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Interview Jacques Clouteau : « Il est un beau chemin semé d'épines et d'étoiles » (vendu à 27.000 exemplaires)

Par Manus

Interview Jacques Clouteau : Ť Il est un beau chemin semé d’épines et d’étoiles ť (vendu ŕ 27.000 exemplaires)

«Voyager, c’est prendre l’air et respirer. Ecrire c’est témoigner pour les autres, ceux qui ne sont pas (encore) partis. Et l’âne c’est le fil conducteur et attachant de ces deux passions.»

Interview Jacques Clouteau : « Il est un beau chemin semé d’épines et d’étoiles » (vendu à 27.000 exemplaires)

Jacques Clouteau, je l’ai rencontré au mois d’août dans les Pyrénées françaises, où trois jours durant j’étais plongée dans ce décor rude, saillant, qui force à communier avec lui tant sa puissance bouscule.

Sur le flanc de la montagne, je dors dans un tipi.  Au réveil, lorsque je soulève la toile pour sortir et traverser les taillis, un chapelet de montagnes s’offre à moi.  On dirait qu’elles pointent leur index vers le ciel sur un ton accusateur. 

Je dois me rendre en contrebas, mais l’instant présent me cloue sur place.  Eblouie, je m’assieds sur une souche, m’imprègne du soleil qui se fait déchirer par la chaîne montagneuse, tandis qu’une brise fraîche fouette les feuillages comme si tout l’univers s’étirait. 

Un âne plus énergique dévale la pente, rejoint un groupe de congénères l’accueillant d’un cri qui me surprend.  Saisie, je réintègre mon corps à regret. 

Quelques heures plus tard, j’observe un homme qui flâne parmi les ânes, comme s’il papotait avec les membres de sa famille.

C’est Jacques.

Je m’approche de lui, les discussions de la veille reprennent. 

C’est ainsi que j’ai pu découvrir une personne au visage buriné par le soleil, au sourire franc, le regard pétillant de malice.  Ce qu’il aime, ce sont les randonnées, sillonner le monde, s’abreuver de la terre qui coule sous ses pas.

Mais j’oubliais quelqu’un.

Ferdinand, son compagnon de route, son ami, son confident, est de toutes les aventures.

L’âne Ferdinand et Jacques se sont arrêtés au bord de la route, ils veulent bien répondre à mes questions, pas trop longtemps cependant, il y a encore tant de chemin à explorer ; celui du monde qui les renvoie à eux-mêmes, que Jacques a si bien retranscrit dans ses livres.

Il est temps que je me taise, et que je laisse la parole à ces complices.

1. Savina : Qui donc est Ferdinand ?  Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Jacques : Ferdinand se trouvait dans un troupeau, chez un éleveur d’ânes, et n’avait nulle envie d’aller à Compostelle. Nous avons mis une demi-heure à trois personnes simplement pour lui passer un licol autour du cou… L’éleveur m’a certifié que cet âne-là, avec son caractère bien trempé, allait me suivre au bout du monde. Et c’est ce qui s’est finalement passé, en résumant en une phrase les mille bêtises qu’il a inventées pour me pourrir la vie… Après une semaine sur le chemin de Compostelle, je l’aurais bien échangé contre une mobylette, même en très mauvais état. Mais après quinze jours, je ne l’aurais cédé pour rien au monde, tant il avait apprivoisé les difficultés et les obstacles d’un chemin de randonnée, tant il était devenu mon compagnon à part entière.

2. Savina : Quelles routes, parcours, ou pays, avez-vous entrepris avec lui ?

Jacques : Avec Ferdinand, depuis 1993, nous avons parcouru de très nombreux pays de la vieille Europe, et mon bourri a appris à braire en de multiples langues : L’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Grèce, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, la Pologne, la Lituanie, la Lettonie n’ont plus de secrets pour lui. Sans oublier les sentiers de la douce France, qu’il a traversée en diagonale à plusieurs reprises.

3. Savina : Combien de livres découlent de cette passion ?

Jacques : 5 récits de voyage, un ouvrage sur les mulets militaires, quelques topo-guides sur les chemins de halage des canaux, la collection des miam-miam-dodo pour les pèlerins de Compostelle, et une collection « au fil de l’âne » qui édite des livres historiques et techniques sur les ânes.

4. Savina : « Il est un beau chemin semé d’épines et d’étoiles », un livre unique en son genre, qui s’est déjà vendu à 27.000 exemplaires ?  Comment expliquez-vous ce succès  ?

Jacques : C’est une question à poser aux lecteurs… Disons que ce livre est sorti au bon moment, à l’époque où n’existaient que peu d’ouvrages sur le chemin de Saint Jacques. Disons que la présence attachante de Ferdinand, sur la couverture et dans les « mots de l’âne » à l’intérieur des chapitres donne l’envie de poursuivre le périple. Et subodorons que le texte ne parle que du côté positif du voyage de Compostelle, des rencontres, des paysages, et laisse totalement de côté les bobos qui n’intéressent personne.

5. Savina : Que cela apporte-t-il de parcourir Saint-Jacques avec un âne ?

Jacques : Un incommensurable bonheur. D’abord le bonheur de voyager aux côtés d’une jolie peluche, ensuite par les rencontres que provoque la présence de l’âne, toujours riches en surprises, et enfin, mais ce n’est pas le plus important, par le fait que le petit âne porte le bagage, la tente, toutes les affaires nécessaires à un voyage en autonomie totale. L’autonomie, c’est la liberté de faire étape en pleine nature, près d’une source ou d’un ruisseau, dans le silence, sans avoir à rejoindre à tout prix un gîte d’étape et le bruit d’un village.

6. Savina : Et pourquoi avoir l’envie de marcher sans cesse, de battre le pavé ?

Jacques : Tous les anciens pèlerins le disent : quand on a réalisé le voyage à l’autre bout de la Galice, pendant deux à trois mois, on a le besoin de repartir chaque année, pas forcément sur le même chemin, mais de repartir, à pied, à la lente découverte du monde.

7. Savina : Que retirez-vous du fait d’avoir accompli le chemin de Saint-Jacques ?

Jacques : Ce fut un grand tournant dans ma vie, et le chemin m’habite encore, puisque j’ai choisi d’acheter une maison dans le Quercy, tout près du GR 65, et que le monde des pèlerins de Saint Jacques, ces rêveurs de l’impossible, me passionne toujours.

8. Savina : Dans ce livre, vous y relatez tant les aspects techniques du voyage, que des expériences plus personnelles.  Laquelle aimeriez-vous partager ici ?

Jacques : J’ai été bouleversé sur ce chemin par certaines rencontres, par la simplicité des rapports entre pèlerins, par la facilité avec laquelle nous parlons entre nous de choses que nous évoquons avec pudeur dans la vie « normale ». Je me souviens toujours avec beaucoup d’émotion de cet homme qui s’est mis à parler, dans l’obscurité d’une pièce où nous dormions, et qui a raconté à voix haute, pour lui ou pour moi, la mort de son enfant.

9. Savina :  Voyager, écrire, et l’âne : trois passions qui ne sont étroitement liées ?

Jacques : Totalement, et centpourcentement. Voyager, c’est prendre l’air et respirer. Ecrire c’est témoigner pour les autres, ceux qui ne sont pas (encore) partis. Et l’âne c’est le fil conducteur et attachant de ces deux passions. C’est aussi la preuve que les animaux peuvent encore être utiles dans notre société dite moderne.

10. Savina : Qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs de ce blog ?

Jacques : Que le voyage à pied, la randonnée, sont des choses qui ne coûtent rien, qui ne polluent pas la planète, et qui donnent un bonheur tout simple et ineffable.

Savina : Cher Jacques, merci de nous avoir présenté Ferdinand, et de nous avoir expliqué le sens du cheminement.

Jacques : Chère Savina, merci de m’avoir donné l’occasion de ces quelques lignes, et de votre charmante rencontre.

Savina de Jamblinne


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