Magazine Journal intime

Les meufs de chez Perrotin (5)

Par Markhy

Suite de l’autofiction autour de Perrotin, Sophie Calle et Youssouf Fofana. Il va falloir tout relire putain.

Des bottes toutes neuves et un sourire vraiment con. Elle raconte. Ruth a échangé le numéro d’un mec qu’elle a branché contre 80€. Tu sais c’était un juif, je m’en fous des juifs. Ils prennent notre argent alors moi je suis allé chercher le mien. Connasse si je te dis que je suis juif, dit mon pote. Connard, tu fais le ramadan. Pute ça veut rien dire, pour même pas 80€ tu files de ton corps. Je m’en fous, c’est juste un numéro de téléphone. Si au moins tu me suçais la bite. Macho. Pour 50€ je te doigte. Ta gueule putain. La conversation a duré deux heures, bien posé sur le trottoir sans oublier de saluer les voitures qui passent, l’air de rien, on refaisait nos cours de géopolitique ; Des cours que nous n’avons jamais eu.

Son histoire, à elle, n’était pas finie quand on est tous sorti du métro. République, on dirait bien. On n’a pas mal remonté le dédale, je soufflais fort, je cherchais les pakis j’avais mon euro pour la bouteille d’eau. Oui, ils font ça aussi. Elle, fumait sa clope tranquille, main dans la main avec son mec. On a touché l’avenue Parmentier, passé devant un fleuriste. Ephémère ça s’appelle et toutes les petites meufs qui y sont vendeuses ressemblent à mes cousines. Alors je m’y suis plu et je suis entré, j’y ai acheté des « capucines pop corn » ou un truc dans le style, j’ai bu l’eau des plantes qu’une stagiaire a bien voulu me lâcher mais je suis sorti rapidement parce que la boutique était tellement accueillante qu’avec un peu plus de thunes, je l’aurais bien achetée aussi. Ils ont eu le temps de tourner dans une autre rue, j’ai failli les perdre. J’ai couru et je l’ai vu faire son code au loin, donc on est chez elle. Je voulais attendre en bas, peut-être trouver un PMU pour gratter des chiffres. Attendre, je sais pas quoi, qu’elle redescende toute seule avec un sac poubelle, j’aurais montré ma gueule et mes capucines pop corn, quel nom bien con j’ai encore faim. Peut-être qu’ils allaient bouger au restau, peut-être qu’il allait se barrer pour aller « bosser », c’est bien le genre à faire le dj avec son ipod et des stickers. Je me suis imaginé une tonne de scénario et quelqu’un qui sortait son chien m’a tenu la porte. J’ai coupé le baladeur. Allez-y. Merci madame. Grand sourire. J’ai monté quatre étages en écoutant tous les verrous de tous les paliers et je me suis dit qu’il devait être au troisième. Par rapport à la musique, une sombre merde pop, signée chez Kitsuné. J’ai tout de suite reconnu.

Ruth a bien flippé quand Youssouf était en Côte d’Ivoire et faisait des fuck à l’état, genre je vais vivre dans l’impunité. On ne la voyait plus trop trainer dans la Z.I. La Croix Blanche et ses bottes je crois qu’elle les avait bien planquées chez sa sœur qui vivait dans le sud. Nous aussi on était flippés, car le gang, cette bande de tarés on leur ressemblait. On était tous dans la même merde, on avait le pote à fond dans l’informatique avec des idées de psychopathes performeurs (yo c’est moi), le pote collégien qui avait déjà vendu sa mère pour gagner le business du shit, tous les manutentionnaires en intérim de la région prêts à rassembler le matos nécessaire pour une petite partie de torture abominable sans fondement : ma bande de pote. L’acide dans le garage on en avait aussi, on avait joué à faire fondre nos jouets – une pure aprèm. En fait, plus tard, pendant tout le procès on s’est demandé mais à quoi ça tient tout ça. Qu’est ce qui a fait qu’on ne plonge pas dans le même délire. A la fois on s’était éloigné et peut-être qu’on s’était éduqué, moi déjà je recevais MTV contrairement aux autres blancs du quartier qui n’avait rien. J’avais un univers culturel auquel je pouvais toucher et rêver, un univers pas vraiment malsain, qui n’était pas la bourgeoisie, pas le banditisme, pas le salafisme (qui a un taux de recrutement de 100% chez les meuf baptou sans culture du quartier). Je crois que MTV et les bouquins m’ont permis d’éviter d’être un barbare. Mon meilleur pote dit que c’est grâce à l’islam : malgré le chômage, il allait prier, voir la famille, écouter à moitié le prêche, sourire à tout l’immeuble, il a gardé le sens des réalités. Et peu importe la thune, il avait le cœur et tout ces machins magnifiques qu’il peut dire quand il est un peu rébou… Euh fatigué. Finalement le numéro que Ruth avait filé contre 80€ n’avait rien à avoir avec l’affaire. C’était juste un numéro qui allait servir à avoir un autre numéro pour toper le contact d’un autre enlèvement – le bordel – mais ça a échoué. Elle a retrouvé ses bottes, et a essayé une capacité en droit, à défaut d’y être.

Quand je suis sorti de mes pensées, le chien me lapait le nez et avalait ma morve. Vous attendez votre fiancée ? m’a demandé la maitresse. La même qui m’a tenu la porte un peu plus tôt. Oui madame, je l’ai suivie dans la rue parce qu’elle m’a refusé l’entrée de Perrotin à une minute près et j’ai besoin d’en faire quelque chose vous savez peut-être que je ne devais pas y entrer vous savez alors il faut que je modifie tout ça il faut que je me venge ou que je tombe amoureux faire un truc incensé madame… Un thé ? Vous voulez boire un thé ? J’ai un super Ceylan acheté aujourd’hui. Et je me suis retrouvé dans son appart sans avoir dit oui.



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