme. James Dean, Picasso, Sagan ou encore Brigite Bardot, la rébellion s’affranchit à ce moment du sexe ; l’époque également. Jean Seberg accomplit d'ailleurs la réconciliation de Mars et Vénus en le portant avec le cheveu court dans A Bout de Souffle.
Au milieu des 80’s Jean-Paul Gaultier accentua cette ambivalence homme-femme en lançant la mode Boy Toy dont la marinière deviendra le blason. Moulée près du corps, celle-ci se dévirilise et annonce l’émergence d’un masculin de plus en plus féminin. Qu’importe l’époque, l’habit accompagne les avant-gardes en leur conférant ce statut si particulier et privilégié. Quant au marin, il semble bien loin du matelot du 19ème siècle!
Les 90’s consacreront les rayures en l’associant à la contre-culture : Kurt Cobain et Freddy Krueger se les accapareront en oubliant au passage le blanc d’origine. Une façon de conserver leur virilité ?
De nos jours, la marinière reste un habit dont l’aura féminine occulte le passé imbibé de la gnôle des flibustiers. En échangeant la leur, les hommes et les femmes échangèrent un peu de leur attributs. Les premiers atténuèrent leur virilité en arborant une innocence enfantine alors que les secondes s’en emparèrent en la jouant rock’n roll. La marinière une histoire de sexe?