Hifiklub - How To Make Friends
Après vous avoir rebattu les oreilles pendant deux semaines avec le trop fameux Midi Festival, et après avoir fait parler Frédéric Landini, directeur de celui-ci, vous n’avez peut-être pas besoin que j’en dise un peu plus sur le curriculum vitae d’un certain Régis Laugier, administrateur de la Villa Noailles, ”emblème” du festival, membre de Get Back Guinozzi !, formation pop emmenée par le même Landini, et surtout co-fondateur avec Luc Benitto du Hifiklub. Je prends quand même le risque sachant qu’on ne saurait trop se répéter : une sorte de micro-climat local baigne le Var d’une fièvre rock toute en contraste et diversité (Mina May, Appletop,Saturnians, Newfoundland, Viking Dress). Multi-casquettes donc, mais surtout ambitieux et clairvoyant, Régis Laugier expose dans ce qui suit la particularité du substrat Hifiklub, à l’heure notamment d’un tournant on ne peut plus fatidique pour tout groupe : la sortie d’un second album, How To Make Friends, via Le Son du Maquis. Si l’histoire du groupe reste encore à écrire, Hifiklub est vite devenu, en tant qu’open trio, un projet pleinement maturé. En 2006, tout juste digéré le split de leur groupe d’alors, The Hi-fi Killers, Régis Laugier et Luc Benitto s’empressent de gagner New-York, histoire de dénicher au culot un producteur comme on n’en fait qu’à Big Apple. Earl Slick, touche-à-tout et guitariste de David Bowie et feu John Lennon, est d’emblée séduit par les quelques bandes ramenées sous le bras par le duo, et se prend même à rajouter quelques touches personnelles à celles-ci tout en invitant quelques amis - et non des moindres, Paulo Furtado de Legenday Tigerman, Robert Aaron - sur ce qui deviendra French Accent paru en 2007 sur Parallel Factory, structure créée pour l’occasion. De ce coup d’essai magistral et injustement occulté en France - Le Monde fera d’ailleurs preuve d’une incurie rare en leur conseillant tout bonnement de chanter “dans la langue de Raimu” (diminutif de Jules Auguste Muraire, acteur varois respecté aussi bien en France qu’aux Etats-Unis) - naît le rapprochement d’Hifiklub, devenu trio du fait de l’arrivée de Nicolas Morcillo à la batterie, avec les pontes no wave du milieu indé new-yorkais, James Chance et Sonic Youth en tête. Une amitié à double débouché se tisse, et au fur et à mesure, les conséquences éclosent naturellement : James Chance vient éclabousser l’édition 2008 du Midi Festival de toute sa classe, Robert Aaron, saxophoniste des Contorsions, lors de cette même édition, se prend à improviser avec les jeunots de So So Modern quand se dessine la production d’un second effort d’Hifiklub sous la houlette de Lee Ranaldo, lui-même invité de marque de l’édition 2010. Et très vite, d’un seul producteur hors-norme, le projet prend les atours d’une superproduction de choix avec pas moins de quatre producteurs différents pour quatre EP, avec, dans l’ordre d’apparition, Andrew WK, Lee Ranaldo, Don Fleming et Kptmichigan, en plus d’une kyrielle d’invités dont Paulo Furtado, Robert Aaron, mais aussi Lio, Alain Johannes, Jean Marc Montera, Sherik et leurs amis de Get Back Guinozzi !, Frédéric Landini et Eglantine Gouzi. Distribué en mai dernier sous format CD contenant les trois premiers EP en plus d’un titre du quatrième, le bien nommé How To Make Friends (Complete Story) s’apprête à sortir en septembre dans sa formule idoine, à savoir un double maxi vinyle, égrainant un EP par face, et accompagné d’un maxi Docteur Lo-Fi And The Remix, dévoilant des relectures de chacun des producteurs. Essentiellement produit dans leur lieu de résidence varois, une ancienne boîte de nuit désaffectée, les treize morceaux déflorés par la version CD d’How To Make Friends conservent cependant une unité vertement ancrée dans les strutures résolument rock de ceux-ci, oscillant entre réminescences post-punk (Devil Knows, Miss Willy, What If, Blackmaster Will), efficacité pop (Wish Witch), saillies véhémentes (Bastard of the Year, Over, the Brooklyn Song) et ambiances vénéneuses à souhait (Lonesome Machine Gun, Hey Oh). Certaines divagations plus aventureuses (Data, Tick Tock et Catfish), laissant les invités s’exprimer pleinement dans toute leur diversité, jettent nonobstant les bases d’une dimension que peut à l’avenir prendre le Hifiklub : résolument exigeante, mais foutrement syncrétique. Entretien avec un passionné nous gratifiant en prime d’une mixtape sentant bon la poussière mordorée d’un grand sud étasunien.
Interview
Régis, tu es fondateur, bassiste et chanteur d’Hifiklub, bassiste de Get Back Guinozzi !, mais aussi administrateur de la Villa Noailles et cofondateur de Parallel Factory. Si j’imagine l’épaisseur de ton agenda, laquelle de ces activités te pompe le plus de temps ? Te confère le plus de stress ? Te donne le plus d’espoir ? T’arroge le plus de fierté ?
Au-delà de la Villa Noailles, qui reste mon travail au quotidien, je tente de mettre sur un même plan l’ensemble de mes activités artistiques, en mettant dans chacune d’entre elles une énergie égale. L’essentiel est de pouvoir organiser au mieux son emploi du temps afin d’anticiper sur le prochain projet.
Ce mois-ci, je suis très heureux de travailler sur la sortie en vinyle du dernier album d’Hifiklub, qui permet à mon sens de mieux comprendre le projet How To Make Friends et ses 4 EP regroupés dans un album unique. Cette nouvelle version nous permettra de disposer d’un EP sur chaque face, mettant plus facilement en valeur le travail de tel producteur par rapport à un autre. Toujours pour parler vinyle, nous sortons également ce mois-ci un EP composé de remixes, que nous utilisons spécialement dans le cadre d’une exposition que nous proposons avec l’artiste Arnaud Maguet, avec qui nous venons également de tourner un ensemble de vidéos basées sur des enregistrements effectués avec Jean-Marc Montera et Lee Ranaldo dans le contexte très particulier de notre local de création : une ancienne boîte de nuit désaffectée.
Le projet The Wicked Witches Of The South que j’ai initié en compagnie de R. Stevie Moore, Frédéric Landini et Mike Watt m’apporte aussi beaucoup de fierté sur un plan plus personnel et pour des raisons différentes : avancer sur un projet commun avec ces trois personnalités fortes est très stimulant.
Quant à mes espoirs, le prochain album d’Hifiklub, que nous sommes en train de composer, devrait nous apporter de belles satisfactions, humaines et artistiques… enfin, j’espère, oui.
Hifiklub, que tu formes avec Luc Benito (batterie) et Nicolas Morcillo (guitare), a, dès ses débuts discographiques avec French Accent (2006, Parallel Factory), transgressé la notion de “groupe” classiquement admise dans le petit dico du rock à papa. Peux-tu nous expliquer d’où vient cette volonté d’ouverture, aussi bien au niveau de l’identité musicale d’Hifiklub que de sa composition à géométrie variable ?
Oui en effet, notre trio se veut être à géométrie variable. Cette approche peut s’expliquer de différentes manières : la place qu’occupent dans nos discothèques un certain jazz ou certaines musiques plus expérimentales, pour lesquelles l’idée de groupe est en constante évolution. Mais la réponse à ta question vient surtout d’un disque, qui est pour nous essentiel : Ball-Hog or Tugboat? de Mike Watt, qui transcende d’une certaine façon la définition classique d’un groupe rock. Watt compose toutes les chansons, mais leur interprétation, hormis sa présence sur chaque morceau bien sûr, s’effectue en compagnie de toute une série d’intervenants extérieurs qui ne dénature pas pour autant la cohérence du son et de l’album en lui même.
Dans une dynamique assez proche, les Dessert Sessions sont très intéressantes.
S’il n’y a pas de “groupe” Hifiklub, y-a-t-il un “son” Hifiklub ?
Ah mais je pense qu’il y a un groupe Hifiklub. Tu as systématiquement le trio de base qui revient sur chaque composition, c’est ça le groupe… Ensuite, celui-ci tente régulièrement d’ouvrir sa musique à des collaborations extérieures, qui ne sont pas que musicales du reste.
Le trio de base Hifiklub dispose bien d’un son et d’une approche de la composition qui lui sont propres… enfin je pense !
Quelle est la place de l’expérimentation dans les compositions d’Hifiklub ? Où la situes-tu : dans le format, le son, les arrangements ?
Initialement, l’expérimentation n’était pas vraiment présente sur notre premier album ; sauf peut-être sur la notion même de groupe à géométrie variable.
L’expérimentation est plus apparue au niveau des sons et des arrangements sur How To Make Friends. Disons que certaines participations (Jean-Marc Montera, Steven Bernstein, DJ Olive, Skerik) nous ont rapprochés de musiques qui s’éloignaient du rock au sens basique du terme… sans pour autant nous fermer au format pop, qui est présent dans notre musique.
L’expérimentation au niveau de la composition devrait être plus présente sur le prochain album.
Dans les grandes lignes, qu’est-ce qui a changé - aussi bien dans votre processus créatif que dans les conditions propres au cheminement de celui-ci - entre French Accent et votre second disque How To Make Friends, paru le 25 mars dernier ?
Sur le terrain de la composition et des enregistrements, rien n’a changé. Le premier album nous a en revanche permis de tenter un process de collaboration que nous avons bien largement plus exploité sur le deuxième.
How To Make Friends confirme votre attrait pour la côte est américaine et en particulier celle new-yorkaise. Et même si cette dernière est infinie et baignée d’histoire (des genèses punk et no wave, à l’expérimental jazz, illbient ou noise), aiguillant tel un aimant la créativité musicale contemporaine, comment expliquer et concevoir ce flirt entre Toulon et Big Apple que toi et tes amis (je pense à Frédéric Landini) tentez avec brio de pérenniser ?
C’est vrai que New-York revient souvent dans l’histoire du groupe, mais rien n’a été réfléchi sur ce terrain-là. Notre relation à New-York est très spontanée, c’est une ville très ouverte, sans limite, qui correspond bien à l’esprit du projet. Les échanges se passent naturellement là-bas et la fluidité est une notion importante lorsqu’il est question d’aller collaborer avec tel ou tel artiste… surtout lorsqu’à la base tu ne connais pas nécessairement le mec en question.
Je pense que notre rapport à New-York vient essentiellement de notre culture musicale, en tout cas me concernant.
Le flirt Toulon-New York, comme tu dis, n’est donc pas calculé. Mais je suis très heureux que tu soulignes cet axe, car nous sommes très attachés à notre ville.
Pléïade de légendes vivantes ont investi Hifiklub, en tant que membres occasionnels, aussi bien à la production (Earl Slick, Lee Ranaldo, Andrew WK) qu’à la composition (Alain Johannes, Steven Bernstein, DJ Olive, Paulo Furtado, James Chance, Robert Aaron…). Comment provoque-t-on ces occasions ?
Je dirais qu’ils sont plus rattachés à la production et/ou aux arrangements plutôt qu’à la composition, qui reste le terrain du trio.
Tout d’abord, soulignons que ces collaborations ne tournent autour que d’une seule chose : la musique en elle-même. Il n’est pas question ici de big business ou d’autres complications.
Les rencontres s’organisent de différentes manières, mais toujours simplement : parfois c’est nous qui, suivant l’occasion ou le morceau, contactons en direct un artiste, parfois il s’agit d’une rencontre lors d’un concert, d’une expo ou autre, parfois c’est un artiste qui nous parle d’un autre artiste etc. Il n’y a pas vraiment de formule.
Si je subodore que chacune d’entre elles fut fructueuse, quelle a été votre rencontre / collaboration la plus marquante ?
Très difficile de répondre car justement nous tentons de mettre tout le monde sur un plan identique. Je vais un peu biaiser pour répondre à ta question, en ne me mettant pas volontairement sur le terrain de la musique pure : le photographe Olivier Amsellem est un artiste très important dans notre projet, et il est là depuis le départ, alors même qu’il n’y avait que quelques notes d’assemblées. Son apport au projet dans son ensemble est pour nous déterminant.
“Nous avons fait un disque à partir d’albums que nous avons pillés / Je vole de la musique, pourquoi ne volerais-tu pas la mienne ?” (paroles de Records Made From Records, ndlr). Aujourd’hui, une telle incitation au vol est répréhensible par la loi ! Quelle est ta vision de l’industrie musicale par le prisme d’Hifiklub ? Diffère-t-elle lorsque tu l’envisages selon l’optique de Parallel Factory ? Un disque doit-il se “vendre” ou se “faire écouter” ?
Oui c’est un morceau de notre premier album. Les paroles sont venues après des lectures d’articles en relation avec l’échange de musique sur l’internet. Le sujet est assez passionnant et j’ai pu largement l’aborder durant mes études. Il est certains que mon point de vue n’est pas simple à se fixer car comme tu le soulignes, je suis à la fois musicien et dans le même temps en charge d’une structure productrice de musique, société qui sans clients ne peut pas travailler sur le prochain disque.
Je suis avant tout un consommateur de musique : j’utilise l’internet pour écouter et downloader des musiques, qui, si elles me touchent me poussent à acheter le vinyle ou le CD en question. J’ai un rapport à l’objet très particulier, il est capital pour moi de disposer de l’artwork, des notes éventuelles de pochette, des crédits etc. Sans ces éléments pour moi essentiels, je peux ne pas écouter un disque.
Hifiklub est désormais une signature Le Son du Maquis. Un hasard lorsque - parmi d’autres - on y croise James Chance ou Stuart Moxham ?
C’est surtout au label de répondre, mais j’espère que ce n’est pas un hasard. Pour nous, c’est un honneur de se retrouver dans une même structure avec ces artistes-là. Lorsque James Chance a accepté de jouer avec nous au MIDI festival 2008, ce fut pour nous un moment très particulier… alors, le retrouver sur notre label, c’est génial. Le Son du Maquis a encore de belles surprises pour les mois à venir, ils t’en parleront.
Le Var, le RCT, le Midi festival, le Rockorama, Mina May, Get Back Guinozzi!, Appletop, Hifiklub… Comment expliquer cette effervescence locale, signe distinctif de Toulon vis-à-vis des autres villes du sud-est de la France ?
Nos amis d’Appletop sortent justement leur album sur Le Son du Maquis !
A l’occasion de la sortie de notre dernier album, nous avons eu l’occasion de rencontrer pas mal de monde et je suis assez touché de constater que ta question commence à être régulière. J’ai même en souvenir le récent titre d’un reportage de Trax : « Var, le nouvel eldorado musical ? ». Tout cela est très réjouissant et stimulant. En même temps, ceux que tu cites là travaillent dur, les choses n’arrivent pas par hasard.
Mais les noms que tu évoques ne sont que quelques pistes au milieu d’une proposition artistique qui devient de plus en plus importante et de qualité : les Saturnians, Newfoundland, Vicking Dress ou encore le Festival International des Musiques d’Ecran pour ne parler que de ce que je connais, sont également à mentionner.
A quelques rares exceptions près (Poupa Claudio par exemple), l’histoire de Toulon n’a que rarement été liée à des propositions musicales ou artistiques, de groupes ou de festivals notamment, capables d’exploser les frontières de notre territoire… territoire qui a pu souffrir un temps de quelques clichés faciles.
Aujourd’hui, de façon très spontanée, quelques personnes se sont mises au travail sans nécessairement s’auto-limiter dans leurs envies ou leurs ambitions. Quelque chose de fort est en train de se former et des structures visionnaires et fédératrices comme le MIDI permettent de tirer les choses vers le haut.
Question subsidiaire : peux-tu nous dire comment tu imagines Hifiklub dans dix ans ?
Tu connais Abner Jay ? [Ndlr : un bluesman des années 60 & 70, one man band, préfigurant le son garage : là et là pour un essentiel et une compilation d'Abner Jay, éteint en 1993]
Merci Régis.
Audio
Hifiklub - Wish Witch
Tracklist
How to Make Friends [2010, Believe / Le Son du Maquis]1. Bastard Of The Year
2. Devil Knows
3. Over
4. Wish Witch
5. Lonesome Machine Gun
6. Miss Willy
7. What If
8. the Brooklyn Song
9. Data
10. Hey Oh
11. Black Master Will
12. Tick Tock
13. Catfish
En écoute sur Maquismusic
En vente sur Maquistore
Mixtape
01. Bo Diddley - You Don’t Care
02. John Lee Hooker - Who’s Been Jiving You?
03. Abner Jay - I’m A Hard Working Man
04. The Black Keys - Howlin’ For You
05. R.L. Burnside - Skinny Women
06. Son House - Shetland Pony Blues
07. Daniel Johnston - True Love Will Find You
08. The Legendary Tiger Man - Someone Burned Down This Town
09. Muddy Waters - You’re Gonna Miss Me
Pour télécharger la mixtape, cliquez ici.