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“Twelve” de Joel Schumacher

Publié le 14 septembre 2010 par Boustoune

Nous avons souvent dit et répété dans ces colonnes que nous suivions une ligne assez proche de la “politique des auteurs”, c’est-à-dire que nous aimions défendre les cinéastes qui, de film en film, construisent une oeuvre cohérente, avec des thèmes et des obsessions récurrents.
Mais alors, nous direz-vous, que penser de Twelve, le nouveau film de Joel Schumacher ? Le film rappelle, par son évocation de la jeunesse américaine, St Elmo’s fire ou, dans un registre différent, Génération perdue ; un type pète les plombs comme Michael Douglas dans Chute libre et il y est question de maladie et de mort, comme dans  Le Choix d’aimer
Cela voudrait donc dire que Joel Schumacher est un “auteur”(1)?

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Eh bien oui ! Mais un mauvais auteur, alors…
Parce qu’il faut bien reconnaître que la vraie constante de son oeuvre est une certaine médiocrité, fort dommageable. Si ses premiers films (2) avaient fait illusion auprès des cinéphiles, la suite de sa carrière, dans le giron des grands studios, a été nettement moins probante. Batman kitschouilles, adaptations platounettes des romans de John Grisham ou polars faussement subversifs façon 8mm… Bof…
Avec Personne n’est parfait(e) ou Tigerland, on avait bien cru à un renouveau, mais en vain. La suite est encore pire, avec des nanars comme Le fantôme de l’opéra, Le Nombre 23 ou Blood creek (inédit en France et aux échos peu flatteurs…).

Bon, soyons francs, Twelve est un cran au-dessus des dernières réalisations de Schumacher. En choisissant d’adapter le roman à succès de Nick McDonell (3), le cinéaste peut s’appuyer sur un récit choral bien mené et ambitieux, à défaut d’être totalement convaincant.
On suit les destins croisés d’une bonne douzaine de personnages, exclusivement des jeunes gens habitant les quartiers chics/branchés de Manhattan et leurs dealers de drogues. Le personnage principal “White” Mike est un jeune homme brillant qui a plaqué les études pour se reconvertir en dealer de marijuana, après le décès de sa mère et la faillite du restaurant familial.

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Il approvisionne en herbe tout le voisinage, notamment de riches étudiants avides de sensations fortes ou en quête de paradis artificiels pour oublier leurs soucis.  Comme la pulpeuse Sara, la bombe du lycée, qui cherche à entretenir sa “cool attitude” ou Jessica, une fille plutôt futée mais qui, au cours d’une soirée trop arrosée,  va malgré tout se laisser prendre dans l’engrenage infernal de la dépendance aux drogues dures…
Car si Mike ne vend que des substances douces, une nouvelle mixture circule dans le quartier, un mélange de cocaïne et ecstasy, qui entraîne immédiatement une forte dépendance. Outre la belle Jessica, Charlie, le cousin de Mike, est également accroc à cette substance, et prêt à tout pour assouvir ce manque…

Autour d’eux gravitent d’autres jeunes gens mal dans leur peau : Hunter, un gosse de riche qui cherche à s’encanailler pour attirer l’attention de son père,  Chris, un ado mal aimé qui organise des fêtes gigantesques pour attirer l’attention des filles, Claude, son frère, une brute shootée à la testostérone et à la coke, plein de ressentiment contre le monde entier, Andrew, Timmy, Mark, etc…
On devine que tout cela va mal finir, sans trop savoir comment, car le récit est suffisamment bien fichu pour maintenir une relative tension dramatique. Et de toute façon, le dénouement importe peu, le cinéaste comme le romancier abandonnant les protagonistes à leur triste sort, sans chercher à boucler de façon nette les différentes intrigues ébauchées. Ce qui compte, ici, c’est l’ambiance générale de l’oeuvre, cette description sans concession d’une jeunesse américaine tourmentée, y compris –et peut-être même davantage- dans les quartiers les plus favorisés.
On pense un peu aux romans écrits par Bret Easton Ellis, “Les lois de l’attraction” ou “Moins que zéro” de par cette plongée dans un milieu social doré, abritant un coeur plus noir qu’on ne le pense…

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En s’appuyant sur ce roman, Twelve avait donc le potentiel pour donner un film intéressant. Mais encore aurait-il fallu l’adapter intelligemment…
Schumacher et son scénariste/producteur Jordan Melamed sont parfois trop fidèles au bouquin alors qu’il aurait fallu faire quelques ajustements pour le rendre cinématographiquement acceptable. La narration en voix-off, par exemple, à la troisième personne, alourdit considérablement la fluidité du récit en surlignant chaque personnage, chaque situation…
Dans le même temps, ils ont sensiblement modifié la fin, de manière assez absurde et ridicule. La noirceur et la cruauté du roman laissent place à un mélo des plus larmoyants – sortez les violons – et à un côté moralisateur cucul la praline – la drogue, c’est pas bien, dealer c’est mal. Il faut honorer son père et sa mère…
Et comme Schumacher ne fait jamais vraiment dans la finesse, la réalisation souffre d’effets de style assez patauds qui tentent de dynamiser artificiellement un récit qui n’en avait pas besoin. On est loin d’Elephant de Gus Van Sant, et même de l’adaptation de Les Lois de l’attraction par Roger Avary…

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Ce qui sauve un peu le film, c’est le choix d’un casting d’acteurs peu connus qui ont le bon goût de ne pas ajouter un jeu outrancier à cet ensemble trop lourd, trop appuyé.
Surtout connu pour ses performances télévisuelles, Chace Crawford est plutôt convaincant dans le rôle principal, tout comme ses prometteuses partenaires féminines – Emily Meade, Esti Ginzburg et une certaine Emma Roberts, fille d’Eric et nièce de Julia…
Puisqu’on est dans les affaires de famille, signalons aussi la présence au générique de Rory Clulkin, frère de Macauley et de Kieran.  Et ajoutons que Curtis Jackson, alias “50 cents”,  incarne le méchant dealer du film (4).

Grâce à eux, grâce à la structure du matériau original,  Twelve se révèle nettement moins mauvais qu’une grande partie des “oeuvres” de Joel Schumacher, mais il n’est pas bon pour autant, gâché par un traitement narratif trop lourd, un style visuel trop cliché et une absence de perspective artistique sur le sujet traité. Dommage, car il y avait probablement mieux à faire, entre les mains d’un cinéaste plus subtil…

(1) : Au sens cinématographique du terme s’entend, puisqu’il n’écrit pas lui-même ses scénarios…
(2) : St Elmo’s fire ou, dans un registre différent, Génération perdue
(3) : “Douze” de Nick McDonell – éd. Denoël
(4) : Lui, il a tout compris, puisqu’après Twelve (“douze”, en VF), on le verra dan 13, qui n’est pas une suite, mais le remake de 13 tzameti

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Twelve
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Twelve

Réalisateur : Joel Schumacher
Avec : Chace Crawford, Emma Roberts, Rory Culkin, Curtis Jackson, Emily Meade, Kieffer Sutherland (voix)
Origine : Etats-Unis
Genre : le plus bel âge de la vie
Durée : 1h35
Date de sortie France : 08/09/2010
Note pour ce film :
contrepoint critique chez :  Rob Gordon
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