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Anthologie permanente : Fernando Pessoa (spécial Editions Unes)

Par Florence Trocmé

L’anthologie de cette semaine reprend quelques textes publiés par Jean-Pierre Sintive au fil du parcours des Editions Unes. Quelques jalons seulement de l’histoire d’une maison qui, de 1981 à 2002, sut unir auteurs traducteurs et plasticiens dans l’amour du beau livre. Un échantillon infime qui ne peut prétendre à rendre compte des fidélités ni de la richesse du catalogue qui compte 250 ouvrages. Pour Poezibao, Anne Bernou a repris cinq extraits du catalogue Extraits du corps et les a complétés à partir de l’ouvrage concerné des Editions Unes. 
Fernando Pessoa, Bureau de tabac, Editions Unes, nouvelle édition 1993, photographie en couverture de Jean-Pierre Sintive
  
 
Je ne suis rien. 
Je ne serai jamais rien. 
Je ne peux vouloir être rien. 
A part çà, je porte en moi tous les rêves du monde. 
(…) 
 
Fernando Pessoa, in Extraits du corps, préface de Bernard Noël, catalogue publié à l’occasion d’une exposition, Editions Unes, 2000, pp. 120-121 (…un extrait de chaque auteur publié. Un choix ne dépassant jamais dix lignes, comme pour former un livre unique… Jean-Pierre Sintive) 
[...] le but poursuivi par un éditeur véritable ne serait-il pas d’enfouir parmi ses livres un Livre invisible dont sa marque à jamais sera le masque…. Bernard Noël 
Je ne suis rien. 
Je ne serai jamais rien. 
Je ne peux vouloir être rien. 
A part çà, je porte en moi tous les rêves du monde. 
Fenêtres de ma chambre, 
Ma chambre où vit l’un des millions d’êtres au monde 
  dont personne ne sait qui il est 
(Et si on le savait, que saurait-on ?), 
Vous donnez sur le mystère d’une rue au va-et-vient 
  continuel, 
Une rue inaccessible à toutes pensées, 
Réelle au-delà du possible, certaine au-delà du secret, 
Avec le mystère des choses par-dessous les pierres 
  et les êtres, 
Avec la mort qui moisit les murs et blanchit les 
  cheveux des hommes, 
Avec le Destin qui mène la carriole de tout par la 
  route de rien. 
Aujourd’hui je suis vaincu comme si je savais  
  la vérité. 
Aujourd’hui je suis lucide comme si j’allais mourir 
Et n’avais d’autre intimité avec les choses 
Que celle d’un adieu, cette maison et ce côté de la 
  rue devenant 
Un convoi de chemin de fer, un coup de sifflet 
A l’intérieur de ma tête, 
Une secousse de mes nerfs, un grincement de mes 
  os à l’instant du départ. 
Aujourd’hui je suis perplexe, comme celui qui a  
  pensé, trouvé, puis oublié. 
Aujourd’hui je suis divisé entre la loyauté que je dois 
Au Tabac d’en face, chose réelle au-dehors, 
Et la sensation que tout est rêve, chose réelle  
  au-dedans.  
pp. 15-16   (….)  
F. Pessoa, Bureau de tabac, gravure I Fernando de Azevedo, Editions Unes, 1993
  
Não sou nada.
Nunca serei nada.
Não posso querer ser nada.
À parte isso, tenho em mim todos os sonhos do mundo. 
Janelas do meu quarto,
Do meu quarto de um dos milhões do mundo que  
  ninguém sabe quem é
(E se soubessem quem é, o que saberiam?),
Dais para o mistério de uma rua cruzada constante- 
  mente por gente,
Para uma rua inacessível a todos os pensamentos,
Real, impossivelmente real, certa, desconhecida- 
  mente certa,
Com o mistério das coisas por baixo das pedras e 
  dos seres,
Com a morte a por umidade nas paredes e cabelos 
  brancos nos homens,
Com o Destino a conduzir a carroça de tudo pela 
  estrada de nada. 
Estou hoje vencido, como se soubesse a verdade.
Estou hoje lúcido, como se estivesse para morrer,
E não tivesse mais irmandade com as coisas
Senão uma despedida, tornando-se esta casa e este 
  lado da rua
A fileira de carruagens de um comboio, e uma par- 
  tida apitada
De dentro da minha cabeça,
E uma sacudidela dos meus nervos e um ranger de 
  ossos na ida. 
Estou hoje perplexo, como quem pensou e achou e 
  esqueceu.
Estou hoje dividido entre a lealdade que devo
À Tabacaria do outro lado da rua, como coisa real 
  por fora,
E à sensação de que tudo é sonho, como coisa real 
por dentro. 
pp. 37-38   (…) 
J’ai vécu, j’ai étudié, j’ai aimé, j’ai même cru, 
Et il n’est pas de mendiant aujourd’hui que je n’envie 
Pour la seule raison qu’il n’est pas moi. 
Je regarde chez tous les haillons, les plaies, et le 
  mensonge, 
Et je pense : peut-être n’as-tu jamais vécu, ni étu- 
  dié, ni aimé, ni cru 
(On peut rendre tout çà réel, sans rien faire de tout 
  çà); 
Peut-être n’as-tu qu’à peine existé, comme un lézard  
  dont on a coupé la queue, 
Et la queue du lézard continue d’agiter. 
J’ai fait de moi ce que je ne savais pas, 
Et ce que je pouvais faire de moi, je ne l’ai pas fait. 
Le domino que j’ai mis n’était pas le bon. 
On m’a tout de suite pris pour qui je n’étais pas, 
  je n’ai pas démenti, je me suis perdu. 
Quand j’ai voulu arracher le masque, 
Il me collait au visage. 
Quand je l’ai retiré, je me suis regardé dans la glace,  
J’avais déjà vieilli. 
J’étais saoul à ne plus savoir enfiler le domino que 
  je n’avais pas enlevé. 
J’ai jeté le masque et couché au vestiaire 
Comme un chien toléré par la direction 
Parce qu’il est inoffensif 
Et je vais écrire cette histoire pour prouver que je 
  suis sublime. 
Essence musicale de mes vers inutiles, 
Si je pouvais te reconnaître comme une chose que  
  j’aurai créée, 
Et qui ne me laisserait pas toujours face au Tabac 
  d’en face,  
Foulant aux pieds la conscience de me sentir exister, 
Comme un tapis où trébuche un ivrogne 
Ou un paillasson sans valeur volé par des gitans. 
pp. 25-26   (…) 
F.Pessoa, Bureau de tabac, gravure III de Fernando de Azevedo, Editions Unes, 1993
  
Vivi, estudei, amei e até cri,
E hoje não há mendigo que eu não inveje só por não 
  ser eu.
Olho a cada um os andrajos e as chagas e a mentira,
E penso: talvez nunca vivesses nem estudasses nem amasses nem 
  cresses
(Porque é possível fazer a realidade de tudo isso sem 
  fazer nada disso);
Talvez tenhas existido apenas, como um lagarto a 
  quem cortam o rabo
E que é rabo para aquém do lagarto remexidamente. 
Fiz de mim o que não soube,
E o que podia fazer de mim não o fiz.
O dominó que vesti era errado.
Conheceram-me logo por quem não era e não des- 
  menti, e perdi-me.
Quando quis tirar a máscara,
Estava pegada à cara.
Quando a tirei e me vi ao espelho,
Já tinha envelhecido.
Estava bêbado, já não sabia vestir o dominó que não 
  tinha tirado.
Deitei fora a máscara e dormi no vestiário
Como um cão tolerado pela gerência
Por ser inofensivo
E vou escrever esta história para provar que sou 
  sublime. 
Essência musical dos meus versos inúteis,
Quem me dera encontrar-me como coisa que eu 
  fizesse,
E não ficasse sempre defronte da Tabacaria de 
  defronte,
Calcando aos pés a consciência de estar existindo,
Como um tapete em que um bêbado tropeça
Ou um capacho que os ciganos roubaram e não valia 
  nada. 
pp. 43-44 (…) 
Fernando Pessoa, Bureau de tabac, traduit du portugais par Rémy Hourcade, nouvelle édition, nouvelle présentation, préface de A. Casais Monteiro, postfacede Pierre Hourcade, édition bilingue, dessins de Fernando de Azevedo, photographie de Jean-Pierre Sintive, Editions Unes, 1993 
Autres ouvrages de Fernando Pessoa publiés par les Editions Unes : 
Bureau de tabac, traduit du portugais par Rémy Hourcade, 1985 
Sur les hétéronymes, traduit du portugais et préfacé par Rémy Hourcade, 1985 
Le gardeur de troupeaux, traduit du portugais par R. Hourcade et Jean-Louis Giovannoni, 1986 
Cent cinquante-quatre quatrains, traduit du portugais et préfacé par Henry Deluy, 1986 
Bureau de tabac, nouvelle édition revue, 1986 
Sur les hétéronymes, nouvelle édition revue, 1986 
Opium à bord, traduit du portugais et préfacé par Armand Guibert, 1987 
Livre de l’inquiétude, traduit du portugais et préfacé par Inês Oseki-Dépré, 1987 
Bureau de tabac, nouvelle traduction, nouvelle présentation, frontispice de Fernando de Azevedo, 1988 
Quatrains complets, traduit du portugais et préfacé par Henry Deluy, 1988 
Ultimatum, traduit du portugais par Michel Chandeigne et Jean-François Viegas, préface de Pierre Fourcade, 1993 
Bureau de tabac, traduit du portugais par Rémy Hourcade, préface de Robert Bréchon, illustré par le DMA-Arts graphiques de l’Ecole Estienne, coédition avec Christian Bourgois, 2000 
  
La Galerie-éditions Remarque, située à Trans-en-Provence dans le Var, a été durement touchée par les désastreuses inondations du 15 juin, qui ont causé plus de trente victimes. Jean-Pierre Sintive et Stéphanie Ferrat nous ont fait savoir que  la galerie serait dans l’obligation de cesser son activité. Toute correspondance ou demande de catalogue pour les éditions Remarque et Unes doit être désormais adressée à:
 
Jean-Pierre Sintive 
B.P. 205 
83006 Draguignan Cedex 
par Anne Bernou
  
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