Magazine Beaux Arts

Critique d’exposition

Publié le 18 septembre 2010 par Marc Lenot

La revue Culture & Musées, éditée par Actes Sud et l’Université d’Avignon, a récemment publié un numéro (n°15) sur le thème ‘Comment parler de la critique d’exposition ? ‘ sous la direction de Marie-Sylvie Poli, qui s’efforce de définir la critique d’exposition par opposition à la critique d’art, c’est-à-dire celle des oeuvres d’art prises individuellement. Ça me semble être une distinction difficile, car tant d’oeuvres sont indissociables de leur exposition et se confondent avec elle, depuis le Jardin-Théâtre Bestiarium jusqu’à Saâdane Afif. Les deux articles les plus intéressants sont des analyses critiques de critiques d’expositions, l’une par un historien d’art, Jérôme Glicenstein (JC; auteur d’un livre très lisible sur les expositions) analysant des chroniques parues dans Artforum, Art press, Flash Art et Frieze, l’autre par une sémiologue, Françoise Rigat (FR) faisant de même uniquement pour des revues françaises : Art press, Mouvement, Art21 et 02.

Ces analyses critiques sont basées sur une étude détaillée des textes des revues. Leurs conclusions sont redoutables mais finalement assez évidentes. Je ne prétends pas faire ici une analyse exhaustive des thèses présentées dans la revue, mais seulement vous livrer quelques citations de ces deux articles :

“Il semble difficile de qualifier [certains comptes-rendus] de ‘critiques’, il serait sans doute plus juste de parler de ‘publi-reportages’, voire de ‘publicité rédactionnelle’ - c’est-à-dire d’un intermédiaire entre la page de publicité et le compte-rendu ‘réel’” (JC).
“la critique [apparaît] moins comme une lecture de l’exposition que comme un listage de ses mérites” (FR).
“Le rôle du compte-rendu critique dans le contexte de l’art contemporain n’est apparemment pas de prétendre à une quelconque objectivité, mais de présenter- voire de produire- une certaine vision de l’art, tout en faisant la promotion d’artistes illustrant cette vision”(JC).
“La plupart des comptes-rendus ne sont pas à lire comme des propos détachés sur une exposition, mais plutôt comme des textes exégétiques dont la fonction principale serait de fournir des outils de ‘médiation complémentaire’ à celle-ci”(JC).
“Quantité d’articles se mettent exclusivement au service de réflexions esthétiques et philosophiques sur le processus d’élaboration de l’oeuvre, sur la démarche de l’artiste exposé, faisant ainsi l’impasse sur l’exposition… une réflexion autour ou à partir de mais pas sur l’exposition” (FR).
“Une grande partie de la critique d’art aujourd’hui est ‘promotionnelle’ par la force des choses. Selon cette logique, il y a peu d’opinions franchement négatives dans les revues d’art…. une ‘légèreté’ dans les propos, voire une certaine inconséquence” (JC).
” Il n’y a pratiquement jamais de comptes-rendus négatifs ou s’interrogeant sur le sens ou le bien-fondé de telle ou telle présentation. Le but poursuivi par le compte-rendu d’exposition dans un magazine - qu’il ait été écrit en lisant le dossier de presse ou après avoir visité l’exposition - n’est bien souvent pas de juger ou d’évaluer, mais de donner à comprendre une présentation, d’en donner les clés, de la compléter” (JC).
“Qu’est-ce à dire, sinon que la réflexion critique dans les magazines peine à s’affranchir de sa gangue apologétique ?” (FR).
“la prudence avec laquelle est avancée l’appréciation négative… tout se passe comme si le jugement négatif induisait un malaise, une position dont l’incommodité n’échappe pas au journaliste… nous avons pu mettre en évidence l’appréciation globalement positive de l’exposition et l’aspect timoré du jugement négatif… les journalistes recherchent une connivence chez un lecteur qui est un alter ego…un souci de ménager le concepteur et, peut-être, de ne pas déplaire à des lecteurs-compétiteurs susceptibles de renvoyer l’ascenseur… “(FR).
“L’utilisation fréquente de l’outil d’aide à la rédaction qu’est le dossier de presse renvoie à un autre type - plus insidieux - de stratégie communicationnelle de la part des galeries, musées ou centres d’art” (JC).
” un langage de connivence,… un ton assertif, voire péremptoire, … l’idiomaticité du discours critique, … des formes canoniques, des séquences stéréotypées” (FR).
” un échange de places, dans la mesure où certains noms revêtent tour à tour les casquettes de critique et de curator dans les mêmes numéros. Dès lors, comment avancer des réserves sur l’oeuvre d’acteurs aux intérêts complémentaires et dans une situation égalitaire ?” (FR).
” La critique d’exposition vise essentiellement à créer une communauté discursive de ‘pairs’ amateurs d’art contemporain, de lecteurs ‘entre soi’ en quelque sorte.” (FR).
“La critique engagée, au sens où on l’entendait au temps des avant-gardes, a depuis longtemps disparu”(JC).

Cette dérive de la critique vers un rôle de diffusion promotionnelle, qui était assez évidente, mais se trouve confortée ici par une analyse textuelle rigoureuse, vient de trouver une nouvelle dimension sur le site de Paris-Art : sous l’étiquette ‘Critiques’ (différente de l’étiquette ‘Agenda”) les textes qui rendent compte des diverses expositions de Casanova Forever sont les textes des commissaires d’exposition figurant au catalogue, comme, par exemple, celui d’Emmanuel Latreille, Directeur du FRAC Languedoc-Roussillon et commissaire en chef de Casanova Forever, sur l’exposition au LAC de Piet Moget et Vincent Olinet. Certes, c’est indiqué en bas de page. Mais où est la frontière entre critique et promotion quand le rédacteur en chef de Paris Art, ayant visité lui-même l’exposition, laisse le commissaire s’exprimer à sa place et publie comme une critique le texte de celui-ci sur son propre travail  ?

Enfin, à propos des textes de commissaire d’exposition, le site Louvre pour tous a soigneusement analysé les textes de Laurent Le Bon, commissaire des trois expositions d’art contemporain à Versailles, sur chacune d’elle. Je reproduis ici seulement le premier paragraphe, vous trouverez le reste, de la même veine, sur son site, c’est à mourir de rire (ou de honte) :
Murakami Versailles 2010 “Murakami Versailles est un moment exceptionnel qui voit le Château de Versailles renouer avec les artistes de son temps…”
Veilhan Versailles 2009 “Veilhan Versailles est un moment exceptionnel qui voit le domaine de Versailles renouer avec les artistes de son temps…”
Jeff Koons Versailles 2008 “Jeff Koons-Versailles est un moment exceptionnel qui voit le Château de Versailles renouer avec les artistes de son temps…”

Après cette volée de bois vert, je vous suggère non seulement d’aller lire les critiques du site Portraits, ça vous montrera ce que pourrait être une critique intelligente et indépendante aujourd’hui (y compris, bien sûr, pour des artistes au sujet desquels je suis en désaccord avec Portraits, comme Camille Henrot), mais aussi vous pouvez, jusqu’au 3 octobre, aller voir villa Guelma l’exposition bon enfant que les membres de Portraits ont faite avec une oeuvre de la majorité des artistes critiqués, sur le thème de l’autoportrait. J’ai particulièrement apprécié la vidéo de Nina Lundström, marchant sur une rivière de miroirs reflétant le ciel au milieu des herbes et des fleurs, et les portraits au noir de fumée et film mirolège de Damien Valero, décomposition de son visage à l’effet étrange. Vente aux enchères des oeuvres exposées le 3 octobre.


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