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Interview : “Christian Domec (éd. Les Penchants du roseau ) fête son premier anniversaire !»

Par Manus

Interview : “Christian Domec (éd. Les Penchants du roseau ) fęte son premier anniversaire !ť

«Ce jour, un roseau se penchait pour la première fois. Des mains malhabiles répétant les mêmes gestes l'assouplirent encore. Il était prêt. »

Interview : “Christian Domec (éd. Les Penchants du roseau )  fête son premier anniversaire !»

La Toile regorge d’informations sur les éditeurs en place, mais peu, vraiment trop peu, sur certains qui, travaillant à l’ombre des média, à l’ombre de ces géants sur les feux de la rampe,  s’attèlent avec courage et détermination, passion et folie, à la confection artisanale, à l’édition pour dire les choses simplement,  de mots et de textes qui entre en résonance avec leurs goûts littéraires.

Christian Domec, éditeur des Penchants du roseau, dresse aujourd’hui le bilan de sa première année éditoriale.

1. Savina : Les Penchants du roseau fêtent leur première année éditoriale.  Tout un symbole.  Comment cette aventure a-t-elle démarrée ?

Christian : Oh ! C'est une longue histoire. La publication de textes ne m'était pas étrangère il y a de ça longtemps. Mais à cette époque, nous – je donc – ne nous soucions ni de dépôt légal, ni de propriété intellectuelle, ni de droit d'auteur, ni de tous ces petits signes qui encombrent les premières et dernières pages d'un livre. Non, nous avions à lire, à écrire, à colporter et nous le faisions comme ça, à la criée, sous le manteau, dans des assemblées ou leurs couloirs, anonymes ou fantaisistes, avec des traces d'encre sur les mains. Ensuite, j'ai eu une longue période d'absence, pris par d'autres activités et, en particulier, la lecture, celle silencieuse qui toujours a accompagné mes pas.  Curieusement c'est une fenêtre nouvelle, celle s'ouvrant sur Internet, qui m'a replongé dans la publication et ses débats vers le milieu des années 90.  J'y passais beaucoup de temps en conversations, conseils, autour de textes littéraires ou de leur publication. Ce temps, je l'avais donc, et cette aventure maturait.  Il fallut un déclencheur, ce fut La Route de Cormac McCarthy : texte d'une force extraordinaire derrière une écriture très épurée ; l'étincelle ne fut pas le texte, mais la façon négligée de sa traduction en poche, celui que je m'étais acheté.  Des dizaines de phrases tronquées par un vieux mastic qui – vu le procédé de fabrication de ces poches – ornait des milliers d'exemplaires de ce livre.  Regardez l'éditeur L'Olivier, du groupe La Martinière mis en poche sous marque Le Points : de si grandes pointures qu'il était vain de m'adresser à elles pour réajuster l'ensemble, celui de mon unique exemplaire.  Il n'était qu'un élément d'un stock qu'un flux avait échoué entre mes mains. Oui, ce jour là, au printemps 2009, je me suis décidé à faire tout le contraire. Ce jour, un roseau se penchait pour la première fois. Des mains malhabiles répétant les mêmes gestes l'assouplirent encore. Il était prêt.

2. Savina : Ces livres ne ressemblent pas aux autres :  leur confection relèverait-elle de l’artisanat ?

Christian : J'aime bien le mot artisan : l'artiste qui prend tout son temps. Si vous regardez bien un livre, du texte à votre main de lecteur, vous voyez qu'il concentre un labeur extraordinaire.  Un labeur lent.  Et s'il est bien fait, celui d'un artisan. L'écriture d'un auteur peut être traversée de fulgurances, mais hormis quelques poèmes, il ne peut œuvrer sur l'heure. Ce sont des semaines, des mois, des années de coupes et de découpes. Lorsque le texte rencontre son premier lecteur, l'autre, celui qui pourrait – soyons fou – l'éditer, une longue conversation s'engage. Au heurt de la lecture l'auteur devra répondre : heurter un peu plus ou fondre.  Le façonnage du livre peut mieux s'industrialiser, le procédé est assez simple, il a cinq siècles d'apprentissages accumulés.  Pourtant, demandez au premier correcteur ou maquettiste venu, les technologies les plus fines ne peuvent négliger l'œil. Oui, le livre relève de l'artisanat, même s'il est aujourd'hui manufacturé – l'écriture elle-même peut être produite par des logiciels, elle ferait pâlir d'envie des auteurs en herbes sauf leur fêlure.  Non, ce qui m'a décidé à façonner un livre de bout en bout, c'est ma défiance de cette chaîne, devenue « incontournable », celle qui divise le travail en compartiments étanches, hyper-spécialisés, et ne parlent plus – sauf pour la communication marketing qui crée des rentrées littéraires comme Boucicaut créa la semaine du blanc – que de produits, de stocks et de prix... réservant la part belle au pilon.  Alors oui, en artisan, je choisis le texte et son auteur, le papier, la police de caractères, la colle et le lieu où le livre pourra cheminer.

3. Savina : Sur votre blog Les penchants du roseau, vous mettez en lumière l’édition numérique.  Quel regard portez-vous sur cette forme d’édition, et pourquoi, dans la foulée de la création de votre maison d’édition, en tenez-vous compte ?

Christian : Ah ! le numérique, c'est le grand débat actuel.  Il coïncide avec l'arrivée de tablettes électroniques qui font comme si elles étaient des livres, alors qu'elles sont des bibliothèques éphémères de fichiers numériques.  Dans les années qui viennent, la rotation de ces machines, de leurs nouveaux modèles toujours plus puissants et adaptés vont créer un amoncellement de déchets considérable. Ceci dit, je ne rentre pas trop dans ce débat : livre papier versus fichier numérique. J'ai juste remarqué deux choses :

- la lecture ouverte, publique et presque gratuite (les bibliothèques municipales par exemple) favorise l'acquisition de livres ; il en va de même pour la lecture sur écran ou tablette, parce que cet objet, le livre, n'est pas simplement fétiche, il incorpore le texte comme nul autre objet, il lui donne chair et cette chair, nous aimons l'effleurer, l'écorner, même parfois la posséder et souvent la partager. L'offrir.

- Comparé au travail d'édition d'un texte, de composition et de publication, le temps passé pour transformer ce texte en fichier numérique est celui d'une virgule, les moyens, ceux d'un point, l'énergie d'une esperluette. Le fichier numérique, en temps que tel, a une valeur proche de zéro (contrairement à ce que peut dire le SNE – syndicat national de l'édition - dont le nez vient à l'instant de traverser ma fenêtre entrouverte).

Fort de ces deux observations, j'ai décidé de mettre en ligne tout ce que je publie. Il y aurait quelque chose à cacher ?

4. Savina : Votre passé (ou présent) professionnel vous est-il utile dans cette folle entreprise que vous menez aujourd’hui ?

Christian : Non, pas directement. Mais, vous avez dû l'observer, tous les lieux où l'on se frotte à d'autres, même les plus éloignés d'un objet nous le font voir d'une autre manière.  Sans doute, il y a un peu de folie dans ce que j'entreprends.

5. Savina : Quels sont les auteurs que Les Penchants du roseau ont l’honneur d’accueillir ?

Christian : Ah ! J'aime bien l' « honneur d'accueillir » parce qu'il y a de ça, en effet. Les auteurs ? Je cherche le côtoiement d'anciens et de modernes ou plus directement de morts et de vivants.  Les auteurs des trois premiers livres publiés sont Nicolas Dugord, libraire du XVIe siècle, Marc de Montifaud, femme sulfureuse, XIX e siècle, Paul de Musset, le frère d'Alfred, Jean Domec, amoureux des chèvres, Hervé Bréchet, amoureux des Conards et Jean-François Joubert à la sensibilité à fleur de mots.  J'aime retrouver la modernité et l'audace des anciens, la sensibilité profonde des nouveaux.

6. Savina : En tant qu’éditeur débutant dans le métier, à quelles principales difficultés êtes-vous confronté ?

Christian : Toutes, mais la première est lorsque je me présente : « apprenti libraire ». Pourquoi ?   Parce que lors de mes contacts, dès que j'annonce mon titre – on n'a que celui que l'on veut bien s'octroyer -, il y a confusion, méprise, sourire gêné ...  Pourtant, les mots ont bien un sens : un libraire est bien celui qui fabrique des livres et les publie. Ce n'est pas parce qu'il lui arrive de les vendre que ce dernier acte doit effacer tout le reste à tel point qu'il se sente obligé de ne faire plus que ça et d'exiger le code barre pour rendre sa tâche moins épuisante. Et apprenti... ah ça ! Je tiens à le rester toute ma vie.

7. Savina : Les auteurs qui souhaiteraient être publiés chez vous, doivent-ils remplir des conditions ?

Christian : Oui, que le texte qu'ils me présentent me plaise presque instantanément quitte à en reparler très longuement ensuite.  Qu'ils ne soient pas en quête d'une grande ni d'une moyenne diffusion, il y a d'autres portes pour ça.  Qu'ils ne craignent pas que leur texte soit rendu public... après publication... sur d'autres supports que le livre.  Mais tout ça je l'explique très clairement dans le contrat que je leur propose.  Il a de plus une particularité rare, très rare : l'auteur m'autorise à publier mais garde tous les droits sur son texte, il peut s'il le souhaite le proposer ailleurs ou le diffuser directement.

8. Savina : Comment pourriez-vous nous présenter votre ligne éditoriale, le style, l’atmosphère qui se dégage de vos livres ?

Christian : Je n'ai pas à proprement parler de ligne éditoriale, je procède plutôt par correspondance (« A, noir corset velu des mouches éclatantes ») et par « souvenance » (« Je me souviens des coups de règle en fer sur les doigts. »). Mais je penche vers la littérature qui se défie des genres.  Il n'y a pas d'unité de style ni d'atmosphère sauf dans leur fabrication : je cherche une ligne épurée, une sobriété, une discrétion, je n'y suis pas encore tout à fait arrivé, mais je m'en rapproche : l'éclat doit surgir du texte.

9. Savina :  Les penchants du roseau ont un an.  Par la force des choses, vous prenez le pouls de votre bébé.  Comment se porte-t-il ?

Christian : Je souris, je ris presque. Il va à ma mesure donc bien, pourtant, lorsque je vois le camembert – celui du prix du livre – bien ferme, un beau cercle sans aspérités dont la somme des portions fait 100, je me dis que celui sur lequel lorgne ce bébé est bien coulant, ça dégouline de partout et qu'à découper des portions nous pourrions en faire quatre au moins. Mais le camembert coulant quel délice ! si on le goûte avant que les asticots s'en mêlent. J'en suis exactement là.

10. Savina : Bientôt, un auteur verra le jour aux Penchants du roseau.  Pouvez-vous nous lever un pan de voile sur cette publication (et sur l’auteur) ?

Christian : Cet auteur, c'est  Cécile Fargue.  Elle n'a pas besoin des penchants du roseau pour écrire et publier.  Pourtant, oui, c'est une rencontre importante, en tout cas pour moi, pour les penchants. Importante parce que ce texte qui fera livre, celui qui s'appellera Le Souvenir de personne est certainement un des textes les plus forts, les plus troublants que j'ai pu lire ces dernières années.  Je pense – sans aucune forfanterie, je ne suis qu'un passeur dans l'histoire – que c'est un des livres de l'année.  Dommage, peut-être, qu'il ne bénéficie que de la petite brise qui font se pencher mon roseau.  Mais l'aventure est belle et me donne de sacrées responsabilités.

En dire deux mots ? Non pas tout de suite, mais peut-être citer cet extrait du brouillon de la quatrième de couverture : « Troublante, émouvante, poétique et grinçante à la fois, la langue de ce Souvenir fait vivre toutes les nuances du gris.  Cette palette sensible où le noir n’existe que parce que le blanc n’est jamais totalement absent. »

11. Savina : Vous n’ignorez point la difficulté pour les auteurs de trouver un éditeur, dont certains baissent les bras et abandonnent l’écriture.  Que leur diriez-vous ?

Christian : L'écriture ne doit pas être soumise à la recherche d'un éditeur. L'irrépressible besoin de publier, lui, peut trouver d'autre voies.  Mais cette rencontre se fera si l'auteur, tel un artisan, découvre et redécouvre son texte.  Il trouvera alors l'élan pour frapper à quelques portes, elles ne sont pas toutes fermées, loin de là.  Il suffit juste d'oublier celles aux couleurs criardes, aux accès encombrés.  Mais bon, tout auteur, je crois, le sait.

12. Savina : Un dernier mot pour les lecteurs de ce blog ?

Christian : Oh ! Je le trouve bien courageux de lire cette réponse, sauf s'il a sauté les précédentes. Ce blog est sympathique et y perce une pointe d'audace.  Il est parsemé de réflexions intéressantes.  Mais, comme pour l'auteur, ci-dessus, le lecteur/commentateur de ce blog le sait déjà.

Savina : cher Christian, merci pour ces échanges enrichissants, et …  longue vie aux Penchants du roseau !

Savina de Jamblinne.


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Par Isidore Ploeckx
posté le 28 octobre à 16:48

Cher Arthur, je vous squatte ! Mais ne dit-on "jamais deux sans trois"

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