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L'égyptologie tchèque : xviii. l'institut et les fouilles d' abousir - 10. iufaa et l'époque saïto-perse

Publié le 18 septembre 2010 par Rl1948

   Ainsi que nous en étions convenus vous et moi, samedi dernier, amis lecteurs, nous allons sous peu, grâce aux fouilles menées par l'Institut tchèque d'égyptologie aux confins sud-ouest du site de la nécropole d'Abousir, nous diriger vers le mastaba d'Iufaa, un haut fonctionnaire palatial de l'époque saïto-perse, au VIème siècle avant notre ère, qui fut tout à la fois directeur du palais et prêtre lecteur

     Mais avant que de conserve nous pénétrions dans son domaine funéraire, je voudrais consacrer mon intervention de ce matin à historiquement préciser ce que les égyptologues entendent par époque saïto-perse.

   Comme j'ai  eu récemment l'opportunité de le rappeler, c'est au savant Karl Richard Lepsius (1810-1884) que nous devons la division de l'histoire égyptienne en trois grandes parties auxquelles il a donné les noms, traduits de l'allemand, de : Ancien Empire, Moyen Empire et Nouvel Empire. Si d'aventure il vous intéresse d'avoir des  dates "précises", il suffit de vous reporter au tableau chronologique que j'ai en son temps publié ici.

   Vous aurez remarqué que j'ai opté d'assortir le terme précise de guillemets : ce n'est évidemment pas anodin !  Si au fil de vos lectures vous est venue l'idée de comparer les chronologies présentées dans  l'un ou l'autre ouvrage consacré à l'Egypte, vous aurez très vite constaté que des différences, parfois notoires, sont à épingler pour ce qui concerne la date de début et/ou de fin d'une époque, d'une dynastie, d'un règne ... 

   Alors que dans leurs cénacles, les égyptologues ne sont jamais parvenus à se mettre d'accord sur ce sujet-là, voici qu'en juin dernier, le magazine Sciences et Avenir fait état de l'établissement, par une équipe de chercheurs internationaux, d'une nouvelle chronologie - définie cette fois comme absolue -, suite à l'étude de divers éléments végétaux mis au jour dans certaines tombes et analysés grâce à la méthode du carbone-14

   La proposition de dates "affinées" ne va certes pas profondément révolutionner l'histoire, mais il faudra peut-être en tenir compte pour quelques-unes d'entre elles, par exemple celle concernant le début de l'Ancien Empire. C'est ce qu'avec plus de détails que je ne souhaite en donner vous trouverez dans cet article.  

   Séparant les trois grandes subdivisions de Lepsius, il a été convenu d'intercaler des périodes appelées "intermédiaires" ; et pour compléter l'ensemble, d'attribuer les noms de Basse Epoque, d'Epoque ptolémaïque et enfin romaine au dernier millénaire de la civilisation égyptienne proprement dite.

     Et c'est précisément dans l'acception de Basse Epoque que nous nous trouvons avec l'époque saïto-perse qui constitue aujourd'hui  l'objet de mes propos.

     Depuis la relation qu'en avait rédigée le prêtre égyptien Manéthon de Sebennytos au IIIème siècle avant notre ère, les égyptologues ont pris l'habitude, avec parfois quelques nuances, d'adopter son compartimentage quelque peu arbitraire, mais bien confortable, de l'histoire pharaonique en trente dynasties. Dans cette vision commode, la Basse Epoque quant à elle, pour les quelque quatre cents années qui la constituent, recouvre les dernières d'entre elles, soit les dynasties XXV à XXX.

   Et dans cet espace théorique, la XXVIème, que l'on s'accorde généralement à faire débuter en 664 avant notre ère, avec le règne de Psammétique Ier,

Psammétique Ier

et la XXVIIème qui commence en 525, suite à la domination  de Cambyse sur l'Egypte et l'évincement du pharaon en titre, Psammétique III,

Cambyses II capturing Psamtik III (Sceau persan du VIème s

constituent précisément ce qu'il est maintenant convenu de nommer l'époque saïto-perse.

     Mais pour quelles raisons exactement ? 

   A la XXVème dynastie, celle qui inaugure la Basse Epoque, l'Egypte connaît une période assez problématique de son histoire dans la mesure où, régie par des souverains d'origine koushite - définis il n'y a guère encore d' "éthiopiens" par certains égyptologues -, elle a perdu son indépendance.

   C'est de la ville de Saïs située sur une des branches nilotiques du Delta occidental, lieu de culte de la déesse Neith, devenue chef-lieu du cinquième nome de Basse-Egypte, puis capitale dynastique dont il ne subsiste de nos jours pratiquement aucun vestige, que partiront, avec Psammétique Ier, la résistance aux fins de s'affranchir de la mainmise étrangère, partant, la restauration de l'unité nationale en imposant progressivement la gouvernance saïte sur d'autres villes du Delta, puis sur toute la Basse-Egypte et enfin sur la Haute-Egypte.

   S'il y a parmi vous, amis lecteurs, quelques bons connaisseurs de philosophie grecque, ils se souviendront très certainement de ce toponyme dans la mesure où Platon, dans un de ses dialogues intitulé le Timée, affirme (Oeuvres complètes, Pléiade, Gallimard 1950, Tome II, pp. 440-1) que ce sont précisément les prêtres de Saïs qui, lors de son séjour en Egypte, auraient confié les fameux secrets de l'Atlantide à Solon, ce Sage athénien qui, grâce au texte d'une Constitution qu'il rédigea, est définitevement considéré comme le concepteur de la Démocratie.

   Et si d'aucuns sont familiers des textes d'Hérodote, ils croiseront, au Livre II de L'Enquête, plusieurs évocations des monuments les plus prestigieux, tant civils que religieux, érigés dans cette ville qu'il avait visitée lors de son séjour en Egypte, vers le milieu du Vème siècle avant notre ère, à la fin de la première domination perse. Témoignage topographique capital que le sien, s'il en est, dans la mesure où, comme je l'ai indiqué ci-avant, tout est maintenant disparu de la magnificence antique.

   A la fin de la première domination perse, ai-je précisé. En effet, comme souvent en histoire, à une période faste succèdent des temps troublés : Cambyse II,  de la dynastie des Achéménides, roi de Perse, dans le droit fil d'une politique d'expansion au Proche-Orient que son père, Cyrus le Grand, avait déjà initiée : conquête des royaumes mède en 550, lydien en 546 et néo-babylonien en 539, à l'aide d'une flotte de guerre qu'il venait de se faire construire de manière à  plus aisément contrer les défenses égyptiennes, après s'être confronté à elles à Péluse, dans le Delta oriental, rallie Memphis et s'empare manu militari du pharaon saïte Psammétique III, mais aussi de son fils et de quelques hauts dignitaires de la cour. La XXVIème dynastie laissait ainsi la place à celle qu'après Manéthon toujours les égyptologues ont pris coutume d'appeler perse.

   Les interventions que je vous ai proposées dans les mois précédents à propos des découvertes tchèques en Abousir vous ont assurément permis de comprendre que cette vaste nécropole fut essentiellement, à tout le moins dans la partie nord du site, celle de certains souverains des trois dernières dynasties de l'Ancien Empire dont la plupart des pyramides se résument actuellement à des monceaux de ruines ; ainsi que des hauts fonctionnaires qui, gravitant dans l'entourage royal, obtinrent l'insigne privilège d'aménager là leur propre mastaba, impressionnants pour certains d'entre eux  : c'était évidemment du temps où le pouvoir résidait à Memphis, capitale d'empire.

   Quand Thèbes devint, bien après Memphis, elle aussi capitale pharaonique, les nécropoles de Saqqarah, Abousir et de toute cette région du nord du pays furent délaissées au profit de la montagne thébaine, avec ses célèbres vallées des Rois, des Reines et des Nobles celant en leur sein nombre d'hypogées presque toujours richement décorés.

   Il fallut donc attendre cette époque saïto-perse des XXVIème et XXVIIème dynasties que je viens d'évoquer pour que, les vicissitudes de l'Histoire aidant, le site d'Abousir recouvrât une nouvelle aura, grâce à un cimetière situé au sud des pyramides royales d'Ancien Empire et caractérisé par des tombes-puits, - ce que la littérature égyptologique anglophone nomme "Shaft Tombs".

   Le temps est venu à présent, après cette importante mise au point historico-chronologique, de diriger nos pas vers le mastaba d'Iufaa, à quelques mètres au sud de celui d'Oudjahorresnet que nous avions, rappelez-vous, visité au printemps dernier.

Site-d-Abousir.jpg

   Sur le dessin de Vladimir Bruna ci-dessus que j'ai photographié à la page 25 du catalogue de l'exposition Discovering the Land on the Nile [Objevovani zeme na Nilu] qui s'est tenue au Narodni Museum de Prague en 2008 pour commémorer le cinquantième anniversaire de la création de l'Institut tchèque d'égyptologie, l'emplacement du tombeau d'Oudjahorresnet porte le numéro 9 ; et celui d'Iufaa, le 10.

   J'espère que, munis de cette petite carte du site, vous n'aurez aucune peine, amis lecteurs, à venir me retrouver samedi prochain aux abords de ce nouveau complexe funéraire que nous explorerons ensemble ...

(Perdu : 2003, 3-12)


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