C’est alors que tout a basculé, suite à l’une des nombreuses mésaventures qui guettent « le pouceux » sur le territoire américain (où les auto-stoppeurs ne sont pas forcément les bienvenus…). La police de La Nouvelle-Orléans m’a violemment arrêté et m’a, sans ménagement, jeté dans la cellule d’une prison… Plus de baskets, plus « d’étoiles au ciel » ni de « doux frou frou »… mais un uniforme de vrai bagnard, un bracelet avec un numéro de prisonnier, un ciel de prison, des barreaux donnant là-bas, tout au loin sur la route, et des compagnons de cellule qui n’étaient pas des poètes !
Et bien c’est dans ces conditions bien particulières, que j’ai pour la première fois éprouvé toute la richesse de « Ma bohème », dont je me suis mis instinctivement à faire sonner les mots et les rythmes. Humilié, dénudé, privé d’identité, je n’avais en moi, outre ma patience, que cette dernière ressource, cet hymne à la Liberté de l’Esprit. « Ma Bohème » vibrait en moi, et je me revoyais dans les heures qui venaient à peine de s’écouler, « assis au bord des routes » en « ces bons soirs d’été », où tirant sur « les élastiques de mes souliers blessés / Comme des lyres (…) », je rêvais sur le soleil couchant et les promesses de Californie sur la route à l’horizon.