Magazine Cinéma
Bouffes Parisiens
4, rue Monsigny
75002 Paris
Tel : 01 42 96 92 42
Métro : Quatre Septembre / Pyramides
D’après le roman d’Avery Corman
Adaptation et mise en scène de Didier Caron
Décors de Catherine Bluwal
Lumières de Jacques Rouveyrollis
Avec Gwendoline Hamon (Joanna Kramer), Frédéric Diefenthal (Ted Kramer), Roland Marchisio, André Penvern, Maud Le Guenedal et, en alternance dans le rôle de Billy, Romann Berrux, Antoine de Brekel, Raphaël Caduc, Nicolas Rompteaux
Ma note : 8/10
L’histoire : Le jour où son fils fête ses 6 ans, Joanna Kramer décide de quitter son mari Ted, lui laissant sur les bras Billy. Ted est alors contraint de concilier ses activités professionnelles avec l’éducation de son enfant. Il va patauger dans cette nouvelle vie dont il ignore presque tout, entre travail, ménage, cuisine, école, sorties au parc et petits bobos. Complètement débordé dans les premiers temps, il va s’habituer tant bien que mal à son double rôle de publicitaire et d’homme au foyer. De son côté, Billy se fait peu à peu à l’absence de sa mère et s’attache de plus en plus à Ted…
Jusqu’au jour où tout s’écroule : Joanna réapparaît pour reprendre la garde de Billy…
Mon avis : Très honnêtement, je me demandais comment allait être traitée la version théâtrale de ce livre adapté au cinéma avec succès par Robert Benton avec Meryl Streep et Dustin Hoffman. J’étais même un peu circonspect en me rendant aux Bouffes Parisiens. Et bien, au bout d’un quart d’heure, tous mes doutes s’étaient envoilés et je me suis fait happer par le déroulement de cette histoire pourtant ultra connue. Les raisons de mon attention ont été multiples.
D’abord le jeu des comédiens. Tout en faisant souvent vibrer la corde de l’émotion, pas une seconde ils basculent dans le pathos. Ils sont en permanence sur le fil et, plusieurs fois, on a la gorge nouée. Dans la deuxième partie, j’ai surpris quelques dames se tamponner discrètement le coin de l’œil.
Ensuite, la mise en scène. Dans un décor minimaliste curieusement construit autour des lettres formant le mot « Kramer » façon énorme jeu de cubes, les modules glissent et pivotent pour former le cadre des différentes actions. On pige très vite le truc et on le trouve remarquablement moderne et ingénieux. Cette souplesse apporte un rythme soutenu à l’action car l’histoire est découpée en une succession de saynètes plus ou moins longues. Un emploi habile du flashback au début nous permet en quelques minutes de cerner les psychologies des deux principaux protagonistes, Joanna et Ted. On voit ainsi défiler les sept premières années de la vie du couple Kramer, le la rencontre à la séparation, en passant par l’accouchement et les anniversaires de Billy. C’est rapide, efficace, très bien fait. Même les scènes banales de la vie quotidienne sont traitées avec une infinie justesse.
Enfin, si on est aussi captivé, c’est que l’on est totalement partie prenante de ce drame. Qu’on soit homme, femme ou enfant, on est concerné par cette histoire. Si on ne l’a pas vécu soi-même - ce qui est aujourd’hui rarissime – des proches y ont été confrontés. On est donc en terrain connu. Il est très facile de se transférer dans les doutes de Joanna, dans la gestion brutale d’homme au foyer de Ted et dans l’adaptation à une nouvelle vie de Billy.
Autour de la famille Kramer gravite une poignée de personnages, témoins et acteurs de leur vie. La bonne samaritaine de voisine amie du couple, le supérieur de Ted, des serveurs et garçons de café, une secrétaire, des avocats, et même un Père Noël... Tous ces rôles sont tenus avec brio par les trois autres comédiens.
Bien sûr, cette pièce repose entièrement sur le trio Joanna-Ted-Billy. Ces trois là sont absolument épatants. Le gamin que j’ai vu (ils sont quatre à se partager le rôle) est confondant d’aisance et de naturel dans des scènes pourtant à fort potentiel émotionnel. En fait, Kramer contre Kramer traite de l'inversion des rôles. Dans la majeure partie des cas, c’est plutôt l’homme qui part et la femme qui reste au foyer pour s’occuper de la progéniture. Ici, c’est le contraire. C’est pourquoi l’exposition du début est indispensable pour nous aider à percer les caractères. De toute évidence, Ted est plus romantique que Joanna. Confinée à la maison, elle souffre d’un terrible manque d’assurance et de maturité. Elle a peur de ne pas être une bonne mère et, au fur et à mesure où son enfant grandit, elle craint de devenir une « maman méchante » par manque de patience et, surtout, parce que sa vie de femme n’est pas accomplie. Alors, elle décide de partir pour essayer de se construire autrement : « J’ai besoin d’exister. Je déteste la vie que je mène. Je ne t’aime plus ». En trois phrases, la messe est dite, le contrat rompu… C’est joué avec un tel déchirement qu’on ne peut que la prendre en sympathie. On ne peut pas la condamner car elle est honnête. Gwendoline Hamon apporte énormément de sensibilité à son personnage. Ses états d’âme sont extrêmement lisibles. Nombreuses sont celles qui vont se reconnaître en elles, sinon dans la mère, tout au moins dans la femme. Elle est vibrante et si touchante dans l’aveu de son haïssable fragilité.
Ted est un homme actuel. Au départ, entièrement tourné vers son travail et son avenir professionnel, il délègue en toute confiance tout ce qui ce qui est intendance à son épouse. Puis, lorsqu’il se retrouve seul avec son fils, il prend ses responsabilités à bras-le-corps. Mais c’est la panique. Et là, c’est à notre tour, nous les hommes, de nous voir à sa place. C’est qu’on est vite débordé quand il nous faut accomplir plusieurs tâches à la fois. Ah, cette gestion du temps !... Frédéric Diefenthal qui, il faut le souligner, est présent sur scène du début à la fin, fait de Ted un homme normal. Il n’en rajoute jamais. Et pourtant, lui aussi, il passe par tous les états d’âme. Sa métamorphose en papa-poule hyper protecteur est joliment bien dessinée. Il y a deux-trois moments de tendresse père-fils qui nous donnent le frisson.
Kramer contre Kramer est une pièce chargée en émotion. Mais c’est de la belle émotion ; de positive qui fait du bien. De celles qui nous prennent dans ce qu’on a de plus simplement enfoui dans nos tripes, en particulier l’amour filial. Il y a des moments dans la salle où le silence est d’une intensité rare. C’est vraiment, vraiment fort. Chapeau aux comédiens et, il ne faut pas l’oublier, au tandem d’adaptateurs et metteurs en scène, Didier Caron et Stéphane Boutet.