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Derrière la vitre : « Le jour avant le bonheur » ou nuncepenzammocchiù

Par Memoiredeurope @echternach

La scène est unique, comme dans la tragédie classique : la cour d’un immeuble faite pour accueillir le jeu des enfants et les dettes d’honneur des soldats de la camorra. En fait il s’agit de l’œil du cyclone. Là où l’on peut grandir en paix, caché dans une loge de concierge. A l’écart du monde et dans l’observation du monde. Et dans l’attente que le rideau s’ouvre. Exactement au troisième étage, à la place où le visage d’une féminité débutante qui s’y est inscrite plusieurs fois, va devenir l’mage de tous les désirs, de toutes les espérances.

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Le temps passe grâce à la patience de celui qui habite la loge, père de substitution, libraire des livres récupérés et lecteur des pensées des autres. Le temps passe aussi avec lui grâce au jeu de la scopa. 

Mais le cyclone n’en reste pas moins actif. Il s’agit de celui qui agite la ville de Naples en permanence. Les bombes de la seconde guerre mondiale n’ont pas toutes explosé et, à chaque fois qu’il faut en déminer une, les souvenirs de la libération remontent, comme les odeurs du port. Ce moment où quelques Juifs ont pu ressortir des caves, s’ils n’avaient pas été dénoncés auparavant et où les habitants ont dit basta et n’ont plus fait qu’une seule force contre les Allemands et les fascistes.

Un cyclone balaie toujours les décombres du précédent : “Les fascistes avaient disparu. On ne trouvait plus une seule chemise noire dans la rue, on les avaient teintes en gris. C’était la couleur nuncepenzammochiù, n’ypensonsplus. Chez nous, on oublie le malheur dès qu’arrive un peu de bien. C’est juste aussi. Un bel applaudissement aux Américains et c’est reparti. Mais c’est nous qui méritons un applaudissement de leur part, pour avoir dégagé le terrain.”

Erri de Lucca nous a habitué à regarder les détails, les traces sur les murs, l’ombre du coin de la rue, l’usure des pavés et la modification que la nuit fait peser sur les villes.

Les traces, ce qui marque la mémoire : « Le vide devant un mur, laissé par une bibliothèque vendue, est le plus profond que je connaisse. J’emporte les livres envoyés en exil, je leur donne une deuxième vie. Comme la deuxième couche de peinture qui sert à fignoler, la deuxième vie d’un livre est la meilleure. »

Les envers, quand le monde urbain endosse une autre livrée : “La lumière du jour accuse, l’obscurité de la nuit donne l’absolution. Les transformés sortent, des hommes habillés en femme parce que la nature les y pousse, et personne ne les embête. On ne demande compte de rien, la nuit. Les éclopés, les aveugles, les boiteux sortent, eux qui le jour sont rejetés. La nuit, la ville est une poche retournée.”

Rien d’important en somme. Sinon le moment crucial. La vie qui bascule. Ce que tous les garçons attendent. Enfin, ce que nous attendions ; pourquoi généraliser à l’aujourd’hui ?

Le jour avant le bonheur…et les responsabilités du lendemain !

Erri De Lucca. Le jour avant le bonheur. Gallimard. 2010. Il giorno prima dellafelicità. 2009.

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